Accueil > Revue de presse > Tribunes > Menace sur la recherche publique - T. Gajdos (CNRS), Tribune du Monde, 30 (...)

Menace sur la recherche publique - T. Gajdos (CNRS), Tribune du Monde, 30 avril 2014

vendredi 2 mai 2014, par Mariannick

À lire ici.

Le renouvellement de Geneviève Fioraso au secrétariat d’État à l’enseignement supérieur manifeste clairement la volonté du président de la République de poursuivre la politique du gouvernement précédent, elle-même lancée par Nicolas Sarkozy en 2008. Et ce n’est pas une bonne nouvelle.

Cette politique repose en effet sur le raisonnement suivant : la recherche permet aux entreprises d’innover, ce qui crée croissance et emplois. Or les entreprises sont les meilleures juges des domaines de recherche utiles pour leur production. Il faut donc les subventionner massivement, dans l’espoir de les inciter à accroître leurs efforts de recherche et développement.

DIFFÉRENCE ENTRE RECHERCHE FONDAMENTALE ET APPLIQUÉE

Mais ce raisonnement est aussi simple que faux. En premier lieu, la recherche ne vise pas seulement à la croissance économique. Comme le disait, en 1969, le physicien américain Robert Wilson, en défendant la construction d’un accélérateur de particules devant une commission fédérale s’inquiétant de « l’utilité » d’un tel équipement : « Ces nouvelles connaissances ont tout à voir avec l’honneur et le pays, mais n’ont aucun lien direct avec la défense de notre pays – si ce n’est d’en faire un pays qui mérite d’être défendu. »

En second lieu, cette politique ignore la différence entre recherche fondamentale et appliquée. La recherche appliquée permet des innovations rentables à court terme, dans un secteur spécifique. En revanche, les résultats de la recherche fondamentale sont d’applications plus générales, mais moins immédiates. Il est donc plus difficile de s’en approprier les retombées industrielles. Par conséquent, les entreprises tendent à sous-investir en recherche fondamentale, et à surinvestir en recherche appliquée. Subventionner l’effort de recherche des entreprises risque d’aggraver ce déséquilibre.

Ufuk Akcigit, Douglas Hanley (université de Pennsylvanie) et Nicolas Serrano-Velarde (université Bocconi, en Italie) ont étudié précisément ces mécanismes à partir de données françaises (« Back to Basics : Basic Research Spillovers, Innovation Policy and Growth » – « Retour aux fondamentaux : retombées de la recherche fondamentale, politique d’innovation et croissance » –, NBER Working Paper, septembre 2013). Ils estiment que 90 % des retombées de la recherche fondamentale ne sont pas prises en compte par les entreprises. Afin de corriger ce déséquilibre, l’État devrait, idéalement, subventionner la recherche fondamentale à hauteur de 50 %, et la recherche appliquée à hauteur de 14 %.

RESTRICTIONS BUDGÉTAIRES

Malheureusement, il est impossible de cibler ainsi les subventions. En pratique, le meilleur moyen de dynamiser la recherche fondamentale reste de financer la recherche publique. Les auteurs de l’étude calculent qu’il faudrait, dans ces conditions, destiner 0,7 % du produit intérieur brut au financement de la recherche fondamentale. L’État n’y voue aujourd’hui que 0,45 %. Il manque 5 milliards d’euros, soit environ les budgets annuels réunis (salaires compris) du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale et de l’Institut national de la recherche agronomique.

Or, que fait le gouvernement ? Il maintient, envers et contre tout, le coûteux et inefficace (selon la Cour des comptes) crédit d’impôt recherche, essentiellement un outil d’optimisation fiscale, qui devrait coûter 6 milliards d’euros en 2014. Et il met à la diète les organismes publics de recherche. Le CNRS n’a recruté que 300 chercheurs en 2014, contre 400 en 2010.

Et cela ne va pas s’arranger. Le premier ministre a annoncé, le 16 avril, que les agences et opérateurs de l’État seront soumis à des restrictions budgétaires. Or, la moitié de ces budgets sont consacrés à l’enseignement supérieur et la recherche. La recherche française pourrait bien ne pas s’en relever.