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Economistes sous influence : les conflits d’intérêt nuisent gravement à la politique de santé – Christian Lehmann, En attendant H5N1, 7 juin 2015

mardi 16 juin 2015, par Victoria Serge

Christian Lehmann (médecin généraliste et écrivain) n’est pas content (mais alors pas content du tout !) de la destruction en cours et programmée du système public de santé français pour le plus grand profit attendu des assurances. Il le dit, l’analyse, le dénonce depuis des années dans des livres (ici et )et sur son blog.

Ces derniers jours, c’est à l’économétrie de la santé qu’il s’intéresse. Plus exactement à l’une des stars de celle-ci, Brigitte Dormont, conseillère des princes et titulaire de la Chaire Santé Paris-Dauphine.

La question qu’il pose nous intéresse directement. Les banques, les assureurs, sont-ils en train d’étendre leur influence au sein de l’Université Française et la transformer en simple caution pour appuyer leur lobbying afin d’influencer la décision politique ?

Version courte ci-dessous et liens vers deux articles plus développés.

Lire sur le blog de Christian Lehmann

Depuis des mois, Marisol Touraine répète en boucle que le tiers-payant généralisé est une simple mesure de justice sociale qui réglera les problèmes d’accès aux soins en France.

Mais une des économistes les plus en vue au Parti Socialiste, ancienne membre de l’équipe de campagne de Martine Aubry, conseillère du Premier ministre Manuel Valls et membre d’un impressionnant réseau de think-tanks, vend la mèche sur France-Culture quelques jours à peine après le passage du projet de loi Santé à l’Assemblée Nationale.

Sans cacher sa jubilation, Brigitte Dormont, de la Chaire Santé Paris-Dauphine, révèle que le tiers-payant signe « la mort annoncée de la médecine libérale », et que « c’est une bonne chose  ». Enfonçant le clou, elle confirme ce que dénoncent sans relâche depuis plus de deux ans une majorité de professionnels hostiles à cette Loi : les médecins, payés directement par l’assureur, en deviendront dépendants, devront suivre ses consignes. « L’organisme en charge du paiement », annonce t-elle fièrement, aura « les moyens financiers de faire pression sur les médecins ».

Si ce désastre réjouit Brigitte Dormont, c’est que la ligne directrice de ses travaux, depuis des années, consiste à dénigrer les médecins. Dans une étude intitulée « Est-il profitable d’être médecin généraliste », elle utilise des équations mathématiques qu’elle manipule au gré de ses besoins pour nier que le différentiel de revenu entre médecins et cadres tient à l’amplitude des horaires de travail. Dans une autre étude particulièrement caricaturale, « Médecins généralistes à faibles revenus : une préférence pour le loisir ?  », une de ses collègues explique benoîtement que si certaines femmes-médecins ont de faibles revenus, c’est qu’elles consacrent trop de temps aux loisirs et pas assez à leur pratique médicale. La preuve ? Nombre d’entre elles ont obtenu tardivement leur thèse, ce qui « pourrait révéler un manque de motivation du futur médecin qui se traduirait… par une plus grande difficulté à attirer sa clientèle ». Lorsqu’on sait la difficulté pour une jeune interne de mener conjointement cursus hospitalier et grossesse, la piètre prise en charge des congés-maternité des femmes médecins de ville, ou le fait que la profession de généraliste fait partie des grossesses considérées comme à risque, on reste ébahi de l’incohérence des conclusions hâtives d’économistes hors-sol totalement déconnectés de la réalité de la pratique quotidienne, et pour qui médecin comme patient ne représentent que des variables économiques.

Biais méthodologiques manifestes, bidouillage des données économiques, jugements à l’emporte-pièce, refus de confronter leurs théories farfelues à la réalité sociologique, « certains économistes théoriques peuvent parfois être assez déconnectés de la réalité », comme l’énonce un chercheur à l’École d’économie de Toulouse récemment dans Les Échos.

Mais au-delà de ces partis pris, c’est tout le fonctionnement de la Chaire Santé Paris-Dauphine qui est en cause. En l’absence des régulations mises en place par les meilleures universités anglo-saxonnes (Berkeley, Stanford, London School of Economics), pour gérer les liens d’intérêt, des puissances financières : banques, assureurs, peuvent étendre leur influence au sein de l’Université Française et la transformer en simple faire-valoir, caution qu’ils utilisent à des fins de lobbying afin d’influencer la décision politique.

Le rôle de Brigitte Dormont, économiste contemptrice des médecins libéraux qu’elle rêve voir demain « dépendants de leurs financeurs » avec qui par le plus grand des hasards elle met en place de lucratifs partenariats public-privé au sein de l’Université, pose question : les conflits d’intérêt nuisent gravement à la politique de santé.

Pour ceux qui veulent pousser la réflexion plus avant, deux textes longs :

Mort planifiée de la médecine libérale : A qui profite le crime ? et Les conflits d’intérêt nuisent à la politique de santé (dont SLU vous recommande chaudement la lecture)

ainsi qu’une vidéo amusante, et pédagogique :
Brigitte Dormont, ou l’économétrie pour les nuls