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Audition de Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche - 11 juillet 2012

samedi 21 juillet 2012, par Bouvard et Flaubert

La commission entend Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous accueillons avec plaisir Mme Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, pour écouter les propositions du Gouvernement sur ce secteur qui nous tient à coeur, et qui fera prochainement l’objet d’Assises.

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. - Je connais bien votre présidente, Mme Blandin, pour avoir été avec elle membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques, organe très intéressant qui mérite d’être davantage valorisé. Je viens présenter à votre commission les orientations de mon ministère, sachant que nous sommes en pleine discussion budgétaire, et que rien n’est encore figé.

Le Président de la République a fait de la jeunesse la priorité de son projet pour la France. La tenue d’Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche a été annoncée ce matin en conseil des ministres, confirmant l’annonce faite par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale. Le comité de pilotage de ces Assises a été installé aujourd’hui. C’est une étape importante.

La politique que je propose poursuit trois objectifs. D’abord, mettre en oeuvre les conditions de la réussite des étudiants, notamment dans le premier cycle, favoriser l’insertion des docteurs dans la vie professionnelle en réduisant la précarité qui les pousse trop souvent à s’expatrier. Deuxième objectif : une ambition renouvelée pour la recherche, en renouant le dialogue et par des mesures concrètes visant à simplifier le paysage de la recherche et de l’enseignement supérieur et à corriger les déséquilibres issus du programme des investissements d’avenir et de l’opération Campus, qui ont rendu le système illisible et peu démocratique. Troisième objectif : faire mieux reconnaître la qualité de notre recherche et de notre enseignement supérieur sur la scène européenne et internationale.

La communauté scientifique a été bousculée par les réformes successives, venues d’en haut sans assez de concertation, et par la frénésie des appels d’offres dans le cadre des investissements d’avenir, tous formatés différemment : les directeurs de laboratoire ont perdu beaucoup de temps à remplir des formulaires, au détriment de leur recherche ! Le paysage a été profondément modifié. Les décisions du Commissariat général à l’investissement ont entraîné un déséquilibre entre les régions : n’y aurait-il au nord de la Loire de compétences qu’en Ile-de-France ou à Strasbourg ?

Les citoyens s’inquiètent du devenir de notre système d’enseignement supérieur et de recherche. Nous devons avant tout restaurer la confiance avec les étudiants et leurs familles. Nos universités dispensent une formation de qualité, il faut améliorer leur image.

Sur le plan budgétaire, il faut dire la vérité sur les impasses budgétaires du précédent gouvernement, notamment sur le dixième mois de bourse, annoncé à grand renfort de communication, voire survendu, et dont la Cour des comptes a dénoncé le non-financement. Nous, nous en finirons avec la cavalerie : nous voulons être dans la vérité des chiffres.

Ma méthode, c’est le dialogue, la concertation, le pragmatisme. Pas d’effets d’annonce, pas de mots tabous. Oui à l’excellence, mais à l’excellence pour tous. Oui à l’autonomie, mais accompagnée des moyens financiers et humains correspondants.

Nous avons mis en place le cadre de ce dialogue, en lançant les Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les questions budgétaires, la précarité des personnels, l’insertion professionnelle des docteurs seront abordés au sein des instances normales de concertation. Les Assises, elles, ont un objet plus large.

Nous avons déjà agi, en commençant par abroger la circulaire Guéant, qui a terni l’image de la France à l’étranger. Je rappelle qu’en France, 41 % des docteurs sont étrangers ! Ce sont de formidables ambassadeurs de notre culture et de notre activité économique. Cette circulaire était une aberration, son abrogation a été saluée par tous, jusqu’au Mouvement des entreprises de France (MEDEF).

Nous avons fait avancer des projets importants pour les régions et la valorisation de la recherche comme les instituts de recherche technologique (IRT) ou les sociétés d’accélération de transfert de technologie (SATT), bloqués deux ans après leur labellisation. Nous oeuvrons pour la simplification des procédures, dans le respect du travail effectué, comme le Président de la République s’y était engagé. Les discussions vont reprendre avec les partenaires et le Commissariat général à l’investissement, pour ramener les organismes publics dans les procédures.

Nous voulons rétablir la confiance. La rénovation que nous proposerons sera ambitieuse, chacun doit se l’approprier. Pas moins de 92 % du budget de mon ministère sont gérés par des opérateurs extérieurs, à commencer par les universités. A titre de comparaison, cette proportion est de 50 % en ce qui concerne le ministère de la culture, qui est pourtant le deuxième ministère en termes d’externalisation de la mise en oeuvre de son budget. Si les acteurs ne sont pas associés à l’élaboration de la politique, comment compter sur leur engagement à la mettre en oeuvre, a fortiori quand les crédits se font rares ? Nous avons besoin de la contribution de tous : les communautés universitaires et scientifiques, les étudiants et les forces vives du pays, en particulier le milieu socio-économique, premier concerné par l’élévation des connaissances et l’innovation, créatrice d’emplois à valeur ajoutée. La compétitivité en termes de coût du travail n’est pas la panacée, il est essentiel de remettre la compétitivité-qualité au coeur de la démarche. Il faut laisser la recherche fondamentale travailler en paix, sauf à risquer d’assécher l’innovation. Que les chercheurs ne gaspillent pas leur énergie dans une course aux crédits permanente !

Toutes les propositions s’exprimeront lors des Assises ; les décisions se traduiront au plan législatif, début 2013, ainsi qu’au plan réglementaire et contractuel. Ces Assises reposeront sur un comité de pilotage indépendant présidé par Mme Françoise Barré-Sinoussi, chercheuse à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et prix Nobel - une femme, car le plafond de verre existe aussi dans le milieu de la recherche. Son rapporteur général sera le professeur Vincent Berger, président de Paris VII, membre de l’Institut universitaire de France, il a également travaillé dans les laboratoires d’un grand groupe français.

Après une phase de consultation de juillet à septembre 2012, des assises territoriales se réuniront en octobre, puis les assises nationales fin novembre, et le rapport sera rendu en décembre. La loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) de 2007 et la loi de programme pour la recherche de 2006 seront alors corrigées et de nouvelles dispositions législatives seront soumises au Parlement début 2013.

Les Assises aborderont les objectifs de la nouvelle politique que je compte conduire : élever le niveau de connaissance de la jeunesse et de la société, permettre aux jeunes de se projeter dans l’avenir, rebâtir de nouveaux fondements pour le redressement économique et social de la nation, avec pour priorité le redressement productif. Elle reposera aussi sur une organisation plus équitable du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche sur le territoire national, conciliant différenciation et équité entre les territoires. Il faut travailler en réseau, sans tout concentrer autour de quelques pôles.

Priorité sera donnée à la réussite de tous les étudiants, notamment en premier cycle, à l’orientation et l’insertion professionnelle, à l’innovation pédagogique et à la formation des enseignants.

Le Président de la République a annoncé un plan national pour la vie étudiante, qui comprendra un effort important de création de logements sociaux. Nous avons l’ambition de délivrer un diplôme du supérieur à la moitié de chaque classe d’âge. Nous mettrons en place avec le ministère de l’éducation nationale le continuum entre le lycée et le premier cycle, avec la création d’un service public de l’orientation au niveau territorial. La réussite dépend aussi d’une pédagogie diversifiée et adaptée aux publics étudiants d’aujourd’hui. Nous préparons, avec le ministère de l’éducation nationale, un nouveau cadre de formation des enseignants, qui s’incarnera dans des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE), internes aux universités. Les cinq mille emplois supplémentaires pour l’enseignement supérieur, dont mille en 2013, seront affectés prioritairement au premier cycle.

Deuxième objectif, donner une nouvelle ambition à la recherche. Celle-ci prendra en compte la réorganisation territoriale et l’amoncellement des structures issues du programme des investissements d’avenir, les défis internationaux ainsi que le rôle que nous voulons lui voir jouer dans le redressement économique du pays, la société et la transition écologique.

Nous privilégierons une logique de réseau et de coopération pour tirer le meilleur profit de la richesse des territoires. La nouvelle organisation reposera sur des universités autonomes, ancrées dans leur territoire, lieux d’élaboration de la politique de formation et de recherche. Elle réaffirmera la place des unités mixtes de recherche comme structures de base. Les organismes de recherche doivent avoir un rôle national de programmation et d’opérateur de recherche. Nous voulons réduire la complexité institutionnelle du système, simplifier la vie quotidienne des laboratoires. Allez donc présenter notre système à une délégation étrangère : vous renoncerez vite devant la complexité !

Nous devrons redéfinir les missions de l’Agence nationale de la recherche (ANR), pour le financement sur projets, et de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) pour l’évaluation des établissements.

Il faut redonner un sens à la recherche, réaffirmer que la science constitue l’un des fondements de notre projet de société et que, loin d’être réservée à quelques happy few, elle est facteur de cohésion sociale. S’agissant de la diffusion de la culture scientifique, le ministère a délégué ses moyens d’action à Universcience et à d’autres établissements - Conservatoire national des arts et métiers, Muséum national d’histoire naturelle, Musée du Quai Branly. Les initiatives territoriales, essentielles pour susciter des vocations, seront davantage soutenues, avec le réseau des centres de culture scientifique, technique et industrielle et les collectivités.

Enfin, nous réaffirmons la mission de transfert de la recherche publique. Le ministère soutiendra une initiative nationale en faveur de la recherche technologique, composante stratégique du redressement productif. Il faut doter la France des technologies clés qui préparent l’industrie de demain, relancer l’innovation et les filières créatrices d’emplois dans les nouvelles technologies de l’énergie, la microélectronique du futur, les technologies du numérique et de l’Internet, les matériaux avancés, les nanobiotechnologies, la chimie verte ou les technologies avancées de conception et de fabrication.

Cette nouvelle politique agira comme un levier de croissance en Europe ; la France soutiendra pleinement le renforcement de l’espace européen de la recherche. Nous n’émargeons qu’à 11 % dans le septième programme cadre de recherche et développement technologique (PCRDT), alors que nous devrions compter sur un retour de 20 à 22 % pour une contribution à hauteur de 18 %. Mais les laboratoires, submergés par les exigences administratives, ont manqué de temps... J’ai assisté à deux séminaires de travail dans le cadre du G8, participé au premier conseil de compétitivité avec mes homologues. Il faut être plus présent à l’Europe. Les Allemands, les Britanniques même le sont bien plus que nous ! L’idée, chère au Président de la République, que la connaissance peut être levier de croissance fait son chemin : « François Hollande, my hero ! » s’est exclamée la très libérale commissaire européenne à la recherche, Máire Geoghegan-Quinn.

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