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Contre le suivi de carrière ! Le retour de l’évaluation sanction - 6 mars 2017
mercredi 8 mars 2017, par
Pour apporter votre soutien à ce texte, vous pouvez envoyer un mail à l’adresse : suividecarriere@gmail.com. Voici la lettre qui accompagne le texte envoyé à SLU et d’autres.
Chères et chers collègues,
Nous avons rédigé un argumentaire en 10 points à propos du dispositif nouveau de "suivi de carrière", soutenu par plus de 80 spécialistes du travail, de santé au travail comme de l’université ainsi que des collègues "évaluateurs" au sein du CNU ou encore du Comité national du CNRS. Vous le trouverez ci-joint, ainsi que sa liste de signataires.
Il s’agit d’un argumentaire “pédagogique”, en 10 points sur les conséquences du "suivi de carrière", appliqué dès cette année dans les établissements de la vague C, dont fait partie votre institution. L’idée principale est que ce dispositif va modifier profondément le statut des enseignants-chercheurs en remettant un peu plus en cause le lien fondamental entre l’enseignement et la recherche. En effet, derrière l’instauration de cette évaluation systématique et récurrente (qui s’ajoute à toutes les autres évaluations dont nous faisons déjà l’objet), c’est la modulation des services qui est toujours (depuis 2007) l’objectif poursuivi. Une modulation qui se traduira pour le plus grand nombre (pour des raisons budgétaires, dans le contexte budgétaire que nous connaissons) par l’accroissement des charges d’enseignement, dégradant encore les possibilités de faire de la recherche.
Ce texte a plusieurs visées :
il s’agit avant tout d’informer nos collègues, souvent encore peu au courant, ou parfois influencés par les discours dominants sur l’évaluation individuelle de nos activités présentée comme “normale” et “positive” ;
nous souhaitons essayer de mobiliser sur le sujet, c’est-à-dire sur la dégradation des conditions d’exercice du métier d’enseignant-chercheur et sur la destruction de l’université française ;
nous interpellons par ce biais les différents acteurs clés de l’ESR (ministère, syndicats, associations professionnelles etc.) mais aussi l’opinion publique (d’où la forme adoptée d’un argumentaire en dix points) dans un contexte de campagne électorale, où la presse et des responsables politiques sont destinataires également de ce texte.
La modulation individuelle du service des enseignants chercheurs (EC) introduite par le décret n° 2009-460 du 23 avril 2009 (« loi Pécresse ») est toujours d’actualité ! Si l’évaluation quadriennale des EC qui devait la mettre en place a disparu, elle a été remplacée par le « suivi de carrière », institué par le décret n° 2014-997 du 2 septembre 2014, dont les finalités peuvent apparaître obscures dans un premier temps mais s’inscrivent en réalité dans le sillon tracé par la « loi Pécresse ». La circulaire DGRH A2-2 n°182 -dite circulaire Gaudy- relative à la gestion des carrières des EC pour l’année universitaire 2016-2017, datée du 11 octobre 2016 (complétée le 9 février 2017 par celle-ci), en a fixé les modalités. Les EC devront envoyer tous les cinq ans, la même année que la vague d’évaluation de leur établissement par l’HCERES (Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur), un rapport d’activité détaillé (enseignement, recherche, responsabilités administratives et autres), qui sera examiné par la section du CNU (Conseil National des Universités) à laquelle ils sont rattachés. Celle-ci adressera ses recommandations à l’EC et à son chef d’établissement ; les recommandations pourront porter sur « les évolutions professionnelles envisageables ou attendues », « les stratégies pouvant ou devant être développées en matière de recherche ou de formation », « l’amélioration de la qualité de la candidature de l’EC à diverses promotions » (voir Bulletin Officiel du 14 Mai 2015) ; surtout, la modulation individuelle des services reste inscrite dans les textes, comme le caractère obligatoire et non-confidentiel de l’évaluation. Le contexte budgétaire très dégradé de nos établissements (multiples gels de postes, explosion de la précarité, dégradation des conditions de travail des personnels et d’accueil des étudiant.e.s…) ne laisse guère d’espoir quant aux moyens susceptibles d’être mis en œuvre pour favoriser « le développement des potentiels et l’épanouissement professionnel » (sic) des EC. La modulation individuelle des services est, quant à elle, préconisée par l’IGAENR(Inspection Générale de l’Administration de l’Education Nationale et de la Recherche, rapport de septembre 2015) comme par la CPU (Conférence des Présidents d’Université). Ce que l’on voudrait nous faire passer pour un « accompagnement professionnel » n’est en fait qu’un nouvel avatar de l’évaluation-sanction de 2009. Pour s’en convaincre, déconstruisons…
10 idées fausses et reçues sur le “suivi de carrière”
1-Évaluer des fonctionnaires, c’est bien normal, les EC n’ont pas à y échapper.
Bien sûr, l’Etat doit être en mesure de rendre des comptes sur les activités des administrations publiques. L’indépendance garantie aux EC ne signifie pas que ceux-ci échappent à toute évaluation de leurs activités (voir idée reçue n°2). La différence avec le reste de la Fonction Publique réside dans les rapports des EC à une hiérarchie qui est uniquement fonctionnelle. Nous avons en effet un statut dérogatoire au sein de la Fonction Publique : les présidents, les directeurs d’UFR (Unité de Formation et de Recherche), de département ou de laboratoire sont des pairs, et comme tels des élus. Au fondement de cette organisation, on trouve la nécessité de rendre le travail universitaire, et donc la construction des savoirs et leur transmission, les plus indépendants possibles des pouvoirs et lobbies politiques, religieux et économiques. Cette logique d’autonomie a été théorisée par les encyclopédistes dès la fin du XVIIIe et notamment par Condorcet dans son projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique ; les réformateurs de la IIIe République la mettront en place, considérant que la production et la transmission de connaissances et d’idées sont des biens d’intérêt général et des activités trop précieuses pour les assujettir à des contingences susceptibles de les confisquer ou de les vicier.
Les finalités et modalités du type d’évaluation que serait le « suivi de carrière » ne supprimeraient pas une supposée inégalité de traitement dans la Fonction Publique, alors qu’elles remettent profondément en cause l’indépendance de la science, dans un cadre grandissant de marchandisation du savoir, prévalant en France depuis le début des années 2000.
2-Les différentes activités des EC ne sont jamais évaluées
Non, les EC sont évalués par leurs pairs constamment. Le quotidien de nos missions de recherche est l’évaluation, que nous exerçons et à laquelle nous nous soumettons, à travers les nombreux jugements collectifs scientifiques effectués sur nos travaux (qu’il s’agisse d’un article, d’un ouvrage, d’une proposition de communication, d’un projet de colloque, d’une demande de financement de projet, de dépôt d’un projet ANR -l’Agence Nationale de la Recherche ne retient par exemple que 10 % des projets de recherche déposés-, etc.). Ces travaux sont aussi collectivement évalués via les expertises quinquennales de l’HCERES de nos laboratoires [1]. Quant à notre mission d’enseignement, l’HCERES expertise, tous les cinq ans également, les offres de formation de nos établissements ; sans compter les étapes de création ou remodelage de maquettes d’enseignement, durant lesquelles nos cours font l’objet d’évaluations et discussions collectives, notamment par les directions d’établissements. Les étudiants sont également sollicités pour évaluer l’enseignement reçu, comme le veut la législation depuis 1997. Par ailleurs, les activités des EC sont déjà accessibles à tous, puisque publicisées à travers leurs pages internet institutionnelles ; elles sont nécessairement connues de nos supérieurs fonctionnels, qui sont au moins annuellement informés des enseignements menés comme des activités de recherche et des responsabilités pédagogiques et administratives exercées.
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[1] Il peut même y avoir des formes de sanctions pour les collègues « non produisants » (i.e. qui n’ont pas publié dans les revues labellisées « centrales » par les plus « hautes » instances d’évaluation) et qui se trouvent alors mis à l’écart du laboratoire et donc de ses ressources financières, matérielles et humaines jusqu’à la prochaine évaluation.