Accueil > Pratiques du pouvoir > Les "politiques" > Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin, sénatrice des Hauts-de-Seine, (...)

Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin, sénatrice des Hauts-de-Seine, Projet de loi de finances 2012, Enseignement supérieur et recherche, 1er décembre 2011

mercredi 21 décembre 2011

BRIGITTE GONTHIER-MAURIN

SÉNATRICE DES HAUTS-DE-SEINE

Groupe Communiste Républicain et Citoyen

Vice-Présidente de la Commission de la Culture, de l’Éducation et de la Communication


Projet de Loi de Finances pour 2012

Mission « Enseignement supérieur et recherche »

Séance du 1er décembre 2011

Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

« Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est, juste avant la Grèce, l’État européen de l’OCDE dont le taux d’encadrement à l’université est le plus faible.

De plus, notre pays se place au quatorzième rang mondial pour l’effort de recherche par rapport à son PIB, et au vingt-sixième sur trente-deux pour la part du budget civil consacré à l’enseignement supérieur et à la recherche.

Cette année encore, les modifications de périmètre ne facilitent pas la comparaison de
budget à budget. De fait, il convient de déjouer l’opacité de la LOLF pour vérifier que le Gouvernement n’investit pas dans la recherche et l’enseignement supérieur. Entre 2002 et 2012, le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche a régressé de 2,23 % du PIB à 2,15 % seulement.

Nous sommes donc loin de la promesse formulée par le Président de la République, d’augmenter chaque année le budget de l’enseignement supérieur de 1,8 milliard d’euros et de consacrer 3 % du PIB à la recherche.

Monsieur le ministre, vous ne cessez de vanter l’action menée en faveur de la recherche et de l’enseignement supérieur : à vous entendre, 9 milliards d’euros auraient été investis en cinq ans dans ce domaine. Toutefois, cette présentation trompeuse confond sciemment autorisations d’engagement et crédits de paiement, et inclut de surcroît les sommes du grand emprunt et le crédit d’impôt recherche.

Chaque année, le ministère gonfle artificiellement son budget, incluant crédits budgétaires et extrabudgétaires, et intégrant des engagements qui, en définitive, ne sont pas consommés.

II y va ainsi des crédits consacrés à l’opération Campus et des investissements d’avenir. Ces derniers ne correspondent pas au montant des fonds placés : ils ne sont financés que par les intérêts de ces sommes, et uniquement lorsqu’ils sont consommés.

Monsieur le ministre, avec 25,7 milliards d’euros en 2012, vous affirmez que la recherche et l’enseignement supérieur « restent prioritaires ». Il faut cependant soustraire à ce montant le transfert du paiement du compte d’affectation spéciale «  Pensions » et l’inflation de 1,7 % afin de pouvoir le comparer aux années précédentes.

Dès lors, force est d’observer qu’en réalité le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche accuse une baisse.

Cela n’a pas pour autant empêché le Gouvernement de ponctionner 23,1 millions d’euros supplémentaires sur ce budget, au nom de la mise en œuvre du plan de 1 milliard d’euros d’économies.

À ce titre, l’évolution du crédit d’impôt recherche est particulièrement préoccupante : ce dispositif voit ses crédits augmenter en 2012, quoique ayant été condamné par la Cour des comptes.

Seule ambition pour la recherche, cette niche fiscale au coût exorbitant n’a créé aucun emploi et n’a donc pas fait preuve de la moindre utilité. Bien au contraire, elle mobilise des fonds publics au service de la recherche privée, sans aucune contrepartie.

Au reste, loin de bénéficier aux PME, le CIR profite à de grands groupes privés, et ne les empêche pas d’investir globalement moins dans la recherche et développement : en effet, le montant des dépenses de recherche des entreprises françaises stagne à 1,3 % du PIB.

Alors même que se multiplient les évaluations pour les chercheurs du secteur public, soumis à compétition pour obtenir le financement de leurs projets, le montant du CIR accordé aux entreprises, qui est fonction du nombre de chercheurs déclaré par celles-ci, ne fait l’objet d’aucun contrôle.

Tandis que le CIR représente 2,5 fois le montant du budget du Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, cet organisme de recherche, auquel s’ajoutent l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA et d’autres institutions voient stagner leurs crédits budgétaires.

La contrainte budgétaire pesant sur ces organismes de recherche constitue une menace pour leur action comme pour l’emploi, réduisant d’autant leur capacité à engager des recherches innovantes et de long terme.

Les dépenses de recherche du CNRS diminuent ainsi de 6 % en 2012, tandis que l’emploi précaire au sein de ces organismes représente plus de 30 % des postes au CNRS et plus de 40 % à l’INSERM.

La politique d’excellence – notamment via les projets IDEX, initiatives d’excellence et LABEX, laboratoires d’excellence – s’apparente quant à elle à un véritable plan social de la science : elle opère en effet une restructuration autour d’une dizaine de pôles à la visibilité mondiale, selon le seul critère de la compétitivité économique.

Ce faisant, une réelle dichotomie se fait jour entre quelques grands établissements d’élite auxquels l’essentiel des moyens est affecté et les autres universités, délaissées, qui accueillent pourtant la majorité des étudiants.

La concentration des moyens est telle qu’au sein même des universités et laboratoires labellisés, les fonds sont inégalement répartis en faveur des projets qui sont dans le périmètre du projet IDEX.

Cette politique structure un système universitaire à deux vitesses, tout en favorisant le déploiement de partenariats public-privé, dont on sait qu’ils font peu de cas du service public de la recherche et de l’Université.

Non seulement ces dispositifs sont extrêmement coûteux – chacun d’entre eux mobilise environ 1 milliard d’euros – mais ils ont été mis en œuvre sans la moindre consultation des conseils d’administration ni des conseils scientifiques.

Mes chers collègues, cette situation est catastrophique au regard des difficultés financières qu’éprouvent les universités : huit établissements universitaires sont actuellement en déficit, et sept d’entre eux ont vu leur budget placé sous la tutelle du recteur.

Monsieur le ministre, cette situation est pour le moins contradictoire avec l’objectif affiché d’autonomie des universités : ce faisant, elle illustre bien l’impasse dans laquelle nous mènent les réformes du Gouvernement !

La loi de réforme des universités, la LRU, a en effet transféré aux universités et à leur président la gestion de leur budget, notamment de leur masse salariale.

Cependant, l’augmentation du coût des salaires liée au glissement vieillesse-technicité, le GVT, ne peut plus être financée par tous les établissements universitaires tant le désengagement de l’État est important pour ce qui concerne les sommes globales versées aux universités.

Ainsi, les 14,5 millions d’euros du budget compensant le GVT sont insuffisants, d’autant qu’il n’a été établi aucun critère de répartition entre les universités.

Le mode d’autonomie mis en place par la LRU n’a pas permis l’émergence d’espaces de coopération et d’échanges nécessaires sur un même territoire, ayant pour simple effet de créer des superstructures non démocratiques, et renvoyant aux universités la gestion de la pénurie engendrée par un budget de l’enseignement supérieur en berne.

Monsieur le ministre, si vous vous défendez d’appliquer la RGPP à la recherche et à l’enseignement supérieur, ce n’est que pour mieux en déléguer la mise en œuvre aux universités qui, par répercussion, réduisent leur masse salariale et recourent de plus en plus fréquemment aux emplois précaires.

L’emploi contractuel est pourtant déjà très largement présent dans le secteur de la recherche et l’enseignement supérieur, où le nombre de travailleurs précaires est aujourd’hui estimé à 50 000 ! Un grand nombre de jeunes hommes et de jeunes femmes sont actuellement confrontés à des plans massifs de licenciement, afin de ne pas les voir devenir éligibles à la titularisation dans le cadre du projet de loi qui sera examiné en janvier prochain par le Sénat.

Cette précarité pose un autre problème : celui de l’attractivité de ces métiers pour les jeunes. En effet, nous faisons face à une véritable désaffection pour la carrière doctorale : le nombre de docteurs formés actuellement permet simplement de compenser les départs à la retraite.

La situation de la recherche et de l’enseignement supérieur est donc extrêmement préoccupante dans notre pays.

La LRU, l’augmentation démesurée du CIR et les initiatives d’excellence n’ont en réalité d’autres buts que de favoriser l’asservissement de l’Université aux entreprises et la concentration des moyens au sein des quelques pôles censés développer la compétitivité internationale des universités.

Mes chers collègues, le budget 2012 doit être rejeté car il est destructeur pour le service public de la recherche et de l’enseignement supérieur.
Le CIR doit être révisé, afin d’impulser une réelle dynamique de croissance et d’emplois stables et qualifiés, notamment au travers d’un dispositif d’aides directes réservées aux PME.

Nous sommes certes, avec l’immense majorité des chercheurs, de fervents défenseurs de l’autonomie de la recherche et des universités, mais vis-à-vis des marchés, et donc à l’opposé même de la LRU, qui doit être abandonnée ! »