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Contrat de site Alsace : Un coup de force politique du ministère et de l’Université de Strasbourg ? Communiqué des syndicats du supérieur de la FSU Alsace (SNESUP-FSU, SNCS-FSU, SNASUB-FSU). 15 mars 2013.

samedi 16 mars 2013, par Jara Cimrman

Les syndicats de la FSU se sont prononcés en 2011 contre tout projet de fusion entre les deux universités alsaciennes et ont soutenu le principe d’un rattachement « efficace et solide » de l’Université de Haute Alsace à l’Université de Strasbourg, sur la base d’engagements partagés et dans le respect de l’autonomie et de la spécificité des deux établissements. Aujourd’hui, alors que la rédaction de la convention de rattachement a pris un retard important, le ministère, avec l’appui de la présidence de l’Université de Strasbourg, entend propulser l’enseignement supérieur et la recherche en Alsace dans une nouvelle dimension en expérimentant une formule aussi inédite que risquée, celle du « Cluster Alsace » comme levier principal de la régionalisation de l’ESR. Le cluster est en effet au cœur du « Contrat de site alsacien 2013-2017 », lequel anticipe largement la loi sur l’ESR ainsi que sur la nouvelle loi de décentralisation, deux projets majeurs du gouvernement qui n’ont pas même encore été présentés en conseil des ministres. L’Alsace devient ainsi le terrain de jeu pour des expérimentations politiques qui semblent se développer en dehors de tout cadre législatif établi.

Quels sont les faits ?
Dans le cadre de la politique de réforme de l’ESR, l’Etat veut favoriser l’émergence de trente sites qui dessineront à terme une nouvelle carte nationale de l’enseignement supérieur et de la recherche. Elaboré conjointement par les directions des quatre établissements alsaciens relevant du ministère de l’ESR (Université de Haute-Alsace - UHA, Université de Strasbourg - UNISTRA, Institut national des sciences appliquées de Strasbourg - INSA, Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg - BNU), un projet de Contrat de site a été élaboré courant décembre et présenté fin janvier au CA de l’UHA alors qu’au début de ce mois de mars les élus et les personnels de l’Université de Strasbourg demeuraient dans l’ignorance la plus complète de l’existence de ce texte. Il n’a donc, à ce jour, été discuté dans aucun conseil de cet établissement. Le contrat doit cependant être finalisé et signé dans les meilleurs délais, fin mars, selon les desiderata du ministère. Les syndicats de la FSU ne peuvent que dénoncer ce défaut d’information, de consultation et de transparence qui, couplé avec un mobile artificiel d’extrême urgence, conduit naturellement à suspecter un projet sensible et hautement stratégique. Ce que confirme une nouvelle version du contrat, rédigée par le Ministère et transmise le 8 mars aux quatre établissements.

Quelles sont les lignes de force de ce « Contrat du site alsacien 2013-2017 », dans la version ministérielle ?
Il définit trois cercles concentriques. Un premier cercle regroupe cinq établissements « autour de l’UNISTRA », trois rattachés par l’article L719-10 (UHA, INSAS et BNUS) et deux autres associés ne relevant pas du MESR : l’Ecole nationale du génie des eaux et de l’environnement de Strasbourg (ENGEES) et l’Ecole nationale d’architecture de Strasbourg (ENSAS). Un second cercle dont il est écrit qu’il « recoupe largement le périmètre du Cluster Alsace », rassemble les organismes de recherche (CNRS, INSERM, INRA), les autres établissements post-bac (Haute école des arts du Rhin, Ecole nationale d’administration - ENA, Institut national des études territoriales – INET, Théâtre national de Strasbourg –TNS et les lycées), les hôpitaux universitaires de Strasbourg - HUS, le CROUS et les collectivités territoriales. Un troisième cercle concerne un nouvel espace trinational d’enseignement supérieur fondé sur EUCOR.
Il faut tout d’abord relever que le contrat de site « se substitue aux anciens contrats d’établissement ». Dans le « Préambule » rédigé par le ministère, il est dit « unique ». Faut-il en déduire que les contrats d’établissement pourraient être amenés à disparaître alors que la loi ne le prévoit pas ? Il s’agirait là du premier coup de force politique du ministère : la disparition programmée de l’autonomie des établissements au profit d’une contractualisation régionale, d’une contractualisation par site.
On observe ensuite le caractère mono-centré du contrat de site, encore accentué dans la rédaction ministérielle : l’Université de Strasbourg, citée à tous les niveaux du projet, y a une place disproportionnée qui fragilise les nécessaires équilibres régionaux et ne respecte ni la place, ni l’indépendance des établissements partenaires. En effet, que ce soit dans le premier cercle ou dans la structure « cluster », l’UNISTRA est amenée à jouer un « rôle moteur ». Bien plus, le contrat s’inscrit dans la poursuite du mouvement « initié par la création en 2009 de l’université de Strasbourg », à savoir une logique de fusion. La fusion apparaît dès lors comme l’horizon à atteindre, au moins pour ce qui est des rapports entre l’UHA et l’UNISTRA. Ainsi les risques d’un affaiblissement de la recherche à l’UHA sont patents : le pilotage des Ecoles doctorales par l’UNISTRA ne garantit pas le maintien d’un troisième cycle à l’UHA. Ainsi encore l’offre de formation régionale serait coordonnée à partir des collégiums existants de l’UNISTRA [1], alors même que leur fonctionnement actuel pose de multiples problèmes. Ainsi enfin le recrutement conjoint d’enseignants-chercheurs, programmé pour 2015, pourrait annoncer une politique d’emploi définie au niveau régional et empiétant gravement sur l’autonomie des établissements. La FSU s’opposera vigoureusement à tous ces projets. L’Université de Strasbourg se rêve centre de l’Alsace, alors qu’elle n’est encore qu’un colosse aux pieds d’argile, à la santé financière convalescente et dont la gouvernance n’est que rarement un modèle de démocratie. Le ministère semble lui donner l’occasion d’une fuite en avant au lieu d’œuvrer à la nécessaire consolidation de ses fondamentaux.
Il faut enfin noter que la politique de « clusters », embryonnaire au niveau de l’ESR, relève surtout des pôles de compétitivité et entend fédérer formation, recherche et entreprise dans des structures à forte visibilité que la ministre souhaite généraliser (modèle du « Minalogic cluster » de Grenoble, « cluster PharmaValley » de Rouen). Les clusters se développent dans le cadre de politiques industrielles et concernent surtout les secteurs des nanotechnologies, de la chimie ou de la pharmacie, des transports ou de l’énergie. Les grands absents du contrat de site sont symptomatiquement les entreprises et le secteur industriel, même si les pôles de compétitivité et Alsace Biovalley sont cités et que le projet vise à « libérer le potentiel des entreprises ». Ce contrat semble bien avoir été rédigé dans une optique d’intégration forte du secteur privé au projet de site et de mise à son service du potentiel de recherche et de formation de l’ESR public. Il emprunte son modèle aux clusters industrie/recherche alors même que les établissements alsaciens impliqués, très majoritairement publics, ont des modes de fonctionnement étrangers à de telles structures et n’ont certainement rien à gagner à en épouser la forme. Les syndicats de la FSU du Supérieur exigent des garanties sur le respect de l’indépendance et du fonctionnement des établissements et des organismes publics dont la politique n’a pas à être orientée - et encore moins déterminée – par quelque « cluster » que ce soit, surtout quand sa forme juridique reste totalement indéterminée.

En définitive ce contrat de site est riche d’enseignements sur les intentions politiques du gouvernement qui croisent largement ce que la présidence de l’Université de Strasbourg estime être les intérêts de son établissement, à savoir :

  • un centre de pôle unique et tout-puissant qui « organise » le dialogue « entre les domaines de formation » à partir de ses propres collégiums et oriente la recherche à partir de son IDEX ;
  • une instance de pilotage qui s’arroge des compétences suffisamment fortes et suffisamment étendues pour qu’elle exerce un pouvoir de contrainte sur les établissements ;
  • une métropolisation et une régionalisation à marche forcée de l’ESR visant avant tout une peu probable rationalisation des moyens et des économies d’échelle en période d’austérité.

Quels dangers principaux comporte ce contrat de site ?
Le premier danger est celui de la précipitation des conditions de sa rédaction et le défaut de consultation de nombreux partenaires. Aucune garantie d’adhésion au projet n’est aujourd’hui assurée. Au contraire, les inquiétudes et la colère sont palpables à l’UHA et ailleurs. Comment donc une procédure lourde de multi-rattachements et de multi-conventionnements pourrait-elle être mise en œuvre « rapidement » (sic) ? A-t-on déjà vu un contrat qui formule explicitement une urgence sans déterminer un calendrier précis ?
Le second danger tient à l’ampleur du projet et au degré d’intégration qu’il implique. La « convergence » des fonctions support et de la politique des Ressources Humaines, la coordination et la mutualisation de la gestion administrative et juridique, du Patrimoine, de la politique numérique, de la communication et des systèmes d’information traduisent un projet ambitieux qui aura un pouvoir fort de restructuration de tout l’ESR en Alsace. A-t-il seulement été débattu et concerté au niveau des principaux acteurs de l’ESR en Alsace, des établissements comme des collectivités territoriales ? Les syndicats de la FSU du Supérieur dénoncent un projet piloté par le haut et exigent une large concertation avec tous les acteurs régionaux, condition fondamentale de leur adhésion au projet. Le ministère et l’Université de Strasbourg n’ont pas vocation à déterminer et à engager seuls l’avenir de l’ESR au niveau de toute une région. Tous les acteurs doivent être consultés et respectés.
Le troisième danger est celui des moyens que nécessite un tel projet pour être mis en œuvre. Certains seront attribués au site et non plus aux établissements, sur la base d’appels à projets et non de façon récurrente. Pour l’heure il n’est question que d’une vingtaine de postes pour les quatre établissements (des contrats doctoraux essentiellement), ce qui est ridicule au regard de la dotation insuffisante des deux universités alsaciennes.
Un quatrième et dernier danger, moins visible mais bien réel, est relatif au flou que le contrat entretient sur la nature et les compétences de l’instance de pilotage de la politique de site. A la lecture du contrat il est bien difficile de déterminer qui de l’UNISTRA ou du Comité de pilotage du cluster définira les orientations stratégiques du site. Il est question d’une « gouvernance du site regroupant les 4 établissements signataires », sans que la nature de cette gouvernance ne soit précisée. Il est également singulier de voir que le cluster serait doté d’une capacité de lancer des « appels à projets ». Mais l’instance de pilotage du cluster n’a pour l’heure aucune définition juridique précise, ce qui pourrait indiquer que le ministère navigue à vue. Elle ne saurait avoir non plus le statut de personne morale. La forme « cluster » est par ailleurs absente du projet de loi de l’ESR. Et celui-ci ne prévoit que trois cas de figure : la communauté scientifique, le regroupement par rattachement et la fusion. Aucune des trois ne correspond vraiment à la structuration à la fois hybride et floue concoctée dans le contrat de site Alsace.
L’hypothèse la plus crédible est alors que la région Alsace serait sur le point d’expérimenter la forme d’un multi-rattachement pré-fusionnel. Cette forme serait parfaitement cohérente, non seulement avec l’acte III de la décentralisation, mais encore avec le projet de Conseil unique qui sera bientôt soumis à référendum. Or, la recherche et les formations supérieures en Alsace, l’avenir de nos établissements, ne sauraient être les otages d’enjeux politiques définis au sommet de l’Etat. Il revient d’abord aux établissements signataires du contrat, aux partenaires associés et à leurs instances de définir démocratiquement et de façon concertée le contenu du contrat qui les liera pendant cinq années. On ne peut élaborer un contrat durable et partagé sans une pleine adhésion des contractants. C’est à cette condition que le contrat de site sera efficace, tant pour construire une offre régionale coordonnée de formations que pour impulser la recherche et participer ainsi à la dynamique régionale.

Ce contrat de site n’est pas acceptable en l’état. Il doit être profondément remanié, après avoir pris le temps d’un large débat démocratique au sein des établissements et des organismes concernés, et avec tous les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche en Alsace. Les syndicats de la FSU entendent bien y contribuer et demandent que l’ensemble des partenaires sociaux et des élus dans tous les établissements concernés soient dûment informés et consultés tout au long de la phase d’élaboration du contrat de site Alsace. Ils seront attentifs à ce que son contenu s’inscrive bien dans le cadre législatif et réglementaire en vigueur.

[1] Les 9 collégiums : Arts - Langues - Lettres ; Droit - Administration - Sociétés ; Education et formation ; Journalisme et études politiques ; Sciences ; Sciences économiques et management ; Sciences humaines et sociales ; Sciences - Ingénierie - Technologie ; Vie et santé