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Les 10 000 euros d’étrennes des recteurs d’académie font grincer des dents les enseignants - Luc Cédelle et Mattea Battaglia, Le Monde, 7 janvier 2015

mercredi 7 janvier 2015, par Hélène

Sur le site du Monde

Sur les réseaux sociaux, la polémique n’a pas mis longtemps à enfler, d’autant que presque tous les syndicats d’enseignants ont relayé l’indignation de leur « base ». « La prime annuelle des recteurs augmentée de 10 000 euros, ça passe mal…  », a tweeté, le 2 janvier, Christian Chevalier, secrétaire général du Syndicat des enseignants - Union nationale des syndicats autonomes (SE-UNSA). « Crise de recrutement chez les recteurs (humour) », persiflait déjà, le 29 décembre, le Syndicat national des enseignements de second degré - Fédération syndicale unitaire (SNES-FSU), soulignant que ainsi augmentée, la prime annuelle des 31 recteurs d’académie équivaut à « un an de salaire net de prof milieu de carrière ». En cause, un arrêté publié au Journal officiel le 28 décembre et fixant à 26 620 euros « le montant annuel de référence de la part fonctionnelle [autrement dit, fixe] de l’indemnité de responsabilité  » accordée à ces hauts fonctionnaires. Depuis 2010, elle était fixée à 15 200 euros.

Les enseignants n’ont pas tardé à sortir leur calculette : cette augmentation dépasse 68 %, alors qu’eux-mêmes supportent depuis maintenant quatre ans un gel de leurs salaires. Entre le sapin de Noël et la dinde, l’annonce était passée inaperçue. Le Syndicat national des lycées et collèges (Snalc), qui se définit comme apolitique, est monté au créneau le 2 janvier, dans un communiqué vigoureux intitulé « Recteurs : merci Père Noël ». « On achète un peu la conscience des recteurs, le consentement de l’administration aux réformes qui arrivent, explique au Monde son secrétaire général, François Portzer. C’est contraire à un principe d’exemplarité à l’heure où les collègues sont paupérisés. » Chaque organisation du monde enseignant — ou presque — a contesté, à sa façon, ce que toutes considèrent comme une « provocation  ».

Fonction revalorisée sous Chatel

C’est sous un gouvernement de droite, et à l’initiative du ministre de l’éducation Luc Chatel (2009-2012), que la fonction de recteur avait été revalorisée, un arrêté du 12 novembre 2010 créant cette indemnité de responsabilité. Celle-ci se divise en deux parts : l’une dite « fonctionnelle » et dont le montant vient de bondir ; l’autre dite « variable », pouvant atteindre 45 % de la première en fonction, notamment, des objectifs atteints par les recteurs.

De ce fait, parce que les deux parties sont liées, un recteur pourrait désormais toucher, selon le Snalc, « plus de 37 000 euros de prime annuelle  ». Ce que dément le ministère de l’éducation nationale. Dans l’entourage de Najat Vallaud-Belkacem, on ne sous-estime pas «  l’agacement des enseignants  », mais on défend « une mesure de rattrapage, d’alignement des indemnités des recteurs sur celles de fonctions équivalentes ». « On a aujourd’hui, fait-on savoir au cabinet de la ministre, des situations où des recteurs sont moins rémunérés que leurs adjoints. Des universitaires ou des inspecteurs généraux qui, lorsqu’ils deviennent recteurs, perdent de 500 à 1 000 euros par mois… »

De nombreux autres avantages

Cet argument a peu de chances d’émouvoir les enseignants. Le revenu mensuel moyen d’un recteur, de source ministérielle, se situait avant revalorisation entre 7 500 et 8 000 euros, une somme augmentée désormais d’environ un millier d’euros. S’y ajoutent appartement, voiture de fonction, chauffeur et autres avantages liés à leur statut. Représentant direct du ministre, le recteur, nommé par le président de la République, est responsable de la totalité du système éducatif dans son académie (primaire, secondaire et supérieur).

« On reste, commente un ancien recteur, à un niveau de rémunération au mieux comparable à celui des présidents d’université ou des préfets, bien inférieur à beaucoup de salaires étrangers pour ce type de fonction, sans parler des salaires du privé. Cette affaire est un non-événement. Par ailleurs, les primes versées en administration centrale sont supérieures, y compris à des niveaux de responsabilité bien moindres. » Au ministère de l’éducation, on souligne aussi l’ampleur de la charge, avec en moyenne dans chaque académie 50 000 personnes et entre 1 et 2 milliards d’euros à gérer.

« Pour certains, 10 000 euros, c’est leur salaire annuel »

« Personne ne conteste la qualification ni les responsabilités des recteurs, affirme Frédérique Rolet, secrétaire générale du SNES-FSU, syndicat le plus puissant du second degré, mais le rattrapage doit alors concerner tout le monde.  » Même revendication de la part du Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC - Fédération syndicale unitaire (Snuipp-FSU), majoritaire au primaire. Son dirigeant, Sébastien Sihr, continue de réclamer que l’indemnité obtenue, en 2014, par les professeurs des écoles au titre du suivi et de l’accompagnement des élèves — 400 euros annuels — soit alignée sur celle des professeurs du secondaire (1 200 euros l’année).

« L’argument technocratique a bien sûr un impact politique dévastateur, commente pour sa part Christian Chevalier. Nous serions dans une période de croissance, cela passerait sans doute inaperçu. Mais, là, ce qui choque, c’est le décalage avec les efforts demandés à tous, et cette somme apparemment astronomique. Pour certains précaires de l’éducation nationale, 10 000 euros, c’est leur salaire annuel. »

Le gouvernement était-il tenu, comme le suggère le ministère, de procéder à cette revalorisation ? « Il n’y a pas d’automaticité en matière indemnitaire », assure le dirigeant du SE-UNSA. Si cette augmentation n’avait pas été validée, il n’y aurait pas eu de faute juridique de la part du ministère.  » Ce que confirme le juriste et ancien recteur Bernard Toulemonde. Tout en soulignant «  la très lourde charge que représente le travail d’un recteur  », M. Toulemonde rappelle que « ces hauts fonctionnaires n’ont jamais été les mieux payés de leur académie, leur rémunération étant surpassée par celle de certains professeurs de classes préparatoires et professeurs de médecine  ».

Reste que le gouvernement se serait bien passé d’une telle polémique à l’heure où la réforme de l’éducation prioritaire et les sorties de ZEP provoquent des tensions. A l’heure, aussi, où les recteurs se préparent à leur délicate tâche annuelle de répartition des postes d’enseignants.