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La nouvelle fronde des enseignants-chercheurs - Nathalie Brafman, Le Monde, 20 mai 2014

mardi 20 mai 2014, par Hélène

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Cette fois, le divorce est vraiment consommé entre les enseignants-chercheurs et Geneviève Fioraso, la secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur et à la recherche. A quelques semaines d’intervalle, ils ont adressé deux pétitions à Benoît Hamon, le nouveau ministre de l’éducation nationale qui coiffe aussi l’enseignement supérieur.

La première, " pour le changement à l’université et dans la recherche ", ouvertement contre la reconduction de Mme Fioraso à son poste, a dénoncé le " désastre " qu’a représenté, selon eux, " la poursuite de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités ". En 48 heures, 4 000 membres de la communauté universitaire et scientifique l’ont signée. En une semaine, ils étaient plus de 11 000. Du jamais-vu contre un ministre. " La relation de confiance ne s’est pas établie. Elle ne s’établira jamais ", disent les enseignants-chercheurs.

Pourtant, Mme Fioraso avait fait de la câlinothérapie avec les universitaires qui, après cinq ans de Nicolas Sarkozy, en avaient bien besoin. Mais au fil des mois, la déception s’est installée : précarité des enseignants, moyens budgétaires plus que tendus. Les attentes étaient fortes. Le dépit n’en a été que plus grand.

Mme Fioraso doit faire face à une nouvelle fronde. La loi, votée en juillet 2013, prévoit la création d’une trentaine de méga-établissements pluridisciplinaires. C’est sur l’organisation de ces mastodontes universitaires que les enseignants-chercheurs montent au créneau. Officiellement, une grande liberté est laissée aux universités. En réalité, le ministère pousse pour la création de communautés d’universités, une structure qui chapeauterait tous les établissements, leur enlevant forcément un peu de liberté. A Paris mais aussi en régions, la communauté universitaire plaide pour une association où chacun garde ses prérogatives.

Une seconde pétition, lancée par " Resau ", a recueilli en l’espace de deux jours 1 000 signatures, les universitaires dénoncent " le fait accompli " et la volonté du ministère d’imposer un seul schéma de regroupement d’universités sans leur laisser de liberté. Ce mouvement d’humeur a surpris, car personne ne s’y attendait vraiment. Désormais, partout, des assemblées générales sont organisées, des motions sont votées, des rassemblements ont lieu.

Ce ne sont pas les syndicats qui sont montés au front mais deux collectifs, créés pour l’occasion, qui ont su utiliser à fond les réseaux sociaux, Facebook et Twitter. La première pétition est partie d’un échange sur Facebook entre une professeure de sciences politiques et une quinzaine de collègues. Elle a vite gagné d’autres disciplines et a pris le nom de " Groupe du 4 avril ". Cette pétition a été relayée par un autre groupe, baptisé " Groupe Jean-Pierre Vernant ", réunissant des universitaires de gauche. Eux aussi ont écrit à M. Hamon pour critiquer la politique et les " méthodes employées " par Mme Fioraso.

L’échec cuisant de 2009

A cinq ans d’intervalle, 2009 paraît bien loin. A l’époque, le projet de décret réformant le statut des enseignants-chercheurs, avec, au cœur, l’évaluation, avait mis le feu aux poudres. Sept semaines de grève, le lancement de la " Ronde infinie des obstinés " sur le parvis de l’Hôtel de Ville, à Paris… Pendant des mois, nuit et jour, les grévistes s’étaient relayés tentant d’expliquer aux passants le sens de leur mouvement. Las ! Cette lutte avait été menée dans l’indifférence totale de l’opinion publique. Pire, elle avait pu donner l’idée que les enseignants-chercheurs tournaient en rond. Le mouvement s’était soldé par un échec cuisant, douloureux, provoquant un traumatisme et un état de dépression collective sans précédent dans la communauté universitaire. " Plus jamais ça ! ", disent aujourd’hui les universitaires.

C’est ce qui explique le retour aux bonnes vieilles recettes. Comme en 2004, lorsque le collectif Sauvons la recherche avait lancé une pétition sur Internet pour exiger des postes et réuni 55 000 signatures. Des manifestations avaient eu lieu par la suite.

L’actuelle mobilisation passe par de petits collectifs organisés en réseau et très mobiles. Chacun travaille sur des sujets précis. Le Groupe Jean-Pierre Vernant a mis en lumière l’existence d’un autre groupe baptisé " Marc Bloch " : une cinquantaine de personnalités qui occupent ou ont occupé la plupart des postes-clés dans l’enseignement supérieur. Les " Vernant " ont travaillé uniquement sur la thématique des regroupements d’universités.

" Resau ", lui, est un ensemble de collectifs et d’intersyndicales nés dans les universités. Ce qui surprend, c’est que dans chaque collectif cohabitent des personnes qui ne partagent pas forcément la même vision de l’enseignement supérieur. Ce sont des groupes multiformes qui dépassent les clivages. Parmi les huit membres de Resau, il y a à la fois les Jean-Pierre Vernant, plutôt à gauche de la gauche, et les membres de Qualité de la science française (QSF), classés plutôt à droite. Et dans les Jean-Pierre Vernant, il y a des juristes d’Assas, eux aussi réputés plutôt à droite.

La contestation est loin d’être terminée. Une page Facebook " Nous sommes l’université et la recherche " a été créée et, en juin, un grand événement est annoncé. On croyait la communauté universitaire résignée, on avait tort.