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Repenser le rapprochement - Tribune d’un collectif de professeurs des universités Paris-VIII-Vincennes-Saint-Denis et Paris-Ouest-Nanterre-la-Défense, 9 juin 2014

mardi 10 juin 2014, par Mariannick

Soraya Amrani Mekki (professeure de droit, Paris-Ouest-Nanterre-la Défense), Pierre Bayard (professeur de littérature française, Paris-VIII), Pierre Brunet (professeur de droit, Paris-Ouest-Nanterre) et Mireille Séguy (professeure de littérature médiévale, Paris-VIII) cosignent cette tribune.

Il y a encore six mois, tous ceux qui président et gouvernent les universités tenaient que les anciens pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) allaient se transformer naturellement en communautés d’universités et d’établissements (Comue), et ce avant l’été 2014, selon les injonctions de la loi Fioraso. Aujourd’hui, il est tout aussi évident que les choses ne sont pas si simples : des réunions se tiennent et des discussions animées ont lieu sur les choix à faire, des motions sont votées, des pétitions signées. La trop facile règle, chère à tous les bureaucrates pressés, de TINA (There is no alternative : « il n’y a pas d’autre solution ») est repoussée clairement.

Nous nous félicitons que ce débat ait lieu et, pour qu’il puisse se développer, il convient que toutes les positions soient prises en compte, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent. A cet égard, nous pensons que le gouvernement devrait au moins accepter la proposition de moratoire sur les rapprochements d’universités, selon le voeu récemment voté par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cela reste insuffisant : la question n’est pas ici de gagner du temps, mais bien de débattre pour construire des projets dans lesquels puisse se reconnaître la majorité des communautés universitaires.

Or, pour ce faire, il convient d’écarter tant les faux problèmes et les procès d’intention que les vraies illusions entretenues par ceux qui nous gouvernent. Quiconque s’oppose au passage à la Comue est de fait taxé d’immobilisme, de conservatisme, suspecté de préférer l’isolement sans ambition à la coopération tournée vers l’avenir.

La vérité, c’est que nous sommes pour la plupart favorables à d’étroites coopérations entre les universités. De fait, ce sont souvent d’ailleurs les personnes les plus engagées dans des projets communs entre nos deux universités qui ne croient pas au projet de la Comue.

Et ceux qui sont taxés de conservatisme, car ils sont sceptiques devant la réforme, sont souvent les mêmes qui, depuis des années, inventent de nouveaux diplômes, acceptent d’en fermer certains (passage de cinq licences de langue à Paris-VIII à une licence européenne), lancent des projets de recherche communs, font vivre la pluridisciplinarité à la base, de façon horizontale, et non dans la caporalisation verticale des politiques de cabinet. Finissons-en avec les légendes sur l’immobilisme des enseignants-chercheurs, dont le plus cher désir est souvent qu’on les laisse travailler un ou deux ans sans réforme.

Comment peut-on encore faire semblant de croire que le passage à la Comue serait indolore pour l’autonomie de chaque université et pour les libertés académiques des universitaires ?

Le mirage, c’est de penser que la création d’une nouvelle strate dans la bureaucratie universitaire la rendra plus efficace. L’aveuglement, c’est de considérer qu’une structure verticale et éloignée des universités dans l’espace pourra fonctionner de façon démocratique et mobiliser les communautés universitaires.

L’erreur, c’est de s’imaginer que la condition de la « réussite » est d’atteindre une masse critique en nombre d’étudiants (les grandes universités américaines dépassent rarement 20 000 étudiants, moins que chacune de nos deux universités !).

Le mensonge, c’est de prétendre que l’on peut faire fonctionner de telles structures à budget constant ou de laisser supposer que le CNRS nous viendrait en aide dans ce cadre et, inversement, arrêterait de travailler avec les universités qui ne choisiraient pas la voie de la Comue (des unités mixtes de recherche universités/CNRS existent dans nos deux universités et donnent satisfaction à tous : qui peut croire que le CNRS les abandonnerait ? Qui peut croire que, en dépit de la baisse continue de ses moyens humains et financiers, le CNRS pourrait s’engager davantage dans nos universités ?).

LA PLUS GRAVE DES ILLUSIONS

Et l’expérience des PRES ne nous a-t-elle pas prouvé que le peu de moyens supplémentaires octroyé par le ministère permet à peine de payer le surplus de frais de fonctionnement induits par la nouvelle structure ? La dernière, et la plus grave, des illusions, enfin, c’est de croire, comme nos présidents, qu’il existerait une version allégée de la Comue préservant l’autonomie de chacune des composantes, ne supposant pas de compétences transférées mais une simple « coordination », agissant dans le partage harmonieux des responsabilités et sous le contrôle permanent des conseils des universités.

Ce dont ils parlent ainsi, dans un mélange curieux de dénégation et de révélation, ce n’est pas de la Comue, c’est de l’association, la troisième forme de regroupement autorisée par la loi, plus souple, moins contraignante et ne créant aucune strate bureaucratique supplémentaire. L’affirmer, ce n’est pas faire un procès d’intention, c’est tout simplement lire la loi Fioraso.

Or que dit la loi ? Qu’une Comue est quasiment irréversible, que son conseil d’administration ne sera pas majoritairement composé d’étudiants et de membres du personnel élus, et surtout que ce conseil dispose du pouvoir exorbitant d’augmenter ses propres compétences. Comment peut-on voir dans de telles usines à gaz autoritaires, et qui n’auront très vite d’autre objectif que de se perpétuer, des structures efficaces qui favoriseraient la réussite des étudiants, la mobilisation des personnels, l’inventivité des chercheurs, l’engagement des enseignants ?

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