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Démocratisation de l’enseignement supérieur : le retour des quotas - Lucie Delaporte, Médiapart, 15 août 2013

vendredi 16 août 2013, par Mademoiselle de Scudéry

Un nouveau dispositif, introduit in extremis dans la loi Fioraso, ouvre le droit aux meilleurs élèves de chaque lycée à avoir une place dans une filière sélective après le bac. Une mesure censée favoriser l’ouverture sociale de cursus toujours aussi fermés aux classes populaires.

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L’amendement est passé presque inaperçu lors du débat parlementaire sur la loi Fioraso. Désormais, par ce texte adopté par les députés du PS et de l’UDI, un pourcentage – à définir par décret entre 5 % et 7 % – des meilleurs bacheliers de chaque lycée obtiendra, de droit, une place dans une filière sélective, classe préparatoire, IUT… À croire que les quotas – également introduits dans la loi pour les bacs pro et techno dans les IUT – sont le remède pour démocratiser un enseignement supérieur dont les filières les plus sélectives demeurent toujours aussi fermées aux classes populaires.

Aujourd’hui, un certain nombre de lycées, 150 selon les travaux de Son-Thierry Ly, chercheur à l’École d’économie de Paris, n’envoient aucun élève vers ces filières d’élite, 750 (sur un peu plus de 2 000 au total) en envoient moins de 7 %. Manque d’information des élèves, autocensure, ou discrimination envers des établissements peu cotés… Le résultat est là. À l’opposé, un petit nombre d’établissements – 116 lycées – y envoient entre 25 % et 70 % de leurs élèves.

Dans un enseignement supérieur à deux vitesses – où le passage par ces filières sélectives reste encore un gage de réussite ultérieur sur le marché du travail –, le constat est forcément problématique, assurent les défenseurs de la nouvelle mesure. Si la massification a permis à de plus en plus de détenteurs du bac de poursuivre des études ces trente dernières années, la hiérarchie entre filières s’est également exacerbée (voir notre entretien). Les cursus les plus sélectifs affichent une composition sociale qui, malgré tous ces bouleversements, n’a pas évolué d’un iota. « La composition en CSP (professions et catégories socioprofessionnelles, selon la nomenclature de l’Insee) des classes préparatoires n’a pas varié depuis 2005, avec près de 60 % d’élèves issus des classes aisées, puis 20 % des classes moyennes et autant de classes populaires », montre ainsi le jeune chercheur Son-Thierry Ly.

Sur cette période, pourtant, les pouvoirs publics ont bien pris quelques initiatives. Au lendemain des émeutes de banlieue de 2005, pour répondre à une jeunesse qui se sent repoussée dans les marges, Jacques Chirac exhorte les classes prépas à s’ouvrir et fixe l’objectif d’un tiers de boursiers dans ces filières. Ils représentent alors un cinquième des effectifs. Deux ans plus tard, Nicolas Sarkozy reprend le chiffre et indique qu’il devra être respecté dans chaque établissement. En 2009, Valérie Pécresse, alors ministre de l’enseignement supérieur, annonce fièrement avoir atteint l’objectif de 30 % de boursiers en classe prépa, un an avant l’objectif. Ce sursaut de volontarisme a-t-il suffi ?

Dans le droit fil de certaines expérimentations menées par des grandes écoles, comme l’Essec notamment, la ministre soutient le tutorat vers des lycées de ZEP, qu’elle labellise « cordées de la réussite ». C’est l’époque où sont aussi regardées avec beaucoup d’attention médiatique les expériences comme celle de Sciences-Po Paris, avec son quota d’étudiants venant de ZEP, ou « la prépa à la prépa » du lycée Henri-IV. Toutes ces actions ont-elles permis de modifier la composition sociale des classes prépas ?

« Je n’ai rien contre ces dispositifs – à l’échelle individuelle, c’est souvent une expérience formidable – mais cela ne fait pas une politique publique ! » prévient Son-Thierry Ly, qui a lui-même participé à du tutorat au sein de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. «  Les 30 % de boursiers en classe prépa n’ont été obtenus qu’au prix d’un relèvement du plafond des bourses. En réalité rien n’a changé dans la composition sociale des classes prépas », ajoute-t-il. La plupart de ces nouveaux boursiers sont des boursiers « zéro », simplement exonérés de droits d’inscription. L’impact de ces dispositifs qui ne concernent en fin de compte qu’une très petite proportion d’élèves est donc bien difficile à évaluer.

Le chercheur Patrick Weil qui a importé le concept des États-Unis, et le défend depuis 2005, sait que le nouveau dispositif adopté dans la loi Fioraso ne peut suffire à lui seul à inverser des équilibres aussi anciens. Mais il veut croire qu’il peut avoir un impact au moins localement dans ces établissements où faire une classe prépa paraît inaccessible. « Cela peut avoir des effets sur les territoires – en zone rurale, pérurbaine ou dans l’Outre-mer – où sont tous situés les lycées qui n’envoient aucun élève dans ces filières », souligne-t-il. « C’est un signal aussi aux classes moyennes dont on sait l’importance du critère scolaire dans le choix d’habiter tel ou tel quartier. Localement, cela va dynamiser les équipes pédagogiques dans toutes les filières », espère l’historien. Même si les défenseurs de la mesure récusent le terme puisqu’il s’agit d’un droit pour ces élèves qu’ils peuvent exercer ou non, avec ces « quotas », «  les bons élèves de ces établissements n’ont plus intérêt à changer de lycée », poursuit Son-Thierry Ly, qui travaille aux côtés de Patrick Weil.

Pourtant, au sein même de la majorité, la mesure n’a pas manqué de détracteurs et a donc été écartée lors de la rédaction de la loi Fioraso. Le conseiller de l’enseignement supérieur de François Hollande, Jean-Yves Mérindol, y était farouchement opposé au motif qu’une fois de plus on encourageait les meilleurs éléments à fuir l’université. Ce qui est politiquement difficile à soutenir au moment où la ministre veut justement redonner ses lettres de noblesses au cursus universitaire. D’autres dénoncent un simple gadget. Selon les projections de Son-Thierry Ly, la mesure pourrait ne concerner directement que 2 000 élèves par an. C’est évidemment peu au regard des quelque 40 000 étudiants qui entrent en classe prépa chaque année… « En fait, cela aura une incidence sur l’ensemble des élèves de ces établissements qui manquent souvent de modèles de réussite », veut croire le jeune chercheur. « Essayons et évaluons », conclut Patrick Weil, qui rappelle que la grande spécialité française est de ne jamais évaluer aucun dispositif.