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Fatiha Boudjahlat : le rapport Bergé prend les enseignants pour des assistantes sociales - Tribune, Le Figaro, 1er février 2018

samedi 3 février 2018, par Mademoiselle de Scudéry

Fatiha Boudjahlat a lu le rapport parlementaire « sur les relations école-parents » remis mercredi 31 janvier par Aurore Bergé et Béatrice Descamps. Selon elle, les propositions qu’il fait sont au mieux banales, et au pire, tristement idéologiques.

À lire ici.

Lire le rapport de la « mission flash » (si, si !) là

La commission des Affaires culturelles a chargé les députées Aurore Bergé (LREM) et Béatrice Descamps (UDI) d’une « mission flash ». Presque fictive tant le travail obtenu aligne les poncifs et les stéréotypes, recycle les vieilles lunes. Avec toujours en point d’orgue le mépris à l’égard des enseignants déconnectés, méprisant et « diabolisant » les parents qu’ils sont pourtant eux-mêmes. Ce qui est certain, c’est que ce mini-rapport tranche avec les rapports parlementaires qui étaient le fruit d’un travail long, et devenaient des sources d’analyse et de solutions de grande qualité. Non, les députés de la « start-up assemblée » préfèrent assembler des tweets. Décryptons ce rapport.

La légitimité des enseignants provient de l’obtention d’un concours exigeant, pas de la ressemblance sociale ou physique avec les élèves.

Les reproches pleuvent sur les enseignants : « Lorsqu’ils sont affectés dans des quartiers difficiles, ils n’en sont le plus souvent pas originaires, ils n’en connaissent pas les spécificités et vivent de moins en moins là où ils enseignent. » Faut-il en fait des enseignants qui ressemblent physiquement à leurs élèves ? Doivent-ils accomplir une mission d’immersion pour comprendre les difficultés sociales d’un quartier ? Sommes-nous à ce point pris pour des imbéciles ?

Il ne s’agit pas seulement de culpabiliser des professeurs. Que Benoît Hamon ait été le député de Trappes tout en vivant dans un quartier bourgeois d’Issy-les-Moulineaux, cela ne gêne pas les parlementaires [1]. Mais que des enseignants ne vivent pas parmi leurs élèves, c’est presque une faute professionnelle ! C’est à la fois démagogique et insultant. La légitimité provient de l’obtention d’un concours exigeant, d’une formation, d’un statut. Pas de la ressemblance sociale ou physique avec les élèves.

Il s’agit en fait de revenir, comme le ministre Blanquer le souhaite, sur la nature des concours de recrutement des professeurs, surtout celui, national, des enseignants du second degré. Son rêve est celui de l’autonomie totale des établissements, avec un personnel de direction qui recrute des collaborateurs en CDD autour de projets. Recrutement hyper local. Dans des territoires ultra-ghettoïsés et défavorisés, on devine l’intention et la tentation : des élèves écouteront plus des professeurs qui leur ressemblent. Mais dans les quartiers ultra-favorisés, il faudra expliquer à ces deux députées que les enseignants n’ont tout simplement pas les moyens d’y vivre, eux qui sont parmi les enseignants les moins bien payés, selon l’OCDE.

À quoi conduira cette autonomie ? Ce mini-travail parlementaire coïncide étrangement avec les intentions politiques qui ont dévasté l’école publique depuis des années. Le rapport Terra Nova « Que doit-on apprendre à l’école ? Savoirs scolaires et politique éducative » paru en 2016 affirmait : « Les programmes nationaux ne sont donc qu’un instrument, qui doit faire l’objet d’une appropriation par les équipes pédagogiques, chacune en fonction de la situation qu’elles rencontrent localement. » Localement ? Adaptons les programmes d’histoire. Arrêtons d’enseigner la Shoah dans certains quartiers. On comprend alors la place que Terra Nova réserve à l’enseignement du français : « La focalisation exclusive sur la langue française, comme seule langue d’enseignement reconnue et comme seule langue enseignée en dehors de langues réputées « étrangères », occulte ce que peuvent être les besoins et l’intérêt même des élèves qui, nombreux, disposent de compétences dans diverses langues qui constituent une part de leur identité. » Et peu importe que ce soit la maîtrise du français qui leur permettra de s’insérer professionnellement ou de poursuivre des études ! Les enfants étrangers sont actuellement accueillis dans des classes particulières. L’État, tout à son obsession des économies, ne leur accorde que moins d’un an d’enseignement du français comme langue étrangère avant de les intégrer dans une classe ordinaire. Combien d’élèves excellents dans leurs pays d’origine ont été orientés en filière professionnelle parce qu’on ne leur a pas donné le temps de maîtriser assez le français ? Voilà le scandale.

Nous ne sommes pas face à une immigration de travail. Nous ne sommes que rarement face à une immigration de première génération. Mais c’est pourtant dans ce statut hors-sol qu’on veut maintenir les enfants des classes populaires, et on orchestre le « gaspillage du potentiel éducatif de la classe ouvrière » pour reprendre les termes de Basil Bernstein. Parcoursup, la réforme du bac avant celle du lycée, celle du collège... M. Blanquer a fait rêver les enseignants après la désastreuse politique menée par N. Vallaud-Belkacem. Mais c’est maintenant que l’on se rend compte qu’il ne fait que poursuivre le même chemin libéral qui fige des destins scolaires et sociaux. Sauf s’il désavoue ces députées et mène une politique courageuse d’exigence pour tous, de mixité sociale et ethnique contrôlée pour favoriser l’émulation et l’enracinement.

Ce rapport concentre des stéréotypes sociologiques et infantilise les parents.

Le CNESCO, instance indépendante d’évaluation des politiques publiques éducatives, avait recommandé la fermeture de 100 collèges ghettos en France. Les députées et le ministère n’ont pas encore eu ce courage. Il est moins coûteux économiquement et politiquement de faire de l’occupationnel et de n’intervenir, comme avec le lycée Gallieni, que lorsque la presse se fait l’écho de dysfonctionnements graves mais si récurrents.

Les propositions des deux parlementaires sont à la fois d’une grande banalité et très orientées idéologiquement :

« 1. Mieux former les enseignants tout au long de leur carrière à la relation aux parents

2. Mieux informer les parents dès la rentrée scolaire des attentes des enseignants

3. Privilégier les rencontres informelles, plus inclusives de tous les parents

4. Impliquer les parents dans tous les dispositifs de lutte contre le décrochage scolaire

5. Mieux associer les intervenants associatifs pour conforter le lien parents-école »

La majorité de ces fabuleuses propositions est déjà mise en œuvre et depuis une dizaine d’années. Mais cette référence à l’inclusion, aux intervenants associatifs sans exigence qualitative, ne peut qu’inquiéter. Non, tous les parents ne sont pas des immigrés de fraîche date. Ce rapport concentre des stéréotypes sociologiques et infantilise les parents invités à faire connaître leur culture... en apportant des plats de leurs pays : les députées préconisent la mise en place d’une « semaine du goût » qui pourrait permettre à « chaque parent d’apporter une spécialité culinaire de son pays » ! C’est humiliant, paternaliste. Inutile. C’est une vision caricaturale de la diversité réduite à une mauvaise maîtrise de la langue et aux plats exotiques, forcément. Vite, que l’on nous fasse découvrir le couscous et le mafé ! Les parents attendent autre chose de l’école. Une chose que les députées n’attendent plus : l’instruction. L’époque des parents apporteurs de cornes de gazelle est révolue. Il y a déjà des rencontres ludiques, informelles. Mais les enseignants doivent veiller aux allergies alimentaires, aux interdits religieux...

Les députées citent en exemple « l’Association Unis-Cité », qui propose d’associer des « jeunes du service civique qui, bien souvent, viennent des mêmes quartiers que les parents en difficulté et partagent avec eux les mêmes codes sociaux ». Quelle est donc cette vision paternaliste et ethnologique des parents ? Quels sont donc ces codes sociaux ? Ces parents font-ils des shake élaborés au lieu de serrer la main ? Viennent-ils nus au lieu d’être habillés ? Crachent-ils au sol ? Qui est le plus méprisant ? Qui est le plus déconnecté ?

Les mesures des vingt dernières années ont provoqué une fuite vers le privé inédite, y compris des classes moyennes.

Nous sommes dans le registre anthropologique. Ces parents sont en grande majorité français, ou sont là depuis longtemps. Et les immigrés ont déjà eu affaire aux enseignants dans leur pays d’origine. Ils sont dans la logique que décrivait le sociologue de l’immigration Abdelmalak Sayad : « Les immigrés attendant de l’école, et plus précisément de la ‘métamorphose’ que celle-ci est censée opérer sur la personne de leurs enfants, qu’elle leur autorise ce qu’ils ne peuvent s’autoriser eux-mêmes, à savoir s’enraciner, se donner à leurs propres yeux et aux yeux des autres une autre légitimité ». Eux nous rappellent ce que l’on doit attendre de l’école publique. Ce que le ministère n’attend plus, lui dont les mesures des vingt dernières années ont provoqué une fuite vers le privé inédite, y compris des classes moyennes. Alors que le premier ministre a puisé dans une enveloppe de 20 millions destinée au second degré public pour en donner la moitié au privé.


[1Ou Serge Dassault, sénateur-maire, préférant acheter des voix aux Tarterets à Corbeil Essonne plutôt qu’y habiter ? (mais pour une tribune dans le Figaro, ça ne serait peut-être pas passé ?) - note de SLU