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Universités : la remise en ordre, pas la révolution ! Lucie Delaporte, Mediapart, le 30 août 2012

jeudi 30 août 2012, par Hélène

Plus de deux millions d’étudiants font leur rentrée dans quelques jours. Alors que le gouvernement vient de lancer les assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, prélude à une nouvelle loi d’orientation annoncée pour le début 2013, nous avons voulu connaître les projets de Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

La ministre assume sans réserve une partie des objectifs de ses prédécesseurs sur l’autonomie des établissements ou la constitution de pôles d’excellence notamment : pas question donc de rayer d’un trait cette loi LRU voulue par Nicolas Sarkozy et Valérie Pécresse et qui avait provoqué les grèves de 2009. La ministre souligne en revanche que « la démocratisation de l’enseignement supérieur », c’est-à-dire le taux de réussite des étudiants et leur accès aux diplômes, a été la grande oubliée. Pour la première fois, le nombre de diplômés en licence a reculé de 4% en 2011 !

Contre toute attente et alors qu’ une majorité de facultés sont aujourd’hui en grande difficulté financière, la ministre explique pourtant qu’« il y a de l’argent à l’université ». Tenant un discours de manager, elle assure que les universités doivent « mieux s’organiser, mutualiser des moyens, faire du redéploiement ». Concernant l’allocation d’autonomie pour les étudiants, l’une des grandes promesses de François Hollande, Geneviève Fioraso précise qu’elle se fera sous conditions de ressources dans une refonte de la totalité des aides existantes : aide au logement, demi-part fiscale, etc., et sera « progressivement mise en place au cours du quinquennat ».

Enfin, la ministre annonce une intégration progressive des classes préparatoires à l’université, une idée défendue de longue date par Vincent Peillon mais totalement absente de la campagne présidentielle.

Quels sont les enjeux de ces assises ? La campagne de François Hollande sur l’enseignement supérieur a été ressentie comme ambiguë quant à l’héritage de la LRU (loi d’autonomie sur les universités) ou du Plan campus notamment.

Les objectifs de la loi LRU ou de la loi sur la recherche de 2006 : autonomie, recherche de l’excellence, réussite en licence, meilleure efficacité et visibilité de notre recherche… Qui peut être contre ? Mais au fur et à mesure que je découvre l’état des dossiers et des projets, je peux vous dire qu’il y a surtout eu beaucoup d’effets d’annonce. Sur les 5 milliards d’euros annoncés par Nicolas Sarkozy en 2007, 500 millions ont été engagés et tout n’a pas été dépensé.

Concernant les plans campus, la seule convention qui a été signée l’a été en juillet. Je ne dis pas la pose d’une première pierre, simplement une signature de convention… plus de quatre ans après ! Autre exemple, pas un logement étudiant sur les 13.000 de ce plan n’est programmé.

La loi que nous voulons adopter au cours du premier trimestre 2013 engagera, elle, un travail réellement sérieux pour faire évoluer les universités. Et puis je veux aussi souligner qu’il y a quand même eu un volet oublié par mes prédécesseurs, c’est la démocratisation de l’enseignement supérieur. L’accès du plus grand nombre de jeunes à une qualification de l’enseignement supérieur sera une de nos grandes priorités.

En 2007, Nicolas Sarkozy avait promis des milliards pour l’enseignement supérieur. Aujourd’hui près de la moitié des universités connaissent d’importants problèmes financiers. Comment en est-on arrivé là ?

Effectivement, fin 2012, la moitié d’entre elles ne disposeront plus du fonds de roulement prudentiel (évalué à un mois). Concernant la trésorerie, cette fois, plus de 20 % des universités seront en trésorerie négative ou autour de zéro à la fin de l’année, avec une évolution négative dans les années à venir. Voilà l’état des universités cinq ans après la LRU.

On arrive à cette dégradation parce que l’argent promis n’est pas arrivé. On n’a pas du tout accompagné cette autonomie et on n’a pas fait les transferts financiers euro pour euro. Certains postes ont été sous-estimés ou carrément « oubliés ». Au total, pour cette seule année, on arrive à 400 millions d’euros d’impasse budgétaire. Nous avons heureusement obtenu les arbitrages nécessaires de Bercy sur ce point.

Comment sortir les universités de l’ornière ? On sait que le contexte budgétaire n’est pas très favorable.

Plutôt que de les mettre sous tutelle comme l’avait décidé le précédent gouvernement – ce qui est une drôle de vision de l’autonomie –, nous avons décidé de les accompagner. Nous avons mis en place des indicateurs d’alarme qui permettent d’anticiper les ennuis à venir pour éviter que leurs situations ne dégénèrent. Par ailleurs, nous allons nous doter des vrais outils de management que sont les contrats. Il y a toujours eu des contrats avec les universités mais il s’agissait pratiquement de coquilles vides. Il faut remettre de l’exigence et faire de ces contrats un outil de pilotage et un outil de confiance entre les universités et l’État.

Cette contractualisation se fera sur nos priorités : la réussite des étudiants en premier cycle, une meilleure visibilité de notre recherche avec une organisation plus efficace, et enfin une gouvernance des universités qui soit à la fois efficace, là aussi, et collégiale – ce n’est pas antinomique. Nous regarderons sur tous ces points les actions réellement engagées. Tout cela devra se faire dans le cadre d’une stratégie de site, c’est-à-dire pas l’université toute seule, mais en lien avec les organismes de recherche, les collectivités territoriales, les acteurs économiques.

Mettre des indicateurs d’alerte sur les finances des universités, c’est une chose, mais s’il n’y a pas d’argent supplémentaire tous les indicateurs vont rester au rouge, non ?

On ne peut pas dire qu’il n’y a pas d’argent dans l’université française. Qu’elles soient en déficit ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’argent. Il y a des niches d’efficience : elles peuvent mieux s’organiser, mutualiser des moyens, faire du redéploiement. Ce qui servira aussi d’ailleurs à rendre l’offre de formation plus lisible. Car avoir 6.600 masters pour un petit pays comme la France, ça vous paraît lisible pour les entreprises ou pour les employeur publics ? Ça vous paraît lisible pour les familles ?

Il y a des centaines et des centaines d’intitulés de licence différents : cela déprécie l’offre alors même que les contenus, les enseignants sont souvent excellents. Et ceux qui vont savoir lire cette offre sont ceux qui ont déjà les réseaux, les connaissances, pas ceux qui viennent des milieux modestes.

Des masters à six élèves, est-ce que c’est sérieux ? On peut se le demander. Avoir du portugais dans toutes les universités, est-ce indispensable ? J’adore le portugais mais avoir une discipline rare dans toute les universités, ce n’est peut-être pas utile. Un étudiant qui voudrait travailler sur un sujet très précis doit pouvoir le faire dans quelques endroits en France. Il faudra bien sûr l’accompagner dans sa mobilité, notamment au niveau du logement.

Enfin, il y aura aussi des rééquilibrages à faire parce qu’il y a des universités pour lesquelles cela va plutôt bien et d’autres qui sont notoirement sous-dotées. Par ailleurs, la création de 5 000 postes dans le supérieur (NDLR : sur les 60 000 promis par F. Hollande, 5 000 reviennent au supérieur sur le quinquennat), ce sont des moyens supplémentaires. Mais on va aussi demander aux universités de faire des efforts, en concertation encore une fois.

Vous dites vouloir en finir avec la concurrence entre les universités, mais n’est-ce pas la conséquence inévitable de l’autonomie ?

Il est vrai qu’on a construit de grosses entités en les mettant en concurrence entre elles. Cela ne fonctionne évidemment pas. Nous sommes un petit pays qui ne peut pas se le permettre. La compétition, elle n’est pas chez nous, pas en Europe non plus. Elle est ailleurs. Elle est avec la Chine, la Corée du Sud, aux États-Unis, au Brésil. Il faut donc travailler en réseau et plutôt encourager la coopération que la compétition absurde.

Pour financer l’université, certains prônent une hausse des frais d’inscription. Est-ce une piste sur laquelle vous travaillez ?

Je ne dis pas que Bercy ne m’y a pas poussé cette année. Nous avons quand même les frais d’inscription les moins chers du monde et les boursiers en sont totalement exonérés. Mais je souhaite qu’ils n’augmentent pas de manière significative. Ce serait un mauvais signe donné à la démocratisation de l’enseignement supérieur que nous défendons. Nos frais d’inscription sont aussi un facteur d’attractivité pour les étudiants étrangers qui représentent 41 % des doctorants.

Que vont devenir les fondations d’universités créées pour lever des fonds privés sous la précédente mandature ?

Nous n’allons pas supprimer celles qui ont été créées. Dans certaines villes, qui ont une culture des fondations, je pense à Lyon justement, cela peut fonctionner. L’idée, c’est d’utiliser au maximum les structures existantes.

Lors de votre audition à l’Assemblée nationale, vous avez laissé entendre que les universités pourraient aussi trouver des ressources propres ?

C’est certain. Elles pourraient faire de la formation tout au long de la vie. On peut peut-être aussi les utiliser l’été. Beaucoup d’entre elles ont des écoles d’été. C’est vrai que nous sommes dans un contexte budgétaire où tous les efforts sont portés sur l’amont, sur le primaire en particulier. Cela ne me choque pas. Pour bien réussir à l’université, il faut déjà ne pas avoir été en échec scolaire avant.

Votre objectif est la réussite des étudiants en premier cycle qui est dramatiquement faible : moins d’un tiers des étudiants obtiennent leur licence en trois ans. C’était déjà celui de Valérie Pécresse avec le plan réussite en licence qui n’a pas fait bouger les lignes. Comment comptez-vous enrayer l’échec ?

Le plan Pécresse a même fait régresser les choses ! Il a aggravé de 4% l’échec en licence selon les chiffres qui viennent de me parvenir. C’est quand même embêtant pour un plan qui a mobilisé 730 millions d’euros !

Sur le terrain, il y a quand même eu des expériences intéressantes que nous regardons de près. A Toulouse, à Grenoble, par exemple, où on parvient à des taux de réussite importants. Alors, certes, il faut reconnaître que concernant les mauvais chiffres de cette année, il y a eu "un effet crise" sur les étudiants - les familles ayant moins d’argent, ils ont du travailler davantage, etc. Mais ça veut quand même dire qu’on a dépensé 730 millions d’euros pour rien.

Comment l’expliquez-vous ?

On n’a travaillé sérieusement ni sur la pédagogie, ni sur l’orientation. Beaucoup d’initiatives ont été prises localement mais il n’y a pas eu d’ingénierie globale. Les bonnes pratiques ne sont formalisées nulle part. Est-ce que c’est l’autonomie de laisser chacun faire les choses le nez dans le guidon ? Alors que nous sommes dans une période où les moyens sont contraints, nous devons d’autant plus jouer notre rôle stratège. Il y a quand même 700 personnes au ministère. Elles n’ont pas été mises à contribution. C’est quand même plus important de travailler à la réussite des étudiants qu’à l’habilitation des diplômes qui ne sert à rien !

Vous souhaitez aussi renforcer avec Vincent Peillon le volet orientation. En quoi cela peut-il influer sur la réussite des étudiants ?

C’est un levier essentiel. La réussite dans le supérieur se joue beaucoup dans les années lycée, pour ceux qui y sont parvenus. L’objectif est d’éviter par exemple que les bacs mention bien ES ou S, qui ne souhaitent pas aller en classe prépa aillent dans les IUT ou les BTS parce qu’ils ne lisent pas l’offre de formation à l’université, ou parce qu’ils en ont une fausse image. Et les bacs pros ou technos qui se retrouvent à l’université : ils sont les principales victimes de l’échec en premier cycle. Pour un bachelier professionnel, le taux d’échec en licence est de 90%.

D’où la nécessité de rétablir une bonne orientation. Nous y travaillons en ce moment avec Vincent Peillon à travers ce que nous appelons le "-3 plus +3." Il est important d’agir dès le lycée en complétant la mission des conseillers d’orientation telle qu’elle existe aujourd’hui. Nous voulons développer la présentation des métiers dès le lycée, faire venir des professionnels dans les établissements. On ne peut pas demander à un conseiller d’orientation qui n’a pas été formé pour cela de présenter des métiers, de connaître les secteurs en tension etc. En revanche, dans des stratégies de site, avec les personnels du service public de l’emploi, avec les missions locales, les organismes socio-professionnels… Là on peut faire des choses intéressantes.

Quels sont les autres leviers de la démocratisation du supérieur qui semble bien en panne puisque seuls 7% d’enfants d’ouvriers obtiennent un diplôme bac+5 contre 40% des enfants de cadres ?

L’orientation est essentielle, comme on vient de le voir. Il y a donc un certain nombre de créations de poste qui y seront affectées. Pourquoi pas aussi faire appel aux jeunes en contrat d’avenir pour participer à l’amplitude d’ouverture des centres de documentation ? Un jeune qui travaille 10 à 15 heures par semaine, peut réussir ses études, mais il faut que la bibliothèque soit ouverte aux horaires où il est disponible.

Il faudra aussi développer l’alternance - qui est tout sauf une formation au rabais – parce que l’on sait que les jeunes apprennent tous de manière différente. D’ailleurs, je veux souligner que la démocratisation de l’enseignement supérieur n’est pas antinomique avec l’excellence. C’est mépriser la démocratie que de dire cela. Il faut être d’autant plus exigeant qu’on accueille plus de monde.

Est-ce que le débat sur la démocratisation du supérieur n’est pas faussé quand on sait les écarts de moyens entre les universités et les classes préparatoires ? Vincent Peillon a longtemps défendu sur ce thème l’intégration des grandes écoles à l’université. Ce chantier-là va-t-il s’ouvrir ?

Il est vrai que le coût d’un étudiant à l’université et dans une grande école va parfois du simple au double. Nous sommes donc en train de travailler à la manière d’aller vers une intégration des classes préparatoires à l’université. C’est une étape qui permettra ensuite d’avoir des rapprochements et davantage de passerelles entre les grandes écoles et l’université. Il s’agit d’un des chantiers du quinquennat. Nous allons en discuter aux assises. Cela ne peut pas se faire brutalement d’une année scolaire sur l’autre parce que cela ne marcherait pas.

Même si on sait qu’il existe déjà beaucoup de forme de sélection à l’université, intégrer les classes prépa à l’université n’est-ce pas remettre en cause la non-sélection à l’entrée de l’université ?

Non, je préfère parler d’orientation plutôt que de parler de sélection. Ma mission est de revaloriser la formation générale à l’université et faire en sorte qu’elle inspire la confiance qu’elle doit inspirer.

François Hollande s’est engagé à créer une allocation d’autonomie pour les étudiants. Quelle forme prendra-t-elle et quand sera-t-elle mise en place ?

Nous débutons une négociation avec les organisations étudiantes sur le sujet. L’idée est de tout remettre à plat : l’allocation logement, la demi-part fiscale, l’aide sociale bourse inclue. On va travailler à partir de tout ça en essayant notamment de lisser davantage les aides entre les boursiers et non boursiers. Parce qu’il suffit d’être un peu au dessus du SMIC et être deux à travailler pour être exclu des dispositifs existants.

Aujourd’hui, les organisations étudiantes sont très sensibles au caractère universel de l’allocation d’autonomie. C’est une discussion que nous allons avoir... Mais je pense qu’en période difficile, si l’on veut être juste, il faut cibler les étudiants qui en ont le plus besoin et demander davantage aux familles qui ont les moyens. Il n’est pas normal qu’une famille de cadres puisse prétendre aux mêmes aides au logement étudiant qu’une famille modeste. L’allocation d’autonomie sera progressivement mise en œuvre au cours du quinquennat.

Le budget global va-t-il augmenter ?

J’ai entendu des sommes très importantes – certaines organisations étudiantes chiffrant la mesure à 18 milliards d’euros - On ne va pas les sortir comme cela du chapeau. L’enveloppe actuelle sera répartie différemment.

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