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Xénophobie et excellence : sur la nouvelle circulaire Guéant - Communiqué de SLU, 12 janvier 2012

vendredi 13 janvier 2012

Xénophobie et excellence : sur la nouvelle circulaire Guéant.

Selon une procédure désormais devenue une habitude, le gouvernement a concocté au fil des semaines un mauvais feuilleton concernant le dossier du droit des étudiants étrangers à faire des études dans notre pays et celui du droit, pour les diplômés étrangers de nos universités et de nos écoles, de travailler dans notre pays. De fait, sans même en appeler à ceux qui disposent d’un minimum de conviction éthique ou républicaine, quelle personne sensée pourrait décréter du jour au lendemain qu’il est bon de reconduire à la frontière la plupart des dizaines de milliers d’étudiants étrangers ayant achevé leurs études supérieures en France ou mettant un peu plus de temps que prévu pour le faire ? Cette politique absurde, contraire aux intérêts économiques du pays, au discours officiel sur l’internationalisation de l’ESR, qui suscite les réserves du MEDEF lui-même, que la CPU et la conférence des grandes écoles trouvent regrettable, a été défendue sans mollir par le premier flic de France depuis la fin mai jusqu’aux derniers jours de l’année 2011.

Il a fallu que, pendant des mois, un rassemblement large et peu soupçonnable de radicalité excessive, le « Collectif du 31 mai », batte le rappel, puis que, plus tard, un responsable du Parti Socialiste suscite une pétition signée en deux semaines par plus de 30 000 chercheurs, universitaires, étudiants et citoyens pour contraindre l’homme de la Place Beauvau à faire semblant d’accepter de discuter. Proclamant qu’il allait lever les malentendus, il se contente finalement, au début de ce mois de janvier, de conseiller à ses subordonnés dans les préfectures à ne pas faire preuve de trop de zèle dans le règlement des demandes au cas par cas (dont on sait bien ce qu’il peut recéler d’arbitraire), et surtout d’appeler à exempter de la rigueur administrative ceux qui sont les plus diplômés. Procédant, encore une fois, de façon hâtive et unilatérale, il refuse de retirer cette circulaire, comme si ce n’était pas sa teneur qui était en cause, mais seulement les modalités de son application.

L’actuel simulacre de concession s’accompagne d’un véritable coup de massue financier : une augmentation de plus de 600 % des frais liés au renouvellement des titres de séjour. On mesure les difficultés que vont désormais affronter les étudiants étrangers qui voudront venir se former en France, et les universités ainsi que les grands établissements qui bénéficient de la présence de ces étudiants dans des filières dont les effectifs sont parfois en baisse sensible.

La question n’est pas pour nous de préserver telle ou telle catégorie d’étudiants mais de dénier toute légitimité à cette circulaire : ce qui est en jeu c’est bien la nature de l’université que nous voulons, universelle par vocation, et le rapport entre cette université et la société. Après les délices des logiques de l’économie concurrentielle, au nom de la bonne « gouvernance », voilà que les universités, au travers de celles et ceux qui les fréquentent, se voient assujetties à la xénophobie électoraliste. Avec la circulaire Guéant est favorisée une université qui ne choie que l’infime pourcentage des « meilleurs », une université tentée par la priorité nationale, une université élitaire dans le pire sens du terme, où « l’excellence » prétendue va de pair avec la ségrégation.

Que révèle en effet cette affaire ? D’abord que l’Université française reste attractive, puisque des étudiants venant de tous pays y viennent faire des études, contrairement à ce que les discours déclinistes ont proclamé pour justifier les réformes des cinq dernières années.

Ensuite, que le discours politique qui a consisté à légitimer ces réformes par l’insertion de l’Université française dans le « grand marché » mondial des étudiants est une escroquerie, puisque le même gouvernement peut, dans le même temps, mener une politique aux relents xénophobes qui se traduit notamment par une restriction des titres de séjour accordés aux étudiants étrangers.

Enfin, que la logique de l’ « excellence » semble ici armer la politique du ministère : l’assouplissement de la circulaire concerne les meilleurs étudiants, définis comme étant ceux de M2. Cette mesure consonne avec la définition de la plupart des projets d’Idex, qui tendent à restreindre les périmètres d’excellence aux seuls niveaux master et doctorat – les Labex ne concernant par définition que les doctorants et post-doctorants. Elle fait surgir une même vision de l’immigration et de l’ESR à travers les lunettes de la sélection et de la restriction : une vision qui oppose un premier cycle prolétarisé et producteur de chômage qu’il convient de ne pas enfler par un apport immigré et des deuxièmes et troisièmes cycles sur lesquels fonder l’espoir de faire bonne figure dans le classement de Shanghai. En ce sens, les folles mesures du gouvernement sont utiles en ce qu’elles mettent à nu le fantasme de sélection sociale qui anime la politique de l’ « excellence ». Comme si, pour avoir de bons étudiants en master et en doctorat, il ne fallait pas commencer par avoir de bons étudiants en licence, étrangers ou non. Comme si, pour avoir de bons étudiants en licence, il ne fallait pas d’abord accepter de garder les portes de l’université largement ouvertes, et de lui donner les moyens nouveaux – par delà les paillettes du « plan licence » - que requiert l’exigence de la formation de masse dans nos sociétés très développées et mondialisées du XXIe siècle. Dans l’université que nous souhaitons, les étudiants étrangers ont toute leur place, dès la licence.

Cela fait maintenant une dizaine d’années que les étudiants étrangers sont en butte à un contrôle policier sans cesse plus oppressant : le renouvellement annuel de la carte de séjour étudiante dépend de fonctionnaires de police qui s’arrogent le droit de juger si un étudiant mérite par ses résultats de poursuivre ses études en France. La contestation de la circulaire Guéant doit être l’occasion non seulement de lever le voile sur ces pratiques scandaleuses mais aussi de susciter une réflexion sur les manières d’y résister dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche. La dénonciation de cette politique par les conseils et les directions d’établissement s’impose. Mais il est aussi de première importance de faire émerger la parole des victimes, souvent isolées, de cette politique. Enfin, proposer des moyens de protéger les étudiants en butte à l’arbitraire organisé de l’administration préfectorale apparaît désormais comme une exigence relevant de l’éthique professionnelle aussi bien que d’une démarche citoyenne de la part de tous les membres de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche – avec l’espoir que la résistance à ces pratiques durcies dans la circulaire Guéant ouvre à une remise en cause générale de la politique de plus en plus ouvertement xénophobe du gouvernement.

Sauvons l’université !
12 janvier 2012