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Benoît Hamon réveille le serpent de mer de la sélection à l’université - Nathalie Brafman et Benoît Floc’h, Le Monde, 25 juin 2014

jeudi 26 juin 2014, par Elisabeth Báthory

C’est un débat tellement sensible, capable d’entraîner des milliers d’étudiants dans la rue. Les gouvernements qui ont voulu s’attaquer à ce tabou s’en souviennent encore. Et pourtant, la sélection à l’université refait surface avec l’annonce, le 10 juin, de Benoît Hamon, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ce dernier a précisé devant l’Assemblée nationale qu’il entendait réformer la sélection en master.

A lire sur le site du Monde.

L’idée est simple : avancer d’un an le tri des étudiants. Celui-ci se ferait donc en M1, à l’entrée du master, et non plus entre le M1 et le M2, comme aujourd’hui. Une spécificité française jugée « baroque » dans un rapport de 2008 rédigé par Jean-Michel Jolion (aujourd’hui conseiller de Geneviève Fioraso, secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur), cela « n’a pas de sens » puisqu’on exclut ainsi des dizaines de « collés-reçus » qui ont entamé une formation sans pouvoir la terminer.

La Conférence des présidents d’université estime absurde et incohérent d’effectuer la sélection entre le M1 et le M2 car, depuis 2002, le master est un cursus complet. En 2013, une étudiante avait d’ailleurs attaqué l’université Bordeaux-IV, qui lui avait refusé une place en M2 de droit privé. Elle avait gagné en justice.

L’organisation à la française du master est héritée du passé, avant que la nomenclature licence-master-doctorat (LMD) ne se mette en place, en 2002. A cette époque, la sélection avait lieu après la maîtrise, soit à bac + 4. Les diplômes ont changé, mais le tri des étudiants est resté à bac + 4, soit au milieu du cycle.

« PRIVER D’UNE CHANCE NOMBRE D’ÉTUDIANTS »

Pour Benoît Hamon, cette situation est « inadmissible ». Le ministre promet de « tirer les conséquences de cette survivance qui ne satisfait personne et qui nécessite d’être réformée ». Personne ? L’UNEF, syndicat majoritaire chez les étudiants, est farouchement opposée à cette réforme. En 2006, puis en 2007, au moment de l’adoption de la loi sur l’autonomie, le syndicat avait fait reculer la droite sur ce point. « C’est complètement en contradiction avec l’objectif d’augmenter la qualification des étudiants, explique William Martinet, l’actuel président de l’UNEF. Si l’on fait cela, alors la sélection sociale sera encore plus forte. On va se retrouver avec des cohortes d’étudiants qui voudront continuer leurs études mais ne le pourront pas. Or toutes les études le prouvent : plus l’on est diplômé, plus on a de chance de trouver un emploi. »

Si une telle réforme voyait le jour, il faudrait aussi modifier les textes régissant les concours qui continuent de recruter à bac + 4. C’est le cas dans le droit, par exemple. Pour Guillaume Leyte, président de Paris-II-Assas, une sélection à l’entrée en master serait « une catastrophe » car le M1 est nécessaire pour être candidat aux centres de formation à la profession d’avocat et à l’Ecole nationale de la magistrature. « Nous ne pourrons décemment sélectionner avant le M1, sauf à priver d’une chance nombre d’étudiants. »

UNE SÉLECTION ENCORE PLUS TÔT ?

A quelques jours d’intervalle, la sélection est aussi portée par une autre voix. Une note publiée le 13 juin par Terra Nova, un think tank proche du Parti socialiste, prône aussi une sélection à l’entrée en master mais va plus loin en recommandant de l’avancer à la première année de licence. « Il est temps d’arrêter le massacre », lance Terra Nova, pour qui l’université ne peut plus accepter en licence des étudiants voués à « un échec quasi certain ». Ceux qui, par exemple, optent pour « la philosophie ou la médecine après un bac pro ».

Lire notre post de blog : Universités : le think tank Terra Nova pour une « certaine » sélection

Pour Terra Nova, une dose de sélection doit donc être d’emblée instaurée. « Certaines admissions en université, indique Laurent Daudet, coauteur de la note, ne doivent plus être de droit pour tous les bacheliers, mais laissées à l’initiative des universités au vu des dossiers. » L’idée serait d’instaurer des prérequis pour toutes les licences.

Deux jours plus tôt, Olivier Beaud, professeur à Paris-II-Assas, demandant dans une tribune publiée par Le Monde : « Il faut que, comme dans la plupart des universités du monde, nos établissements disposent de la liberté de choisir leurs étudiants. »

Lire la tribune : Sélection à l’entrée de l’université : arrêtons l’hypocrisie ! par Olivier Beaud

Pour Terra Nova, cette sélection permettrait une meilleure orientation et la possibilité d’atteindre l’objectif de 50 % d’une classe d’âge diplômée du supérieur. Pour Olivier Beaud, il s’agirait de mettre « enfin à égalité les universités avec les “écoles’’ qui trustent les bons étudiants sans avoir de meilleurs enseignants que les universités ». Le principe selon lequel l’université est ouverte à tout bachelier est, selon Laurent Batsch, président de Paris-Dauphine, la « bonne conscience » d’un système d’enseignement supérieur qui pratique la sélection sans complexe. Car six étudiants sur dix sont en réalité inscrits dans une filière sélective : IUT, section de technicien supérieur (qui délivre le BTS), classes prépa, pour l’essentiel. « La façon dont le système français est organisé est sidérante, déplore Laurent Batsch. La filière longue la plus connectée à la recherche, c’est-à-dire la voie universitaire, est condamnée à accueillir ceux que les autres filières rejettent… »

SIX ÉTUDIANTS SUR DIX NE PASSENT PAS EN DEUXIÈME ANNÉE

Et ce sont les étudiants – les plus fragiles souvent – qui payent l’addition : en licence première année (L1), six sur dix ne passent pas en deuxième année. La moitié d’entre eux redoublent ou se réorientent, tandis que les autres abandonnent. Ainsi à peine un tiers des étudiants de L1 réussissent à boucler le cursus en trois ans.

Lire notre entretien : Geneviève Fioraso : « Régler le problème de l’échec à l’université par la sélection est rétrograde »

Sur ce sujet explosif de l’entrée dans le supérieur, le gouvernement ne paraît pas prêt à avancer. « Si je partage le diagnostic de Terra Nova sur la nécessité de réduire l’échec en licence, je suis en profond désaccord avec ses conclusions, affirme au Monde Geneviève Fioraso. Le sujet n’est pas de sélectionner, mais de bien orienter les lycéens et de mieux encadrer les étudiants. » L’UNEF pense, elle, qu’il faut en finir avec toute forme de sélection : « C’est parce qu’il y en a à l’entrée des STS et des IUT qu’il y a de l’échec », constate William Martinet, pour qui Terra Nova « ressort des vieilles recettes, comme à chaque fois que l’université va mal ».