Accueil > Pratiques du pouvoir > En très léger différé de l’Assemblée Nationale… 24 mai 2013

En très léger différé de l’Assemblée Nationale… 24 mai 2013

lundi 27 mai 2013, par Alphonse D.

La chèvre de Monsieur Seguin : "C’est qu’elle n’avait peur de rien la Blanquette."

Deuxième séance du jeudi 23 mai 2013

[…]

Article 5

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n° 194.

Mme Isabelle Attard. Cet amendement vise à supprimer la notion de transfert des missions de l’enseignement supérieur.

Les assises de l’enseignement supérieur et de la recherche avaient fixé trois objectifs : agir pour la réussite de tous les étudiants, donner une nouvelle ambition pour la recherche, contribuer à la définition du nouveau paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche.

La notion de transfert n’est absolument pas apparue comme prioritaire aux yeux des acteurs du monde académique. Elle ne transparaît que dans une seule des propositions du rapport dirigé par Vincent Berger, la proposition 103. Or le projet de loi met un accent démesuré sur cet aspect de la recherche puisque huit articles sont concernés.

Nous sommes conscients que la notion de transfert doit faire partie de ce projet de loi, en particulier dans la partie du texte consacrée à la recherche, mais elle ne doit en aucun cas apparaître comme l’une des missions principales de l’enseignement supérieur.

Comment un enseignant, dans ses missions d’enseignement, peut-il répondre à cette mission ? L’enseignement doit, au contraire, être centré sur les missions de diffusion des connaissances, apprentissage partagé, discussion des résultats de la recherche, mais en aucun cas de transfert des résultats. L’éducation, qu’elle soit primaire, secondaire ou supérieure, doit être au contact des réalités sociales, économiques, environnementales, mais elle doit aussi être indépendante de toute pression, qu’elle soit politique ou économique.

Mme Françoise Guégot. C’est juste l’inverse !

Mme Isabelle Attard. La commission a fait un geste en indiquant que cette mission de transfert ne se fait que lorsque le transfert est possible. On se doute bien qu’un professeur de grec ancien ou de mathématiques fondamentales ne fera pas de transfert de ses résultats. Mais nous devons aller plus loin et refuser cette logique qui veut mettre, par le biais du transfert, cette notion de rentabilité dans les missions de notre éducation.

M. Daniel Fasquelle. Ça n’a rien à voir !

Mme Isabelle Attard. Je vous rappelle, pour mémoire, la proposition 103 du rapport Berger : « Organiser les principaux sites universitaires et scientifiques comme des écosystèmes de la connaissance facilitant la coopération entre le monde académique et les acteurs économiques, facilitant la valorisation et le transfert technologique afin de générer des créations d’emplois, facilitant le renforcement et la croissance des PME par l’innovation, la compétitivité et l’attractivité du territoire national. »

Cela vous semble peut-être beaucoup, mesdames, messieurs du groupe UMP.

M. Benoist Apparu, M. Daniel Fasquelle et Mme Françoise Guégot. C’est archaïque !

Mme Isabelle Attard. Non ! Il s’agit simplement de rappeler quelles sont les missions de l’enseignement supérieur. Si vous avez décidé, pendant dix ans, d’avoir d’autres missions, c’est votre choix. Mais ce Gouvernement peut définir d’autres priorités qui soient plus en adéquation avec la demande des universités et celle des professeurs et des enseignants-chercheurs.

Mme Barbara Pompili. Très bien !

Mme la présidente. Sur l’amendement n° 194, je suis saisie par le groupe écologiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Quel est l’avis de la commission sur cet amendement ?

M. Vincent Feltesse, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.

La question du transfert et de l’innovation, que nous avons eu l’occasion d’évoquer récemment avec Isabelle Attard, figure depuis quelques années dans les différents codes et elle est apparue à la fin des années 1990 dans le projet de loi porté à l’époque par Claude Allègre et qui avait été adopté à l’unanimité.

C’est vrai, ces dernières années, on a pu avoir le sentiment d’un épuisement de la communauté universitaire à qui l’on demandait d’assurer ses missions de base, de répondre à des appels d’offre, etc. Cependant, nous avons le sentiment que cette mission de transfert, encadrée et bornée par des amendements qui viendront ultérieurement, est déjà présente dans le code de l’éducation. Voilà pourquoi je maintiens l’avis défavorable de la commission.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Les réponses que nous avions formulées en commission n’étaient peut-être pas assez précises.

Il vous est proposé d’introduire le terme « transfert » dans le cadre de l’article L. 123-5 consacré à la mission de recherche. Donc, l’enseignement supérieur n’est pas concerné dans la mission de recherche du service public de l’enseignement supérieur. La mission de recherche identifiée en tant que telle renvoie à un article identique du code de la recherche et qui comprend déjà depuis la loi de 1999 sur l’innovation, votée à l’unanimité, les notions de brevet, licence et valorisation.

Le terme « transfert » est de fait plus neutre. Il s’agit du transfert vers le milieu économique, de la transformation de l’invention en innovation donc en emplois durables puisqu’il a une valeur ajoutée d’innovation, mais aussi du transfert vers une application bénéfique à une collectivité territoriale ou à tout organisme quel qu’il soit, public ou privé.

De mon point de vue, ce terme est plutôt plus neutre que celui qui existe déjà et qui avait été adopté à l’époque dans le cadre de la loi sur l’innovation.

Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Nous considérons qu’il n’est pas judicieux d’introduire cette notion de transfert dans le texte. Plutôt que d’aborder ce sujet de manière disséminée dans un texte global ou par voie d’ordonnances, il faut lancer un véritable débat national car il soulève beaucoup d’interrogations dans le monde universitaire.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Ce n’est pas le transfert lui-même qui est remis en cause, mais l’insistance dont il est fait preuve dans ce texte qui pose problème puisque, comme l’a dit Mme Attard, huit articles reviennent sur cette question : on en fait la mission prioritaire de la recherche.

Certes, des relations entre le monde scientifique et l’entreprise sont nécessaires. La valorisation de la recherche se fait aux niveaux culturel, social et économique, mais elle ne peut résumer l’objectif des missions de l’enseignement supérieur et de la recherche. Surtout, comme je le disais hier, c’est la coopération entre partenaires de choix, sur la base du service public et sans domination de part ou d’autre qu’il faut viser, sans quoi on peut s’interroger sur le devenir de la recherche fondamentale ou sur celui de la recherche en sciences humaines et sociales.

Les scientifiques sont acquis de longue date aux coopérations de toute nature, mais ils ne veulent en aucun cas se soumettre à des exigences, à des injonctions ou à des temps extérieurs à la logique scientifique.

L’excellence scientifique et technologique des organismes publics de recherche contribue à la diffusion du savoir, à l’innovation future et par ce biais aux emplois futurs et aux emplois qualifiés futurs, mais ce ne peut être une injonction.

J’ajoute que pour qu’il y ait efficience entre la recherche et le monde économique, il faut aussi que le monde économique ait une exigence de qualification, de formation, de rémunération et qu’il consacre des moyens à la recherche.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Guégot.

Mme Françoise Guégot. On méconnaît quelque peu ce qui se passe dans les universités en matière de rapports entre les enseignants-chercheurs et leurs étudiants.

M. Bernard Accoyer. Bien sûr !

Mme Françoise Guégot. La valorisation et le transfert sont deux éléments essentiels. Ils font partie de l’attractivité des enseignements pour les enseignants-chercheurs dont la vocation même est d’être capables de transférer à leurs étudiants à la fois le contenu et les éléments d’évolution de la recherche mais aussi, bien évidemment, d’expliquer pourquoi cette recherche existe.

Si l’on essaie de faire des comparaisons avec ce qui existe au plan international, on s’aperçoit qu’il est heureux qu’il y ait la valorisation et le transfert : c’est ce qui va permettre d’ouvrir l’université et de démontrer aux jeunes qu’ils peuvent être en prise avec le monde économique, l’innovation et les découvertes de demain.

M. Bernard Accoyer. Bien sûr !

Mme Françoise Guégot. La valorisation et le transfert font vraiment partie du métier et du rôle de l’enseignant-chercheur.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 194.

(Il est procédé au scrutin.)

Reviens ! reviens !... criait la trompe.

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 71

Nombre de suffrages exprimés 71

Majorité absolue 36

Pour l’adoption 8

Contre 63

(L’amendement n° 194 n’est pas adopté.)

Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea..