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Ces dossiers minés qui attendent le futur ministre de la Recherche - Yann Verdo, Les Echos, 11 juin 2015

samedi 13 juin 2015, par Mr Croche

Trois mois après le départ de Geneviève Fioraso, la nomination de son successeur est enfin donnée comme imminente.
Son arrivée Rue Descartes aura lieu dans un contexte particulièrement tendu.

A lire sur le site des Echos

Plus de trois mois après le départ pour raison de santé de Geneviève Fioraso du secrétariat d’Etat à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, le fauteuil reste vide. Mais ce ne serait plus qu’une question de jours avant qu’un ou une remplaçant(e) soit enfin nommé(e).

Si les rumeurs vont bon train autour du nom de l’heureux(se) élu(e) - Alain Claeys ? Thierry Mandon ? Maud Olivier ?... -, une chose est d’ores et déjà certaine : ses futurs interlocuteurs sont très, très remontés. Et - si ce n’est pour dire que tout va de mal en pis, point sur lequel tous s’accordent -, rarement du même avis entre eux.

D’abord, cette longue mise entre parenthèses a été fort mal vécue. « Nous sommes passés d’un ministère de plein exercice à un secrétariat d’Etat puis d’un secrétariat d’Etat à plus rien du tout, ironise Jean-François Bach, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences. L’impression que cela donne, c’est que l’Enseignement supérieur et la Recherche ne constituent pas pour le gouvernement la priorité qu’il dit être. » Et d’ajouter, pour bien enfoncer le coin : « Si ce départ s’était produit au ministère de l’Ecologie, on n’aurait certainement pas attendu trois mois pour trouver un successeur à Ségolène Royal. »

Encore s’il ne s’agissait que d’effacer cette mauvaise impression ! Mais il y a beaucoup plus grave. Tant du côté de l’enseignement supérieur que de celui de la recherche, des universités que des organismes de recherche et des grandes écoles, les sujets de mécontentement s’accumulent, les urgences s’amoncellent. Partout, le terrain est miné.

Commençons par l’enseignement supérieur.

A l’heure où s’ouvrent les négociations avec Bercy - la citadelle tant redoutée, tant fantasmée - pour préparer le budget 2016, c’est peu dire que l’absence prolongée de « politique » au-dessus des strates administratives n’a pas créé un climat serein. « La relation entre le ministère et ses opérateurs s’est nettement dégradée depuis le départ de Geneviève Fioraso », constate Laurent Carraro, directeur général d’Arts et Métiers ParisTech. Que ce soit la façon dont les Finances ont géré en direct le prélèvement global de 100 millions d’euros sur les fonds de roulement des universités et grandes écoles pour renflouer les caisses de l’Etat, ou le fait que le Commissariat général à l’investissement ait imposé que le regroupement des établissements d’enseignement supérieur au sein des Idex (initiatives d’excellence) se ferait sur le mode de la fusion pure et simple, les « diktats de Bercy » ont provoqué des remous, chauffé à blanc les esprits.

L’arrivée d’un nouveau secrétaire d’Etat Rue Descartes suffira-t-elle à changer la donne ? Marqué à gauche, le physicien Bruno Andreotti, à la pointe de la fronde des universitaires, en doute fortement. Les ministres passent, mais les hauts fonctionnaires restent, analyse-t-il en substance. Dans sa ligne de mire : les membres du groupe Marc Bloch, ce club très discret dont les membres (présidents d’université, directeurs d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche…) verrouilleraient, selon lui, tous les postes de pouvoir - qu’il s’agisse des conseillers successifs de François Hollande ou de la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP). Gouvernement après gouvernement, ce serait selon lui ce groupe qui serait aux manettes et imposerait - avec une remarquable constance - les grandes orientations en matière d’enseignement supérieur et de recherche : la baisse, amorcée en 2006, du nombre de postes d’enseignants-chercheurs publiés chaque année, le détricotage des budgets alloués aux universités au profit des grands lobbys industriels publics ou privés, ou encore, poursuit-il, « ce qu’on a baptisé du doux nom d’"autonomie" et qu’il vaudrait mieux appeler la dépossession des enseignants-chercheurs de tout droit de regard sur leur métier ». La mesure qu’il faudrait prendre de toute urgence à ses yeux ? Revaloriser le doctorat, par exemple en conditionnant l’octroi d’un crédit impôt recherche au recrutement de docteurs.

La recherche

Si les universitaires sont en colère, les chercheurs relevant des organismes publics type CNRS ou Inserm ne le sont guère moins. Du haut de son fauteuil sous la Coupole, Jean-François Bach se fait l’écho de leurs plaintes. De l’argent pour financer les recherches ? Il n’y en a plus, ou presque. « Les budgets de l’Agence nationale de la recherche ont été tellement comprimés qu’elle est obligée de rejeter 90 % des demandes de financement qui lui parviennent », note-t-il. Et ce ne sont pas les fonds de roulement des organismes, vampirisés par les salaires et les dépenses de fonctionnement, qui suffisent à donner un peu d’air aux laboratoires. « Sur l’ensemble des chercheurs, seuls les 10 % les meilleurs peuvent encore s’en sortir grâce aux subsides de l’European Research Council (ERC). Mais pour tous les autres, parmi lesquels beaucoup de très bons, c’est devenu quasiment mission impossible de trouver de l’argent. »

A cette pénurie s’ajoute, selon lui, les situations souvent ubuesques engendrées par la loi Sauvadet, qui empêche un employeur de multiplier ad libitum les CDD. Résultat : un directeur de laboratoire, même s’il a l’argent nécessaire pour offrir un nouveau CDD à l’un de ses « postdoc », est obligé de le laisser partir, et bien souvent de quitter du même coup, dégoûté, la recherche. « Cette loi Sauvadet est peut-être bonne dans d’autres secteurs, mais il faudrait une dérogation pour les chercheurs », plaide le secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences.