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Les faux-semblants des filières d’excellence - Pierre Merle, "La Vie des idées", 5 septembre 2017

samedi 9 septembre 2017, par Laurence

Les filières d’excellence au collège sont controversées. Ceux qui les défendent considèrent qu’elles sont indispensables au système scolaire et à la constitution des élites. Mais elles s’avèrent inefficaces et ne font que creuser les inégalités, sociales et ethniques.

Depuis juin 2017, Jean-Michel Blanquer, nouveau ministre de l’Éducation nationale, est revenu sur la politique de réduction du redoublement et, à l’école élémentaire, a autorisé la semaine de 4 jours au lieu de 4 jours et demi. Il est aussi revenu sur une dimension essentielle de la réforme du collège entrée en vigueur à la rentrée scolaire 2016. Celle-ci se caractérisait notamment par une réduction de la diversité de l’offre pédagogique des établissements avec l’intégration des options latin et grec intégrées dans les EPI (Enseignements pratiques interdisciplinaires) et, mesure emblématique, la suppression des sections européennes et des classes bilangues (2 langues vivantes dès la sixième). L’une et l’autre sont de nouveau autorisées. Le retour des filières d’excellence est-il souhaitable ou néfaste ? Quelles peuvent être les conséquences de cette décision ?

Les arguments discutables en faveur des filières d’excellence

Les partisans des filières d’excellence présentent plusieurs arguments pour défendre celles-ci. Le premier est de considérer que ces filières, réservées de fait aux bons élèves, seraient nécessaires à la constitution d’une élite scolaire. L’argument peut se résumer de la façon suivante : si l’école française n’est pas performante, ne supprimons pas ce qui fonctionne. Cet argument n’est pas valide. De 2008 à 2014, en classe de troisième, la proportion de bons et très bons élèves en mathématiques (groupes de compétences 4 et 5) a baissé de 28,6 % à 24,4 %, soit une baisse de plus de 4 points en 6 ans (voir Graphique 1). Si le regroupement des meilleurs élèves dans des filières d’excellence est une condition nécessaire et suffisante à la constitution ou au maintien d’une élite scolaire, pourquoi celle-ci a-t-elle connu une baisse si rapide pour les élèves de troisième ?

La constitution d’une élite scolaire dès la classe de sixième est même contre-productive. La concentration des très bons élèves dans une même classe, source de concurrence interindividuelle, est potentiellement un facteur de stress défavorable aux apprentissages. De surcroît, pour les moins bons élèves scolarisés dans ces classes d’excellence lors de leur inscription en sixième, leur déclassement scolaire relatif peut entraîner une révision à la baisse de leur estime de soi, et affecter leur progression scolaire (Lieury et Fenouillet, 2006).

Plus globalement, plus le niveau des classes et des établissements augmente, moins leurs élèves, pourtant de bons niveaux scolaires, ont tendance à se percevoir compétents (Dumas et Huguet, 2011). Les établissements sélectifs et élitistes exercent pour cette raison un effet négatif sur l’image de soi des élèves. À l’inverse, scolarisé dans un établissement et une classe de niveau scolaire hétérogène, un bon élève, se comparant à ses pairs, développera un sentiment de compétence élevé. Cet effet est connu sous l’expression du « gros poisson dans une petite mare » (Big Fish Little Pond Effect) (Davis, 1966). Il montre que l’image qu’a un élève de soi est meilleure s’il se perçoit comme un gros poisson dans une petite mare (c’est-à-dire un bon élève dans un établissement moyen) qu’un petit poisson dans une grande mare (un bon élève dans un établissement d’excellence scolaire). Or l’image de soi est un des meilleurs prédicteurs de la réussite scolaire, et exerce des effets cognitifs et comportementaux spécifiques, notamment sur la motivation et la performance scolaire. La pertinence de la théorie du «  gros poisson dans une petite mare  » a été validée pour les collégiens français (Huguet et al., 2008) et dans 26 systèmes éducatifs (Marsh et Hau, 2003).

Un deuxième argument avancé par les défenseurs des filières d’excellence est que celles-ci sont nécessaires aux collèges publics pour lutter contre la concurrence des établissements privés. Cet argument est également discutable. La réforme du collège de 2016 a supprimé les classes européennes et bilangues dans tous les collèges, qu’ils soient publics ou privés. À l’inverse, quand ces filières d’excellence existaient, certains des établissements publics au recrutement social défavorisé en étaient dotés par le Rectorat, pour éviter une trop forte ségrégation entre les établissements publics et la fuite des élèves dans les établissements au recrutement plus aisés, qu’ils soient publics ou privés. La situation des établissements privés était est toute différente. En l’absence d’établissements privés au recrutement fortement populaire, les diocèses concentraient leurs filières d’excellence dans les meilleurs établissements, pour concurrencer les établissements publics (Merle, 2010, 2011). La concurrence public-privé est donc accentuée par l’existence des filières d’excellence et une moindre différenciation de l’offre pédagogique réduit celle-ci.

Toutefois, certains défenseurs des filières d’excellence font l’éloge de la concurrence entre établissements et considèrent que celle-ci doit être stimulée. Elle favoriserait l’efficacité du système éducatif. Cette idée n’est pas confirmée par les recherches. La concurrence entre établissements, directement liée à l’inégalité de l’offre pédagogique et à la possibilité d’un choix des parents, n’est pas une variable explicative du niveau de compétences des élèves (OCDE, 2014). Le principe d’une égalité de l’offre pédagogique, proposé par le rapport Thélot (2004), a même l’avantage de réduire les effets pervers de la concurrence entre les établissements, spécifiquement la forte concentration des bons élèves d’origine aisée dans les filières d’excellence (Merle, 2012).

Filières d’excellence et dualisation du système éducatif

Le retour des filières d’excellence va mécaniquement renforcer la dualisation du système éducatif français. La différenciation des établissements est déjà forte. À titre d’exemple, parmi les collèges favorisés, 10,7 % d’entre eux proposent 5 langues vivantes ou plus à leurs élèves. Cette proportion n’est que de 0,1 % pour les collèges défavorisés (Balluteau, 2013). Le retour des filières d’excellence et la différenciation des établissements qu’elles favorisent vont contribuer à la croissance des inégalités sociales d’accès à l’apprentissage des langues vivantes entre les élèves scolarisés dans les établissements au recrutement aisé, richement dotés, et les autres établissements, spécifiquement les établissements au recrutement populaire.

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