Accueil > Revue de presse > Blogs > Doctorat, un arrêté provocateur – Pierre Dubois, Histoires d’universités, 22 (...)

Doctorat, un arrêté provocateur – Pierre Dubois, Histoires d’universités, 22 avril 2015

jeudi 23 avril 2015, par Pr. Shadoko

Suite du feuilleton sur le projet d’arrêté sur le doctorat.

Analyse pertinente et passablement énervée de Pierre Dubois.

Lire sur le blog de Pierre Dubois

Projet d’arrêté fixant le cadre nationalde la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat (30 articles). Ce projet reprend ou réforme des réglementations en vigueur, en introduit de nouvelles.

La logique des changements introduits est celle de la bureaucratie centralisatrice. Celle-ci ne peut pas supporter que des situations concrètes, même rarissimes, ne soient pas encadrées par des règles, des procédures. Elle ne veut pas comprendre qu’il est impossible de tout régler centralement ; il existera toujours des zones d’incertitude, dont Crozier a démontré, il y a plus de 60 ans , qu’elles étaient aussi des zones de pouvoir. La bureaucratie n’aime pas les libertés académiques, n’aime les décisions à la base qui reposent sur la confiance. La bureaucratie est méfiante et souhaite que le sommet de la hiérarchie organisationnelle (le président de la COMUE ou de l’établissement) décide de tout, contrôle tout. Cet arrêté pousse les règles plus loin qu’auparavant, repose sur une méfiance généralisée à l’égard des directeurs de thèse.

Crozier encore : l’hypercentralisation des règles et des procédures aboutit à une impasse et engendre une crise violente contre le système. Les meneurs de cette contestation à venir de la bureaucratie étouffante : les directeurs de thèse. L’arrêté les humilie, les déresponsabilise, les provoque. Vont-ils enfin crier : ça suffit ! Vont-ils se mettre en grève administrative à la rentrée 2015 (non examen ou non transmission des dossiers de candidature au doctorat) ?

La Confédération des Jeunes Chercheurs n’est pas davantage tendre à l’égard de l’arrêté, Réforme du doctorat le Ministère promet, les jeunes chercheur-e-s proposent : ce projet donne une image infantile des doctorant-e-s.

Texte de certains articles de l’arrêté et commentaires de ma part ou de la CJC. Autre analyse : celle des représentants des doctorants à l’école doctorale SHS de l’Université d’Amiens : contre la dénaturation du doctorat, défendons la qualité de la recherche.

Article 1. Le diplôme de doctorat peut s’obtenir dans le cadre de la formation initiale et la formation tout au long de la vie. Il peut notamment s’obtenir par la voie de l’apprentissage ou par la voie de la validation des acquis de l’expérience.
Commentaire de la CJC. La Validation des Acquis d’Expérience ou des nouveautés comme “la voie de l’apprentissage” et l’alternance pourraient ouvrir l’officialisation d’un travail de recherche non financé ou financé par l’allocation chômage.
Dans le cadre de la mise en œuvre de la politique scientifique de site, afin d’organiser à ce niveau la politique doctorale, de contribuer à sa visibilité et à la mutualisation des activités des écoles doctorales, il peut être créé un collège doctoral, auquel sont transférés une ou plusieurs compétences des écoles doctorales qui lui sont associées. Leurs modalités de fonctionnement sont fixées par les établissements dont relèvent les écoles doctorales. Commentaire. Une couche de plus dans le millefeuille institutionnel.

Article 2. Écoles doctorales inter-établissements au sein des regroupements… mais aussi Écoles doctorales comprenant hors un ou des établissements hors du regroupement. Commentaire : comme quoi les COMUE ne résolvent pas tout et qu’on peut faire encore plus compliqué.

Article 3.3. Formation des directeurs de thèse. Commentaire. L’habilitation à diriger des rechercher et la qualification par le CNU seraient donc insuffisantes. Défiance à l’égard des directeurs.

Article 4. Évaluation des formations et des enseignements (et donc des enseignants), en dialogue en particulier avec les représentants du mode économique ; incidence sur la carte des formations de l’établissement ou du site. Commentaire. Défiance à l’égard des directeurs.

Article 5. D’autres organismes publics ou privés peuvent également être reconnus comme établissements associés à une école doctorale… Nécessité d’une convention. Commentaire. Infiltration des établissements privés dans le système doctoral.

Article 6. Lorsqu’une école doctorale relève d’un seul établissement, le directeur de l’école doctorale est nommé par le chef d’établissement après avis de la commission recherche de la commission académique ou des instances qui en tiennent lieu et du conseil de l’école doctorale. Commentaire. Désignation des directeurs d’école et non élection par les pairs.

Article 8. Chaque chef d’établissement décide de l’attribution des financements pouvant être alloués aux doctorants inscrits dans son établissement sur proposition du directeur de l’école doctorale, après avis des directeurs de thèse concernés, des responsables des unités de recherche ou des équipes de recherches dans lesquelles les doctorants souhaitent poursuivre leurs travaux de recherche, et du conseil de l’école doctorale réuni en formation restreinte. Commentaire. Relire pour mieux assimiler la chaîne des avis et pour mesurer les temps de coordination.

Article 9. Conseil de l’école doctorale. 12 à 26 membres dont 20% de doctorants élus par leurs pairs… 15% de personnalités du monde économique. Commentaires. Un conseil pléthorique. Les Associations de jeunes chercheurs demandent davantage de représentants (CJC : présence d’un tiers d’élus doctorants dans les conseils d’écoles doctorales permettant une juste représentation). Les personnalités du monde économique seront absentéistes, sauf dans les sciences dures pour y orienter les sujets de recherche vers le développement rapide ou pour y faire de l’espionnage industriel passif.

Article 11. L’inscription en première année de doctorat est prononcée par le chef d’établissement sur proposition du directeur de l’école doctorale après avis du (des) directeur(s) de thèse et du directeur de l’unité de recherche sur la qualité du projet et les conditions de sa réalisation. Elle vaut admission aux formations dispensées par l’école doctorale. Lors de l’inscription annuelle en doctorat, le directeur de l’école doctorale vérifie que les conditions scientifiques, matérielles et financières sont assurées pour garantir le bon déroulement des travaux de recherche du candidat et de préparation de la thèse.
Commentaires. Bon courage au chef d’établissement. Bien lourde responsabilité pour le directeur de l’école. Défiance à l’égard des directeurs de thèse. Commentaire de la CJC : Le texte ne définit pas le sens de l’expression “bonnes conditions matérielles de travail”, évitant ainsi d’entamer la nécessaire évolution vers la mise en place progressive d’un salaire pour les travaux de recherche réalisés par tou-te-s les doctorant-e-s, comme c’est le cas pour toute autre activité professionnelle.

Article 12. Point 10 de la Charte. Engagement du doctorant à fournir des renseignements à l’établissement d’inscription sur son insertion professionnelle jusqu’à 5 ans après la soutenance. Commentaire. Engagement qui ne mange pas de pain !

Article 13. Un comité de suivi individuel de la formation veille au bon déroulement du cursus en s’appuyant notamment sur la charte du doctorat établie au moment de la première inscription. A partir de la deuxième année du doctorat, il organise au moins une fois par an en présence du doctorant un examen des conditions de sa formation et des avancées de sa recherche. Il formule des recommandations et transmet un rapport de l’entretien au directeur de l’école doctorale. Il veille notamment à prévenir toute forme de conflit, de discrimination ou de harcèlement. La composition de ce comité d’au moins trois personnes sans lien avec la formation du candidat est établie par l’école doctorale.
Commentaire. Défiance et encore défiance. Qui va accepter de participer à un comité de suivi ?

Article 14. La préparation du doctorat s’effectue en 3 ans maximum. Des dérogations, dans la limite de 2 années supplémentaires, peuvent être exceptionnellement accordées par le chef d’établissement, sur proposition du directeur de l’école doctorale et après avis du directeur de thèse, du comité de suivi individuel, du doctorant et du conseil de l’école doctorale, sur demande motivée du candidat. Commentaire. Autres avis suggérés : celui des collègues du doctorant, des secrétaires, des appariteurs, des associations de doctorants, des propriétaires en cas de location, du curé de la paroisse (ou du pasteur, du rabbin, de l’imam), sans oublier du commissaire de police.

Article 15. Un portfolio du doctorant comprend la liste individualisée des activités du doctorant durant sa formation. Il est mis à jour régulièrement par le doctorant en accord avec son ou ses directeurs de thèse. Il est transmis au jury par le directeur de l’école doctorale avant la soutenance de la thèse. Commentaire. Auto-flicage du doctorant pendant toute sa thèse.

Article 16. La direction de la thèse peut également être assurée sous forme de co-direction instaurée par convention entre un ou deux directeurs de thèse répondant aux conditions fixées ci-dessus et un praticien ou créateur reconnu pour sa notoriété et ses compétences. La proposition de codirection est soumise à la décision du chef de l’établissement accrédité, sur proposition du directeur de l’école doctorale. Dans ce cas, les doctorants sont placés sous la responsabilité scientifique des co-directeurs de thèse. Commentaire. Défiance à l’égard des directeurs.

Article 17. L’autorisation de soutenir une thèse est accordée par le chef d’établissement, après avis du directeur de l’école doctorale, sur proposition du ou des directeurs de thèse. Les rapporteurs extérieurs font connaître leur avis par des rapports écrits sur la base desquels le chef d’établissement autorise la soutenance. Ces rapports sont communiqués au jury et au candidat avant la soutenance. Commentaire. Les rapports ne sont pas soumis au directeur ?

Article 18. Le jury de thèse est désigné par le chef d’établissement après avis du directeur de l’école doctorale et du (des) directeur(s) de thèse. Le nombre des membres du jury est compris entre 3 et 8. Il est composé au moins pour moitié de personnalités françaises ou étrangères, extérieures à l’école doctorale et à l’établissement d’inscription du candidat et choisies en raison de leur compétence scientifique ou professionnelle ou leur notoriété dans le champ disciplinaire concerné, sous réserve des dispositions relatives à la co-tutelle internationale de thèse.
Sa composition tend à respecter un objectif de parité. La moitié du jury au moins doit être composée de professeurs ou assimilés. Le ou les directeurs de thèse siègent au sein du jury sans la qualité de membre. Ils ne prennent pas part à la délibération.
Commentaires. Trop, c’est trop ! Mobiliser jusqu’à 8 personnes dans le jury pour une thèse ! Y inclure des non-titulaires de l’HDR et en exclure le directeur ! La défiance à l’égard des directeurs atteint des sommets. Quel directeur acceptera une telle vexation ?