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Internats d’excellence, un naufrage à prix d’or - Lucie Delporte, Mediapart, 28 mai 2012

lundi 28 mai 2012, par Mariannick

À lire ici dans Mediapart

Les internats d’excellence constituent sans doute l’initiative la plus
emblématique du quinquennat de Nicolas Sarkozy en matière scolaire. Voulus par
le chef de l’État, ces établissements, qui proposent d’extraire les élèves « 
méritants » de leur quartier populaire pour leur permettre de bénéficier de
conditions d’apprentissage optimales, n’ont cessé d’être mis en avant par la rue
de Grenelle. À eux seuls, ils étaient censés marquer le retour du volontarisme
républicain au service de la méritocratie. Parmi les dix-sept rapports que vient
de sortir des placards Vincent Peillon, celui qui concerne les internats
d’excellence (à lire en intégralité en page 2), est pourtant le plus cruel pour
son prédécesseur.

Pour commencer, le rapport, daté de juin 2011, souligne le coût exorbitant du
dispositif, rendu possible par « un portage politique au plus haut niveau de
l’État ». En pleines restrictions budgétaires, les douze internats d’excellence
obtiennent en effet 200 millions d’euros dans la loi de finances rectificative
pour 2010 !

Pour financer cette « innovation méritocratique », l’administration a aussi
mobilisé tous les leviers dont elle dispose. L’Anru (l’agence nationale pour la
rénovation urbaine), l’Acsé (l’agence nationale pour la cohésion sociale et
l’égalité des chances), le fonds d’expérimentation pour la jeunesse, ont été
sollicités tout comme des fonds privés à travers des fondations ou du mécénat. « 
À Montpellier, la Fondation Total contribue au financement à hauteur de 1,2 M €,
à quoi s’ajoutent 300 000 € de la Fondation HSBC », précise le rapport.

Au bout du compte, chaque place en internat d’excellence coûte, hors masse
salariale, entre 2 000 et 10 000 euros, selon que l’internat est ou non adossé à
un établissement scolaire existant. Ce qui fait écrire aux rapporteurs que « la
soutenabilité financière est incertaine pour des projets qui exigent des moyens
exorbitants du droit commun et qui ne peuvent être mobilisés que dans le cadre
d’une opération exceptionnelle comme celle du grand emprunt ».

Pour assurer la pérennité d’un tel dispositif, « il paraît indispensable, notent
les rapporteurs, que le relais soit assuré par les partenaires habituels du
système éducatif que sont les collectivités territoriales. À cet égard, rien
n’est joué, car la légitimité même de l’internat d’excellence, on l’a vu, est
loin de faire consensus parmi ces partenaires ».

Car, outre la question du coût, le rapport s’interroge sans détour sur le
bien-fondé même du dispositif dont il décrit, les « limites intrinsèques » qui
en font « une réponse partielle à un besoin plus global ».

50 % de boursiers à l’internat de Sourdun
Conscients de l’effet vitrine de ces internats, où l’on propose à une poignée
d’élèves un soutien scolaire quotidien mais aussi quantité d’activités sportives
et culturelles, les auteurs du rapport tiennent à montrer qu’ils ne sont pas
dupes. « Ce que démontrent les expériences en place, c’est qu’en engageant des moyens importants et dérogatoires, utilisés par des personnels sélectionnés, motivés et compétents, une meilleure prise en charge d’un petit nombre d’élèves, issus de milieux modestes, est possible. On peut avoir l’espoir raisonnable que cette prise en charge aboutisse à des parcours scolaires réussis », semblent ironiser les rapporteurs désireux de ne pas voir leur rôle se réduire à constater les performances scolaires de ces établissements Potemkine.

Mais le plus surprenant dans ce rapport est à venir. Malgré, justement,
l’ampleur des moyens mobilisés, un soutien politique du plus haut niveau de
l’État, les résultats observés sur le terrain sont plus que décevants.

Première surprise : le public n’est pas toujours celui attendu. La part d’élèves
boursiers dans les internats d’excellence n’y est ainsi que de 60 %. Dans
l’établissement pilote de Sourdun, lancé un an avant les autres, il n’est que de
50 % (130 élèves sur 259). « Comment ne pas s’étonner, dans tel internat, de la présence d’un enfant de professeur des écoles, d’un enfant de notaire, de vétérinaire et même... de proviseur », interpellent les rapporteurs.

À l’inverse, certains établissements ont manifestement utilisé ce dispositif
pour « se débarrasser des perturbateurs » à tout prix, « quitte à présenter des
dossiers insincères ». « La moitié des 50 élèves de Cachan aurait des problèmes
de nature médicale, psychologique, affective ou comportementale. » Ainsi « la
principale dit avoir été "flouée". Le proviseur de l’internat d’excellence de
Langres parle de son côté de "mensonges éhontés" et cite le cas d’un élève que son dossier qualifiait de "timide mais brillant" alors qu’il s’est révélé très
faible et présentant des problèmes de comportement ».

Autre réserve de taille, un taux de départ très important : entre 10 et 30 % de
l’effectif des internats d’excellence ne termine pas l’année. Les raisons ? Des
règles de vie pour le moins strictes : « surveillance constante, sorties
individuelles interdites ou restreintes, privation ou utilisation très contrôlée
de la télévision comme du téléphone portable, temps libre réduit au strict
minimum », mais aussi des journées surchargées d’activité (kayak, linogravure, ateliers théâtre…), là encore semble-t-il plus pour l’effet d’affichage que pour le bien-être des élèves.

Alors que le candidat Sarkozy s’apprêtait à proposer l’extension du dispositif
par le doublement des places d’accueil de 10 000 à 20 000, on comprend mieux pourquoi la rue de Grenelle a choisi d’enfouir ce rapport, décidément explosif.