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Réponse à l’entretien de Mme Fioraso au Monde, sur les mentions de master - Fabrice ANTOINE (Université de Lille3), 14 février 2013

jeudi 14 février 2013

MASTERS : Ne passez pas les spécialités à la trappe !
Ou : accréditation, piège à c… ?

Les chiffres sont clairs, dit la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche dans le Monde (Le Monde.fr 30 janvier 2013 [1]) : 7700 masters, et même, plus loin, « un chiffre quasiment supérieur à 10000 » est généreusement évoqué !. Haro sur les mentions de master, donc – ce que relayent (un peu rapidement ?) les médias ; entendu à la radio, le même argumentaire : on n’y comprend rien et il y a trop de mentions de master, illisibles, incongrues, voire ridicules ; pensez donc, dixit la ministre, un master quelque part s’intitule « Master en arts, lettres, langues, mention : langues appliquées, spécialité : langues de spécialité, corpus et traductologie » (ouf !), et c’est repris sur les ondes, comme on dit, en faisant rimer ‘corpus’ avec ‘à la va comme je te pousse’…

La ministre mélange allègrement (cela est dit innocemment) mention et spécialité, et omet de dire que l’identification la plus claire, sur le marché du travail qui lui tient pourtant à cœur, c’est la spécialité. Mais peu importe, pointons un doigt accusateur : il y a de vilains universitaires qui ont créé/fait créer des spécialités, des diplômes, – imaginez-vous ! – sur mesure en fonction de leur petite recherche individuelle : où ? combien ? comment ? où est le processus de construction de l’offre de formation par les diverses instances d’une université ? celui d’habilitation (rigoureuse, voire tatillonne, et avec maints allers-retours) par le ministère ? d’évaluation censée être magique par les grands évaluateurs de l’AERES ? Foin de tous ces détails : il y en a trop ; coupons dans le vif : divisons par dix le nombre de mentions (il en restera tout de même 184,10, non mais !), éliminons 5800 spécialités (sur les 5806 évoquées plus haut dans l’entretien, faites le compte ; c’est ce que l’on appelle du nettoyage par le vide).

Le MESR a laissé se développer, à la faveur de la mise en place du LMD, de façon assez anarchique, les mentions et les spécialités de master : cela faisait partie de la machine, qui est devenue folle ; on a jeté aux orties un semblant de carte nationale des formations, bâtie en regard des débouchés envisagés et/ou connus (et c’est dans les équipes pédagogiques que l’on connaît le terrain). Il faut donc, nous explique-t-on, s’occuper de cette folle prolifération. On peut en être d’accord, mais s’interroger sur la méthode : celle du « C’est maman qui sait ce qu’il te faut ! », c’est-à-dire, vous autres, pauvres universitaires sur votre nuage de chercheur ignorant des réalités de la « vraie vie », si peu raisonnables, vous n’êtes pas aptes à vous autoréguler, vous venez de le prouver, ni à procéder au grand nettoyage souhaité – alors Maman va le faire à votre place… : « La loi prévoira de passer de l’habilitation à l’accréditation des établissements par le ministère. Seuls les diplômes figurant dans une nouvelle nomenclature nationale pourront être délivrés par ces universités accréditées. » Maman va vous envoyer une liste de mentions, et vous serez bien gentils de garer vos formations dans les emplacements dessinés au sol : faute de quoi, pas d’accréditation… La machine est construite : vous conformez votre formation à l’un de ses moules ou bien vous disparaissez. Le piège à formations est ouvert : tu te fais accréditer ou tu meurs !

Quelle « nomenclature » ? Bâtie sur quels critères ? Permettant quelle(s) différenciation(s), quel affichage par rapport, par exemple, aux universités étrangères ? Donnant quelle lisibilité sur le marché du travail ? Issue de quelle consultation, de quelle concertation ? Ne voit-on pas que, derrière ce nettoyage « de printemps », se profile l’évacuation de véritables spécificités de beaucoup de Masters, en particulier de ceux issus des anciens DESS, professionnalisants avant que tout Master soit déclaré professionnalisant puisque préparant à un métier… à plus ou moins longue échéance (ah, quelle belle invention que le Master « indifférencié », ni « recherche », ni « professionnel », mais mi-chèvre, mi-chou !). Ne voit-on pas, qu’au prétexte de rendre plus lisibles – et, j’allais oublier, plus démocratiques – les offres de Master, on noie le poisson ?

L’important, pour dire les compétences du titulaire du diplôme, c’est ce qui est dans l’intitulé de la spécialité, à partir du moment où celui-ci est clair et en rapport objectif avec une fiche du RNCP (Répertoire National des Certifications Professionnelles) : cet outil-là ; ce filtre-là, existe déjà ; utilisons-le au lieu de créer une nomenclature de toutes pièces ; ce répertoire-là n’a rien d’improvisé ni de subjectif…
L’important, c’est aussi de redire clairement qu’un Master, c’est une formation, un développement de compétences, dans une spécialité donnée, en deux ans, s’appuyant sur un réel acquis de licence, avec adossement à la recherche – c’est-à-dire qui respecte le cahier des charges du LMD, vieux d’une dizaine d’années.
L’important, c’est aussi de respecter les Masters professionnels, héritiers des DESS, et d’en reconnaître de nouveau clairement, d’en afficher, la spécificité. C’est, en particulier pour les Masters professionnels de traduction réunis dans l’AFFUMT (Association Française des Formations Universitaires aux Métiers de la Traduction), de reconnaître, en dehors de toute doctrine, que la spécificité du diplômé, ce qui fait son « employabilité », ce qui est sa carte de visite, lisible et reconnue, c’est la spécialité clairement affichée de son Master.

Fabrice ANTOINE
Professeur des Universités
Responsable du Master « Métiers du Lexique et de la Traduction – MéLexTra (anglais-français) »
Université Lille 3

1 - Je ne suis pas traductologue, mais en tant que spécialiste de traduction, lexicographie et lexicologie, je regrette profondément que la traductologie, discipline à part entière, soit mentionnée pour ce qui est peut-être la première fois dans les médias avec cette connotation farfelue, exotique, ridicule : les conseillers de la ministre à l’origine de ce choix (?) auraient certainement pu trouver leur exemple ailleurs et éviter de s’immiscer dans un débat que, à l’évidence, ils ignorent et qui les dépassent…
2 - La présidente de l’AFFUMT, Elisabeth Lavault-Olléon, Professeur à l’Université Stendhal Grenoble 3, écrit dans une lettre à la ministre : « Le maintien de spécialités de master clairement identifiées comme professionnelles nous semble un élément essentiel de dynamisme, d’innovation pédagogique et d’adéquation aux évolutions socio-économiques, garantissant l’employabilité des étudiants grâce, entre autres, à l’implication de professionnels dans la formation et à l’obligation de stages de plusieurs mois. »


[1À (re)lire ici