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"Quelques leçons pour l’université française", Tribune, Etienne Augé, Slate.fr, 19 octobre 2012

lundi 22 octobre 2012

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En France, on n’aime pas les classements qui relèguent l’enseignement hexagonal à de piteuses places. Néanmoins, il y a fort à apprendre des autres systèmes.

Plusieurs classements internationaux prétendent rendre compte de la hiérarchie mondiale des établissements d’enseignement supérieur. Même si le plus connu, le Shanghai Ranking, est claironné chaque année par l’université chinoise Jiao Tong, le Times of Higher Education publie annuellement celui qui fait autorité dans la communauté universitaire par la diversité de ses critères et surtout l’ampleur de son échantillonnage.

L’annonce de son classement pour l’année 2012 a fait l’effet d’une bombe académique : non seulement la prestigieuse université Harvard n’est plus première du classement, mais surtout la domination européo-américaine tend à s’effriter face à la montée en puissance d’établissements situés dans des pays asiatiques.

La carte du monde universitaire serait en recomposition, et ce phénomène n’est pas à l’avantage de la France avec seulement sept universités dans le top 200. Quelles leçons peut-on tirer d’un tel classement qui relègue la France loin derrière les Etats-Unis, le Royaume-Uni mais aussi les petits Pays-Bas ?

La France n’est plus le phare de la pensée mondiale

Pour la France, le constat est amer en matière d’éducation supérieure. Alors qu’elle croyait son système universitaire l’un des meilleurs du monde, coup sur coup plusieurs classements lui renvoient une image beaucoup plus modeste.

D’abord le Times of Higher Education place le premier établissement d’éducation supérieure, l’Ecole normale supérieure de Paris, à la 59e place, derrière des universités américaines, britanniques, suisses, canadiennes, japonaises, australiennes, singapouriennes, chinoises (dont Hong Kong), suédoises, coréennes, allemandes et même belge puisque l’université catholique de Louvain se place à la 58e place. Le classement de Shanghai avait été un peu plus francophile en plaçant l’université Paris Sud à la 37e place, et même en l’intégrant dans le top 10 en mathématiques.

Les classements universitaires sont à considérer avec une grande prudence, les différences entre les multiples classements montrant qu’en fonction des critères requis, les résultats seront différents, ce qui est une évidence dans le monde académique.

Toutefois, les classements universitaires sont de précieux indicateurs et fonctionnent comme d’excellents outils de relations publiques, notamment pour l’attraction d’étudiants ou de professeurs qui contribueront par la suite à la recherche, donc à la richesse et la renommée de leur pays.

Les Etats-Unis continuent de rayonner

L’exemple américain est frappant : quel que soit le classement pris en compte, en ne retenant que les trois les plus influents pour notre exemple, les Etats-Unis arrivent en tête avec l’université de Harvard pour le classement de Shanghai, le Massachussets Institute of Technology pour QS, le troisième classement universitaire majeur, et le California Institute of Technology pour le Times of Higher Education.

Attirant en théorie les meilleurs étudiants et professeurs, les Etats-Unis ont su, année après année, développer un modèle construit à la base sur l’exemple européen mais qui fait aujourd’hui référence dans le monde entier.

La domination des Etats-Unis demeure écrasante : le blog du Monde sur l’enseignement supérieur note que le classement du Times référence 76 universités américaines dans les 200 meilleures mondiales, suivies d’assez loin par 31 britanniques.

Les Etats-Unis sont-ils réellement les meilleurs du monde en matière d’enseignement et de recherche universitaire ? L’essentiel est que cela devienne une certitude et plus encore une croyance : au final, un étudiant à la recherche d’excellence se tournera en priorité vers les Etats-Unis tout comme un professeur choisira souvent un laboratoire américain pour développer au mieux sa carrière. En second choix, ou en fonction de sa discipline, il pourra également se tourner vers le Royaume-Uni, où la réputation d’Oxbridge, des écossaises et des londoniennes n’a jamais failli siècle après siècle.

Les Pays-Bas, un exemple à suivre ?

Toutefois, la domination anglo-saxonne n’est pas une hégémonie. Les Pays-Bas comptent 12 universités dans le top 200 du Times, devant l’Allemagne avec 11 universités et loin devant la France. Les universitaires français ont tendance à critiquer la position de domination des universités américaines et britanniques en arguant qu’elles sont souvent privées et donc capables de mobiliser des sommes importantes pour attirer « les meilleurs ».

Les 12 universités néerlandaises sont toutes publiques et ne peuvent donc pas voir leur succès expliqué par la pratique d’un capitalisme pur. Même si chaque université possède son autonomie et que les mieux cotées (Leiden et Utrecht, respectivement 64e et 67e dans le classement du Times) sélectionnent leurs étudiants, les Néerlandais peuvent choisir librement leur université d’autant plus facilement que le pays est petit et se traverse de part en part en quelques heures. Un habitant d’Eindhoven dans le sud du pays peut théoriquement étudier à Groningen au nord à deux heures et demie de route sans déménager.

L’excellence néerlandaise est à rechercher dans la mentalité et la gouvernance. D’abord, les universités enseignent majoritairement en anglais. A l’instar de la Suède, l’autre petit pays à la dimension universitaire mondiale, les Pays-Bas se sont mis à l’anglais sans craindre pour leur identité et se sont ainsi ouverts de façon spectaculaire à l’étranger.

Dans le département de communication de l’université Erasme de Rotterdam où j’enseigne, les professeurs sont en majorité étrangers (Chine, Etats-Unis, Inde…) et les étudiants viennent du monde entier, mettant les Hollandais en minorité. Cet exemple n’est pas isolé, les universités hollandaises recrutent sur le marché mondial leurs professeurs et leurs étudiants, misant sur une qualité de vie optimale, une excellence universitaire mais aussi des salaires compétitifs.

La force du système universitaire hollandais provient également d’un investissement financier fort du gouvernement qui vient compléter les sommes investies dans la recherche par les compagnies privées.

Au final, les professeurs sont payés de façon confortable sans que les étudiants ne déboursent pour leur inscription des sommes astronomiques comme dans les établissements privés américains et britanniques. Le gouvernement fixe un montant maximum pour les frais d’inscription qui varie en fonction de l’origine, selon que l’on soit européen ou extra-européen, mais qui reste très raisonnable pour un étudiant hollandais : 1.771 euros pour l’année 2012/2013 [1].

Quelles solutions pour le modèle français ?

La France n’aime pas recevoir de leçons du reste du monde, en particulier des « Anglo-saxons ». La Hollande peut être une source d’inspiration pour le modèle français au potentiel reconnu mais qui peine à se réformer devant la mondialisation nécessaire de l’université. D’emblée, on peut suggérer quelques pistes de réforme destinées à améliorer sinon l’université française, en tout cas sa réputation.

François Garçon propose ainsi d’en finir avec le Conseil national des universités dans son ouvrage Le dernier verrou. Ce système archaïque consiste à faire déterminer par un jury national la capacité à enseigner au niveau universitaire. Cette particularité française empêche ainsi nombre de candidats français et étrangers de pouvoir contribuer à un système universitaire qui fonctionne encore par discipline.

L’autonomie des universités représente également une excellente initiative, à condition que l’Etat y mette les moyens, ou permette aux universités de se les procurer. L’internationalisation ensuite, en acceptant que l’anglais ne soit plus la langue de l’ennemi mais la lingua franca de facto qui permet de se faire comprendre au niveau mondial. Offrir des cours en anglais permet de se donner une dimension internationale que n’offre pas le français.

Enfin, l’université est un lieu de savoir important, mais les professeurs qui la font exister ont aussi besoin de vivre. On suggérera donc une rémunération plus important que l’actuelle avec en échange la fin du mandarinat à vie, opinion qui certainement nous vaudra des noms d’oiseaux de la part de ceux qui restent persuadés de la supériorité française universitaire.

Pour finir, une suggestion très simple mais efficace dans un marché où la réputation permet de monter dans les classements universitaires : donner des noms aux universités. « Université Albert Camus » par exemple à la place de « Paris Est Créteil Val de Marne », ne permettrait-il pas de rappeler au monde entier l’excellence de la pensée française ?

Etienne Augé

[1] NDLE : En France, le coût de l’inscription dans l’enseignement supérieur public va de 181 euros à 596 euros selon le diplôme.

Etienne F. Augé est Senior lecturer en communication internationale à l’Université Erasmus de Rotterdam. Il est également enseignant à l’Académie diplomatique de Clingendael à La Haye, à l’Université du Danube de Krems en Autriche, à l’Anglo-American University de Prague et à l’Université Saint Joseph de Beyrouth. Il a notamment écrit le Petit traité de propagande (à l’attention de ceux qui la subissent) aux éditions De Boeck).