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Au sénat, le 29 mai 2013, Didier Houssin houssine plus fort que jamais, Emmanuel Saint-James suscite l’émotion, et la rapporteure l’envoie "apprendre la démocratie dans un environnement économiquement contraint".

mardi 4 juin 2013, par Clèves, princesse(s)

COMPTES RENDUS DE LA COMMISSION DE LA CULTURE, DE L’EDUCATION ET DE LA COMMUNICATION

Enseignement supérieur et recherche - Audition de M. Didier Houssin [1], président de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), et M. Emmanuel Saint-James, président de l’association « Sauvons la recherche »

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Après avoir évoqué la question des rapports entre sciences et société, au travers de la double audition de M. Houssin, président de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), et M. Emmanuel Saint-James, président de l’association « Sauvons la recherche », nous aurons l’occasion d’entendre les arguments pour et les arguments contre le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche.

M. Didier Houssin, président de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES). - Mme Laurence Pinson, secrétaire générale de l’AERES, m’accompagne.

Le 28 mai 2013, l’Assemblée nationale a amendé le projet de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche. Je remercie la commission et sa présidente d’avoir souhaité m’entendre en vue de l’examen de ce projet de loi par le Sénat. Vous comprendrez que je centre mon propos sur l’évaluation, sur l’AERES et son action. S’agissant de l’évaluation, je vois, dans ce texte, quatre points critiques. Pour être bref, je limiterai mon intervention aux deux plus importants, qui concernent les articles 48 et 49 du projet de loi.

[…]

Trois arguments plaident pour le maintien de l’AERES :

En premier lieu, l’AERES est loin de faire l’unanimité contre elle.

[…]

En second lieu, l’AERES est réformable, car elle a démontré sa capacité à évoluer.

[…]

Enfin, la perte du nom AERES serait dommageable pour notre pays, en particulier sur la scène européenne et internationale.

[…]

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Pourriez-vous concentrer votre propos sur le projet de loi lui-même , étant donné que vous avez déjà eu l’occasion, lors d’une précédente audition, de nous présenter l’AERES et l’évolution de ses procédures ?

M. Didier Houssin, président de l’AERES. - Très brièvement, je dirais que l’article 49 dans sa rédaction actuelle expose à deux risques : une inégalité de traitement entre unités et le blocage de la procédure d’évaluation.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Sur le champ global du projet de loi, hors évaluation , avez-vous des commentaires ? Quelles différences percevez-vous avec la loi sur les libertés et responsabilités des universités (LRU) de 2007 ?

M. Didier Houssin, président de l’AERES. - Les évolutions projetées sur le segment Bac -/+ 3, les quotas pour les bacheliers professionnels et technologiques dans les filières sélectives, et la spécialisation de la licence sont des aspects positifs. Le passage de l’habilitation à l’accréditation de formation va améliorer la lisibilité des parcours. À propos des communautés d’universités, tout ce qui favorise le rapprochement me paraît aller dans le bon sens. Enfin, l’accent mis sur le doctorat est très positif et j’espère que le Sénat suivra l’exemple de l’Assemblée nationale pour la reconnaissance du doctorat dans la fonction publique. Par contraste, et j’y insiste vraiment , le traitement de l’évaluation dans le texte ne me paraît pas du tout satisfaisant. J’aurais sans hésiter voté ce texte sauf les articles 48 et 49.

M. Emmanuel Saint-James, président de l’association « Sauvons la recherche ». - Je vous remercie de m’avoir invité. Au-delà de la question d’évaluation, j’aimerais adopter un point de vue global sur le texte. Que ne contient pas le projet de loi ? Ce n’est pas un projet de loi de programmation. Il fait donc l’impasse sur les emplois. Or il existe 50 000 précaires dans notre milieu et rien n’est prévu pour leur donner des perspectives d’avenir. Nous devons veiller à ne pas provoquer une crise des vocations. Si aucun poste n’est offert à la sortie des études, comment attirer vers le doctorat puis la recherche ?

Deuxième reproche que je fais au projet de loi : il ne rompt pas avec la politique d’excellence promue sous la précédente législature. Des crédits à hauteur de 20 milliards d’euros ont été débloqués et sont gérés par le Commissariat général à l’investissement. Ce dernier a donc un impact direct sur la recherche publique mais il dépend du Premier ministre et pas du tout de notre ministère de tutelle. La politique d’excellence continue et se décline naturellement en un système d’universités à deux vitesses. Le projet de loi ne remet pas en cause la pertinence de cette politique comme il le devrait. En outre, il est décidé d’assigner une nouvelle mission de transfert aux organismes d’enseignement supérieur et de recherche. Un tel élargissement du périmètre des missions, alors que les moyens baissent, relève de la quadrature du cercle. On charge trop la barque des universités, c’est choquant. Sur le fond, la mission de transfert est dans la continuité de la précédente mandature. Est-ce le rôle des chercheurs publics de faire de la recherche appliquée, c’est-à-dire commerciale ? Le risque est aussi d’inciter à la fermeture des centres de recherche des entreprises privées. Le mouvement a déjà commencé. La recherche privée dégraisse et s’anémie.

Sur la question des communautés d’universités, je trouve intéressant le parallèle proposé par l’inspection générale avec les communautés de communes. Chaque maire envoie sa garde rapprochée piloter l’instance intercommunale...

( Exclamations et protestations des commissaires )

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Vous avez suscité beaucoup d’émotions avec cette comparaison. Concentrons-nous sur les universités !

M. Emmanuel Saint-James, président de l’association « Sauvons la recherche ». - Je constate que la même logique s’impose dans le pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) dont je dépends. Le conseil d’administration du PRES prend des décisions de manière opaque car il est composé du président et de sa garde rapprochée : c’est un déni de démocratie ! L’empilement de structures de décision bloque le contact direct avec le personnel. De PRES à communautés d’universités, on aggrave le problème.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je suis très attachée à ce que vos points de vue nous montrent bien ce qui existait et ce qui est nouveau dans le présent projet de loi. Ainsi, monsieur Saint-James, nous avez-vous fait part de votre inquiétude liée à la transformation des PRES en communautés d’universités.

Mme Dominique Gillot, rapporteure. - Le débat s’annonce extrêmement clivant, à la limite caricatural. J’ai beaucoup de respect pour M. Saint-James et le mouvement qu’il représente, mais l’université française a besoin d’apprendre les règles de la démocratie et de fonctionnement dans un environnement économiquement contraint . C’est un point fort que nous devons avoir à l’esprit à la lecture de cette loi. Elle doit permettre à l’université française et à la recherche de se projeter dans un avenir de réussite en s’appuyant sur ses acquis, bien antérieurs à la loi LRU. Elle doit aussi tenir compte des obligations de bonne gestion car l’université est un établissement qui se gère et doit s’appuyer sur ses fonctions support.

Ce que vous dites, monsieur Saint-James, sur les manques du texte relève d’une certaine méconnaissance des fonctionnements démocratiques et collégiaux. Je souhaite souligner les points suivants :

- il ne s’agit certes pas d’une loi de programmation mais le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a bénéficié d’une bienveillance dans les arbitrages budgétaires avec une augmentation de 2,7 % de ses crédits en 2013. En outre, 1 000 postes par an sur cinq ans sont créés et les universités ont déjà pu utiliser ces postes comme elles l’entendaient pour la première année ;

- vous avez critiqué la mission de transfert mais je ne pense pas que l’université doive opérer elle-même son transfert, elle doit s’y préparer. Je renvoie à ce que disait M. Gilles Bœuf à l’instant : l’ une des vocations de la science et de la recherche est de réunir le scientifique, l’ingénieur et l’entreprise privée afin de transférer les connaissances  ;

- en revanche, nous avons besoin d’une meilleure orientation vers l’insertion professionnelle des étudiants. Je sais que certains, comme le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), pensent que ce n’est pas le rôle de l’université. Mais il me semble que cette réflexion est pourtant indispensable, et c’est le cas d’ailleurs pour les jeunes docteurs dont on essaie de sécuriser les parcours. Il est prévu de les d’intégrer dans d’autres champs d’activité que ceux de la recherche et de l’enseignement, ce qui soulève des difficultés liées aux statuts des différents corps de la fonction publique et de l’entreprise ;

- M. Houssin est très attaché à l’évaluation des procédures, des enseignements et des dispositifs. Il existe une controverse sur l’action de l’AERES mais elle ne concerne pas le président qui a toute mon estime et celle de nombreux universitaires. Il s’agit d’un rejet d’une évaluation indépendante, pas de l’AERES, dont l’action a constitué un formidable levier d’amélioration . Je ne souhaite pas que l’on débouche sur une sorte de label AFNOR des procédures d’évaluation qui deviendraient des auto-évaluations. Quel que soit le nom choisi pour cet organe, il faut une évaluation indépendante de toutes les procédures liées à l’université et à la recherche.

M. Daniel Percheron. - Deux ou trois sujets ont été abordés à propos de cette loi qui ne sera pas une grande loi. Tout d’abord, elle ne corrigera pas le scandale de l’équité des territoires pour l’université et la recherche. L’AERES a cent fois raison car son travail nous a donné à nous, élus, des clés et des perspectives irremplaçables. L’AERES est indispensable et l’idée de la remplacer est une plaisanterie.

Par ailleurs, vous l’avez évoqué, les 20 milliards d’euros consacrés aux investissements d’avenir, ont été attribués d’une manière confidentielle, avec l’alibi d’un jury indépendant. Ces crédits ont déséquilibré de manière peut-être irréversible les efforts de recherche sur notre territoire. Une région comme le Nord-Pas-de-Calais a reçu environ 16 fois moins par étudiant que l’Île-de-France. On attendait que la loi rétablisse un certain équilibre et ce n’est pas le cas.

Enfin, vous avez parfaitement raison sur la recherche privée, qui fait cruellement défaut, comme dans le Nord-Pas-de-Calais où elle ne représente que 0,4 % du PIB de la région. Le crédit d’impôt recherche illustre les disparités existantes, puisqu’il est généré à hauteur de 67 % en Île-de-France, contre 1,6 % dans le Nord-Pas-de-Calais. La loi aurait pu esquisser un raisonnement par rapport à ce problème sérieux et proposer des pistes pour inciter la recherche privée.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Il me semble nécessaire d’ouvrir un vrai débat sur la question de l’AERES. Elle est partie prenante, qu’elle le veuille ou non, dans l’évaluation qu’elle rend, sur les affectations de crédits. J’entends ce que dit Mme Gillot mais je suis quand même inquiète devant l’amplitude de la précarité qui touche la recherche . Même s’il ne s’agit pas d’une loi de programmation, ce texte aurait pu fixer des objectifs de résorption très fermes de la précarité.

En outre, il convient d’éviter que les communautés d’universités mises en place se transforment en quelque sorte en trous noirs qui absorbent ce qui existe autour. Il faudrait écouter les préoccupations des experts à ce sujet.

M. Jean-Pierre Plancade. - Je souhaite insister sur le sujet de l’AERES dont je regrette vivement le sort dans ce projet de loi, ce qui a d’ailleurs été dit ici et dans d’autres commissions. Je crois que M. Houssin est victime de son succès, de sa rigueur et de son indépendance d’esprit. C’est insupportable intellectuellement car il s’agit d’une élite qui refuse le contrôle extérieur. On reste pantois devant ce corporatisme porté à un si haut niveau intellectuel. Ce projet de loi n’est certainement pas un grand texte et beaucoup d’universitaires le reconnaissent.

Je souhaite dire que le rapport de l’Académie des sciences sur l’AERES est un vrai scandale. Nous avons auditionné, avec Dominique Gillot, son vice-président, qui n’a même pas su nous dire sur quoi étaient fondées de telles critiques. Et le rectificatif publié ensuite n’a pas été aussi médiatisé.

Mme Corinne Bouchoux. - Le moment venu, nous donnerons nos avis sur le projet de loi, mais nous voulons aussi être forces de proposition : chacun d’entre vous pourrait-il nous indiquer la modification de ce texte qui lui paraîtrait souhaitable plus que toute autre ?

Mme Colette Melot. - La suppression de l’AERES ne constitue-t-elle pas, selon vous, un retour en arrière susceptible de susciter des interrogations chez nos partenaires et remettre en cause la position acquise par la France dans le processus européen d’évaluation scientifique ?

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Avant de redonner la parole à M. Houssin je vous indique que les documents et les chiffres qu’il a souhaité présenter à notre commission seront annexés au compte rendu.

M. Didier Houssin. - Les validations de l’AERES résultent de procédures rigoureuses et complexes, et ne doivent pas être assimilées à de simples attributions de labels de qualité.

Je remercie MM. Percheron et Plancade pour les commentaires positifs qu’ils ont formulés quant à l’action de l’AERES, action globalement plutôt bien acceptée par la communauté scientifique, en dépit de certaines réticences tout à fait compréhensibles.

Il pourrait être envisageable d’étendre notre champ d’évaluation aux recherches effectuées dans le secteur privé, ne serait-ce que pour s’assurer de la compatibilité de certains programmes avec les règles d’utilisation du crédit d’impôt recherche.

À Mme Gonthier-Maurin, je voudrais préciser que si les décideurs tiennent compte des avis et des évaluations de l’AERES (15 % des crédits seraient impactés par les évaluations en France contre 75 % au Royaume-Uni), celle-ci n’a aucune emprise directe sur la répartition des crédits.

Au-delà de la suppression de l’article 48 du projet de loi, je voudrais répondre à Mme Bouchoux que toute disposition visant à accompagner la valorisation des doctorats m’apparaîtrait hautement souhaitable.

Je partage les interrogations de Mme Mélot, quant à la façon dont nos interlocuteurs à l’étranger vont interpréter la disparition d’une instance d’évaluation dont la voix commençait à compter.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - À ce propos, la nouvelle entité amenée à remplacer l’AERES pourra-t-elle reprendre les mandats confiés par des pays étrangers ?

M. Didier Houssin. - Jusqu’à présent, nous avons été sollicités par des pays tels que le Liban, l’Arménie, le Viet-Nam ou l’Arabie Saoudite, qui nous a préféré à l’Université de Stanford.

La reprise des mandats est prévue par l’article 61 du projet de loi, mais la nouvelle instance devrait néanmoins repartir de zéro pour bâtir sa crédibilité et reconquérir les positions que nous occupons actuellement, ne serait-ce qu’en raison de son changement de nom.

M. Emmanuel Saint-James. - Comme l’a indiqué M. Houssin, il serait souhaitable de pouvoir évaluer les programmes privés sollicitant le crédit d’impôt recherche, qui n’a pas vocation à être utilisé comme une niche fiscale.

Les conseils d’administration des universités ne fonctionnent pas, selon moi, de manière satisfaisante, dans la mesure où les représentants des collectivités y sont peu présents et n’ont pas une connaissance suffisante des problématiques. L’AERES n’a pas les moyens de remédier à cette difficulté. L’entité qui lui succédera portera un nouveau nom, mais ne sera pas plus utile à l’université. Celle-ci peut très bien exister sans l’AERES et sans les déclarations d’intention européennes telles que la stratégie de Lisbonne ou l’appel de Bologne, qui n’ont rien suscité de tangible.

M. Daniel Percheron. - La stratégie de Lisbonne, qui visait à contrecarrer les forces du marché, s’est certes avérée présomptueuse, mais nous comptons bien nous saisir de cette question. L’action de l’AERES doit faire office de contrepoids, ou d’antidote, face à un marché qui se veut souverain.

M. Emmanuel Saint-James. - La stratégie de Lisbonne, qui prône une «  économie de la connaissance  », repose sur un oxymore, car l’économie est la gestion des ressources rares, alors que les connaissances, infiniment reproductibles et diffusables, ne sont pas contraintes par la rareté.

Il est regrettable que le projet de loi ne corrige pas cette erreur d’approche des instances européennes.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je donne la parole à la rapporteure pour une conclusion sur cet échange.

Mme Dominique Gillot. - Cet échange a été particulièrement intéressant. Mais nous sommes au début du débat et nous allons faire vivre ce texte en proposant des amendements.

Je souhaite apporter une précision sur l’évolution du mode de gouvernance. Effectivement, on constate que les personnes extérieures ont bien du mal à comprendre l’esprit du fonctionnement des conseils d’administration des universités. Certains enjeux sont difficilement maîtrisables par les élus locaux. D’où la proposition de création d’un conseil académique qui aura compétence pour débattre sur le fonctionnement de l’université en fonction des orientations du conseil d’administration et qui lui rendra compte. En son sein, les personnes associées seront à même de porter un jugement éclairé en fonction des informations apportées par les commissions spéciales. Cette difficulté a bien été perçue lors de l’évaluation et des corrections sont proposées dans ce projet de loi. Je suis très favorable à l’amélioration de la collégialité de la gouvernance.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je remercie nos invités de leur diagnostic.


[1Pour mémoire, il a déjà été entendu longuement le 12 décembre dernier par cette même commission. On pourra dire ce qu’on veut, il l’aura défendue son AERES !