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Universités : les opposants à la loi Fioraso veulent se faire entendre. Isabelle Rey-Lefebvre, Le Monde 04/03/2013

lundi 4 mars 2013, par Hélène

Réformer l’université est-il aussi périlleux que réformer l’école ? Malgré la méthode douce adoptée par Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui consistait à organiser des assises et à consulter, durant huit mois, la communauté universitaire, le projet de loi qui en est sorti, et doit être présenté le 27 mars en conseil des ministres, fédère déjà des mécontentements.

La première insatisfaction vient du manque de moyens financiers alloués aux universités, encore accru par l’annonce, le 21 février, du "surgel", pour cause d’austérité, de 250 millions d’euros sur un budget global de 23 milliards d’euros, lui-même en hausse de 2 % par rapport à 2012.

L’intersyndicale formée de SUD, la FSU, la CGT et le Snesup, dans une mobilisation menée par les mouvements Sauvons la recherche et Sauvons l’université, n’hésite pas à qualifier le projet de loi d’"inacceptable" et "aggravant la loi Pécresse sur l’autonomie". Sauvons la recherche surnomme même le texte "loi LRU 2.0", en référence à la loi adoptée en août 2007 par le précédent gouvernement, baptisée Liberté et responsabilité des universités et qui institue leur autonomie budgétaire. C’est d’ailleurs depuis qu’elles gèrent directement leurs finances que les universités prennent conscience de leur fragilité sur ce plan.

APPEL À UNE JOURNÉE NATIONALE DE GRÈVE LE 21 MARS

Lors d’une assemblée générale de ce front du refus, le 2 mars, dans les très beaux locaux de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) et en face de sa toute nouvelle bibliothèque, inaugurée l’avant-veille par Geneviève Fioraso, s’exprimaient toutes les crispations et frustrations de cette frange protestataire de la communauté universitaire. L’amphithéâtre était presque plein, avec 150 participants venus d’une trentaine d’établissements de toute la France, qui, à l’issue de la réunion, ont appelé à une journée nationale de grève le 21 mars.

Première raison de la colère : le manque de postes et de moyens financiers. "Où sont passés les milliards des investissements d’avenir et d’excellence [Idex], aujourd’hui distribués de manière opaque par le commissaire général à l’investissement, placé sous la tutelle du premier ministre, loin du regard démocratique des parlementaires ?" interpelle Emmanuel Saint-James, président de Sauvons la recherche. "L’autonomie a conduit les présidents d’université à recourir à des consultants privés pour mener des audits et des études coûteuses, qui siphonnent l’argent public", dénonce Fanny Darbus, maître de conférence en sociologie à Nantes et membre de l’Association des sociologues de l’enseignement supérieur (ASES). "Sans oublier les budgets de communication, qui coûtent un pognon fou", s’indigne un de ses collègues.

Autre point sensible, la question des précaires, vacataires et contractuels - cette main-d’oeuvre bon marché estimée à 50 000 personnes ces dernières années, qui font pourtant tourner les universités et les laboratoires. Et, fait nouveau, les collectifs de précaires s’organisent, se fédèrent et s’invitent dans les discussions, comme ce 2 mars à l’Inalco. "Il faut mettre fin aux plans de licenciements déguisés et aux dégraissages que pratiquent les organismes de recherche en ne renouvelant pas les contrats à durée déterminée. Et ce ne sont pas les mille postes annoncés par la ministre et la titularisation de quelques milliers de contractuels qui permettront de résorber la précarité, surtout si, dans le même temps, les présidents doivent geler 1 500 postes pour tenir leurs budgets", argumentait Laure Villate, chercheuse contractuelle à l’Institut national de recherche agronomique de Bordeaux, parlant au nom de la coordination d’une dizaine de collectifs de précaires.

"Moi, j’ai les boules, car j’ai une bourse de trois ans pour faire ma thèse, et après, je sais que ce sera la galère pour décrocher un poste", s’insurge Oriane, une jeune doctorante.

NE PAS SE RETROUVER ISOLÉ COMME LORS DU CONFLIT DE 2009

Tout l’enjeu, pour ce front radical, est cependant de ne pas se retrouver dans le superbe isolement qu’il a connu lors du long et difficile conflit de 2009 avec cette vaine "ronde des obstinés", des jours et des nuits, devant l’Hôtel de Ville de Paris, qui a laissé des traces.

Des assemblées générales ont lieu çà et là, des motions sont adoptées, mais le moral n’y est pas : "On a été aplatis par le rouleau compresseur de la LRU, on est démobilisés et les médias ne sont pas avec nous", témoigne un participant. "Il nous faut sensibiliser l’opinion publique, les médias, les parents, trouver des convergences avec les autres enseignants du primaire et du secondaire, mais surtout avec les étudiants", suggère Laurence Giavarini, de l’université de Bourgogne, membre de Sauvons l’université. 2009 a en effet été le rendez-vous manqué entre étudiants et enseignants : les premiers s’étaient mobilisés contre la loi LRU, dès 2007, sans le soutien des enseignants chercheurs, et leur ont rendu la politesse deux ans plus tard... Or la Fédération des associations générales étudiantes et, surtout, l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) soutiennent le projet de loi Fioraso et ne rallieront pas facilement la cause des enseignants chercheurs. William Martinet, venu défendre le point de vue de l’UNEF et les avancées, à ses yeux, de la loi, s’est d’ailleurs fait copieusement huer et même inviter à retourner rue de Solférino, siège du Parti socialiste...

Selon ces opposants, la mise en faillite des universités est intentionnelle et, "comme au Québec, en Grande-Bretagne et au Chili, entraînera une élévation considérable des droits d’inscription".

Isabelle Rey-Lefebvre