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La réforme de l’accès à l’université passe sans encombre à l’Assemblée nationale - Faïza Zerouala et Loup Espagilière, Médiapart, 15 décembre 2017

samedi 16 décembre 2017, par Laurence

Qui a dit lors de la discussion à l’AN "« Aujourd’hui, il y a une foule de filières mal distinguées et il faut être très averti pour échapper au jeu des voies de garage ou des nasses, et aussi au piège des orientations et des titres dévalués. Cela contribue à favoriser un décrochage certain des aspirations par rapport aux chances réelles. » Cette phrase ne date pas d’aujourd’hui. Elle a été prononcée par Pierre Bourdieu il y a quarante ans." ?
… Le rapporteur LRM Gabriel Attal ; citer Bourdieu pour justifier la sélection, il ne manque pas de poumons le bougre !

Les députés ont adopté sans difficulté, jeudi 14 décembre, le projet de loi sur l’entrée à l’université. La loi prévoit la mise en place d’attendus, de quotas de bacheliers dans les filières sélectives, la fin du régime de sécurité sociale étudiante ou encore la possibilité de réaliser une année de césure.

Pour lire le texte sur le site de Médiapart

Il y a quelque chose d’étrange d’assister à un débat en en connaissant d’avance la fin. Mardi 12 décembre, l’Assemblée nationale a démarré l’examen de la loi de réforme de l’entrée à l’université en séance publique. En trois jours et en 16 heures de débat, le texte - avec 250 amendements- n’a pas connu de modification profonde puisque les groupes La République en marche (LRM), largement majoritaire, le MoDem tout comme la majorité des Constructifs soutiennent la loi. Elle a été adoptée et sera votée le 19 décembre avant de passer entre les mains des sénateurs.

Frédérique Vidal a mis la pression d’entrée de jeu à l’hémicycle. Sans cette loi, les ratés vécus cette année avec le tirage au sort devraient se reproduire a prédit la ministre de l’enseignement supérieur.

Les Républicains d’emblée se sont émus de l’impréparation de la réforme et de la célérité avec laquelle le gouvernement entend la mettre en œuvre. Patrick Hetzel qui défendait la motion de rejet déposée par son groupe a accusé le gouvernement de transformer en « cobayes  » les futurs étudiants.

Même si les jeux sont faits, l’opposition, France insoumise en tête, a néanmoins décidé de ferrailler contre le nouveau système d’accès à l’enseignement supérieur, accusé d’organiser une sélection et de creuser les inégalités. Jean-Luc Mélenchon, ancien ministre délégué à l’enseignement professionnel sous Lionel Jospin bouillonnait sur son banc et a largement insisté à chaque prise de parole sur le fait que Frédérique Vidal, par le truchement de sa loi, instaurait ainsi « un numerus clausus  » et vise à « établir un marché de l’enseignement supérieur. »

Les Républicains, par la voix des députés Constance Le Grip, Patrick Hetzel ou Annie Genevard déploraient pour leur part le manque d’ampleur de la réforme qui refuse selon eux « la sélection  ». « C’est un texte inachevé  » et de « demi-mesures  », a critiqué le député LR Patrick Hetzel, ancien directeur général pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnel au ministère sous Valérie Pécresse, artisane de la loi LRU instaurant l’autonomie des universités en 2008. Frédéric Reiss a parlé « d’occasion manquée.  » Pour lui, « En voulant éviter à tout prix de parler de sélection, le gouvernement propose un système complexe et bureaucratique, une usine à gaz, qui n’apportera aucune solution aux problèmes actuels de l’université.  » L’opposition a souligné le surcroît de travail engendré par la réforme pour le personnel des universités.

Le rapporteur du texte a choisi de ne pas trancher le débat en adoptant une posture macroniste au possible : « Certains affirment que le projet de loi masque une sélection qui ne dit pas son nom. D’autres, au contraire, regrettent que la majorité n’ait pas fait le choix de la sélection. Aux débats sémantiques, je préfère les faits. Non, notre choix n’est pas de fermer les portes de l’université, bien au contraire. »

De son côté, l’opposition a insisté sur la remise en cause du baccalauréat comme premier grade universitaire. Le Front national choisissait pour sa part d’encombrer les débats en demandant l’introduction de la préférence nationale à l’université.

C’est un bouleversement majeur qui se produit pour l’université. La ministre a est allée jusqu’à qualifier cette réforme de « révolution copernicienne  ». Jusqu’alors, et c’est un principe fondateur, seul la possession d’un baccalauréat ouvrait les portes d’une licence générale. Sans condition. Les filières dites en tension procédaient parfois au tirage au sort pour départager les candidats. Cet été 66 000 étudiants ont subi les affres de ce procédé. C’est sur ce ratage d’affectation que l’exécutif a su capitaliser pour faire accepter sa réforme. Rapporteur du texte, le député LREM Gabriel Attal a, lui aussi, insisté sur le caractère «  injuste  » de la procédure du tirage au sort.

Majorité comme opposition se sont néanmoins entendues sur le fait que le système n’est plus satisfaisant à l’instar de la plateforme APB à laquelle va succéder ParcourSup.
Un texte qui conforte les inégalités sociales pour l’opposition

C’est cet angle d’attaque qu’ont choisi les députés insoumis et communistes. « L’université est un service public, qui doit être ouvert à tous », a mis en garde Michel Larive, tandis que Sabine Rubin, députée de Seine-Saint-Denis, a fustigé un nouveau système, qui opère, selon elle, « une sélection sur dossier » et «  organise un tri entre l’excellence et la seconde zone » qui va « prolonger et conforter les inégalités sociales  », en empêchant en premier lieu les « lycéens de classe populaire  » d’accéder aux filières désormais « sélectives » de l’université. Un argumentaire repris en boucle par le reste du groupe. L’esprit de Pierre Bourdieu, qui a théorisé l’inégalité des chances à l’école, a plané sur les débats avec à chaque fois des interprétations dissonantes.

D’abord par le rapporteur du texte, Gabriel Attal. De quoi énerver la députée communiste Elsa Faucillon qui hurle à la captation d’héritage en s’écriant : «  Citer Bourdieu pour justifier la sélection, il fallait oser !  » Les visions se sont opposées à de multiples reprises. Les déterminismes sociaux contre lesquels la gauche souhaite lutter ont été au cœur des discussions autour de la philosophie du texte.

La ministre a balayé les critiques sur le successeur d’APB, Parcoursup. Un amendement déposé par Cédric Villani, de LREM, demandait que le code source de la plateforme soit dévoilé, une demande jamais totalement satisfaite concernant feu APB. Il a été adopté. Les élu·e·s de La France insoumise n’ont cessé de réclamer plus de place pour accueillir les étudiants. Cette année, l’afflux démographique a été tel que l’université a vu 39 000 bacheliers supplémentaires s’y inscrire.

Le rapporteur Gabriel Attal a opposé une fin de non-recevoir à cette demande, référence à l’appui : « Nous ne sommes pas dans Astérix, mission Cléopâtre ! Nous n’avons pas de potion magique ! Nous ne pouvons pas créer des universités en six mois ! Il faut tenir des propos un peu réalistes !  » La ministre Frédérique Vidal a mis en avant l’investissement « exceptionnel  » du gouvernement pour l’enseignement supérieur, 1 milliard d’euros sur la législature.

À plusieurs reprises encore, Ugo Bernalicis, député du Nord, ou François Ruffin, élu de la Somme, ont ramené le débat sur le terrain de la précarité étudiante. Le premier en insistant sur les mauvaises conditions de vie dans les résidences universitaires, infestées de «  nuisibles  ». Le second, en citant « les sortes de réunions Tupperware » qu’il a organisées avec des étudiants de sa circonscription. Aucun de ceux-ci ne sont satisfaits par la réforme, a raconté le député, exemples précis à l’appui, autour du travail et des difficultés à concilier ces jobs et études.

Avec cette loi, l’inscription pourra « être subordonnée à l’acceptation  » des « dispositifs d’accompagnement pédagogique ou du parcours de formation personnalisé proposés par l’établissement ». La ministre promet avec une tentative d’humour que cet « accompagnement  » ne sera pas une « punition » durant laquelle l’étudiant se verrait « infliger des heures de colle » ou serait forcé « à recopier cinquante fois des tables de multiplication ».

Le décrié tirage au sort disparaît. « Lorsque le nombre de candidatures excède les capacités d’accueil  », les universités trancheront « au regard de la cohérence entre, d’une part, le projet de formation du candidat, les acquis de sa formation et ses compétences et, d’autre part, les caractéristiques de la formation.  » Le recteur pourra aussi prendre en compte les situations particulières liées par exemple au handicap du candidat.

Une nouvelle contribution pour financer la vie étudiante a également fait son apparition. À l’origine, le gouvernement avait prévu un montant variable selon le cycle de l’enseignement supérieur dans lequel est inscrit l’étudiant : 60 euros pour le premier cycle, 120 euros pour le deuxième et 150 euros pour les doctorants. L’opposition de gauche comme de droite a fait front contre cette proposition, lui préférant un montant unique.

Les élus de La République en Marche se sont cramponnés tout au long de la discussion à ses éléments de langage tels «  l’émancipation » et « la responsabilisation » des jeunes voulues par ce projet. Difficile dans ces conditions de trouver un espace pour infléchir ces positions aussi affirmées.

Les députés ont rejoué la même partition qu’en commission des affaires culturelles et de l’éducation. Une semaine plus tôt, au sein de cette commission, hormis quelques interrogations, le texte était passé sans grand mal. Dans un style très consensuel, donnant des gages d’intérêt et de bonne volonté à chacun des groupes d’opposition, le rapporteur du texte Gabriel Attal avait réussi à limiter les prises de bec sur les points les plus sensibles de la réforme.

La droite n’avait pas trouvé grand-chose à redire au projet de loi. «  Si nous étions en conseil de classe nous pourrions dire “des progrès certes, mais peut mieux faire”  », avait évalué Constance Le Grip pour Les Républicains.

C’est la nouvelle plateforme, censée remplacer APB, qui avait suscité le plus de débat. Pour le groupe Nouvelle Gauche, George Pau-Langevin s’était émue de l’«  abandon de la règle traditionnelle selon laquelle tout candidat est libre de s’inscrire dans l’établissement de son choix ». Sabine Rubin, de La France insoumise, avait considéré que le vrai enjeu, qui avait entraîné le tirage au sort dans certain cas, n’était pas tant la plateforme et ses modalités que le nombre de places.

Les échanges avaient également porté sur les « dispositifs d’accompagnement pédagogiques », ou « parcours personnalisés  », sortes de mises à niveau préalables à l’inscription des bacheliers qui n’auraient pas répondu à tous les attendus d’une formation du supérieur. « Est-ce un parcours parallèle pendant la première année universitaire ou demande-t-on aux candidats de suivre une année supplémentaire post-bac avant l’accès à l’université ?  » s’était par exemple interrogé le député LREM Jacques Marilossian.

De l’autre côté, c’est peu dire que la contestation est anesthésiée. La Fage, principale organisation étudiante, soutient le gouvernement. L’Unef, désormais seconde voix du syndicalisme étudiant, peine à agiter les foules estudiantines. La preuve, le premier jour d’examen du texte, un micro-rassemblement a réuni une quarantaine de personnes selon l’AFP, à quelques pas de l’Assemblée nationale. L’hémicycle quant à lui n’affiche pas meilleure mine, une soixantaine de députés ayant participé à ces débats.

La première journée a été consacrée à débattre de l’article premier de la loi. Celui-ci rappelle que le premier cycle est ouvert à tous les titulaires du baccalauréat – ou équivalence – mais qu’il est précédé d’une procédure nationale de pré-inscription.

Désormais, les universités pourront examiner les dossiers des candidats et leur demander de suivre une remise à niveau. Si l’université manque de places, elle pourra refuser un candidat au regard de son dossier et des compétences et connaissances attendues. Celles-ci ont été dévoilées le même jour. Dans un document de 48 pages, le ministère détaille les éléments de cadrage national pour chaque mention de licence.

Seulement la liste reste floue. Rien ne permet de savoir comment les universités mesureront l’adéquation des souhaits du candidat avec la formation souhaitée. Ces nouvelles conditions ont suscité la circonspection parmi les organisations étudiantes et les syndicats. La députée LR Constance Le Grip a souligné le caractère timoré de celles-ci : « Les timides “prérequis” envisagés dans un premier temps et devenus depuis les euphémiques “attendus” ne répondent pas à cette attente, loin s’en faut. » Le débat à l’Assemblée nationale n’a pas pu livrer d’éclairages supplémentaires.

Pour accéder en droit, le lycéen devra témoigner de capacités rédactionnelles et oratoires et suivre un module « découverte du droit  », matière non dispensée au lycée. Mais sous quelle forme ? Pour la psychologie, les bacheliers devront avoir des connaissances scientifiques solides. Or en filière littéraire, en terminale, il n’y a plus de mathématiques et de sciences, évaluées en fin de première. Difficile d’imaginer dès lors que les titulaires d’un bac L auront la priorité pour intégrer cette filière en tension.

Les bacheliers professionnels semblent n’avoir pas plus de chance d’entrer en licence au vu de l’étendue des connaissances demandées. La démocratisation de l’enseignement supérieur prend, de fait, un coup d’arrêt avec cette loi malgré les dénégations de l’exécutif.

La ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, Gabriel Attal et Christine Cloarec, députés LREM, ont fait adopter un taux unique de contribution à 90 euros dont devront s’acquitter les étudiants. Les boursiers en seront exonérés.

L’Assemblée nationale a aussi voté, comme prévu, la suppression de la cotisation de Sécurité sociale de 217 euros que versaient les étudiants, dès la prochaine rentrée. Plusieurs députés ont fait valoir la nécessité de veiller à ce que les étudiants aient un accès facilité aux soins, beaucoup d’entre eux faisant l’impasse faute de moyens, ou se soignent en ayant recours à l’automédication avec tous les risques encourus.

Les députés ont voté la suppression du régime de sécurité sociale spécifique des quelque 2 millions d’étudiants et leur rattachement progressif au régime général à partir de la rentrée 2018.

« Une avancée majeure réclamée par un certain nombre d’organisations représentatives des étudiants et qui permettra une réelle simplification administrative pour ce public, facilitant leur accès aux soins  », a justifié le rapporteur Gabriel Attal. Les Républicains ont néanmoins protesté et demandé, sans succès, un report de deux ans de la réforme. Ils craignaient un engorgement de dossiers à l’assurance maladie qui doit par ailleurs absorber également la suppression du RSI, le régime social des indépendants.

Les mutuelles étudiantes ont essuyé nombre de critiques ces dernières années en raison de leur frais de gestion trop élevés, de leurs remboursements ou délivrance de carte vitale aléatoires. Pour que les étudiants puissent « participer à la gouvernance de l’assurance maladie », Gabriel Attal a fait adopter un amendement prévoyant la présence d’un représentant des étudiants au conseil de l’assurance maladie. L’opposition en réclamait deux.

Les désaccords sont aussi apparus à l’occasion de l’évocation de l’année de césure. Dorénavant, tout étudiant pourra suspendre, « pour une durée maximale d’une année universitaire, sa présence dans l’établissement pour exercer d’autres activités lui permettant d’acquérir des compétences qui seront utiles pour sa formation ou de favoriser un projet personnel ou professionnel », selon le texte défendu par la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal.

Les députés insoumis ont souligné le « caractère irréel  » de la discussion selon les mots de Jean-Luc Mélenchon, appuyé par Alexis Corbière. Ce dernier a expliqué que cette disposition sera génératrice d’inégalités : « À défaut, on reproduira l’inégalité qui fait que seuls les fils des catégories les plus aisées pourront mettre à profit cette année-là, tandis que ceux des catégories modestes, boursiers, ne le pourront pas. »

Parfois, l’Assemblée a su taire ses divergences. Les députés ont par exemple adopté à l’unanimité (par 60 voix sur 61 votants) un amendement, déposé par le groupe Nouvelle Gauche, qui « fixe un pourcentage minimal de bacheliers retenus bénéficiaires d’une bourse nationale de lycée » dans les classes préparatoires aux grandes écoles, les BTS et les IUT afin de favoriser la diversité sociale. « Nous entendons votre souhait de favoriser une plus grande démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur pour plus de boursiers dans les grandes écoles et les classes préparatoires  », a commenté le rapporteur du projet de loi.

La ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a de son côté « salué le travail déjà fait par nombre de filières sélectives et des classes préparatoires aux grandes écoles ». Le chef de file de La France insoumise a voté le texte pour, a-t-il dit, « en finir avec le mécanisme de reproduction sociale  ». Les députés ont également su s’accorder sur la possibilité de mettre en place un parcours adapté pour des femmes enceintes ou pour raisons de santé.

Jusqu’au bout, l’opposition aura tenté de faire entendre ses arguments. En vain, en dehors de ces quelques concessions. Le vote solennel du texte aura lieu le 19 décembre.