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Propos liminaire lors de l’audition d’une délégation SLR-SLU par le groupe PS de l’Assemblée nationale 19 octobre 2011

vendredi 21 octobre 2011, par Mariannick

Cette audition s’inscrivait dans le cadre de la préparation du débat budgétaire pour l’ES&R qui aura lieu le 2 novembre prochain à l’Assemblée nationale. Elle faisait également suite à la lettre de SLU et SLR adressée en juin 2011 aux parlementaires

Le texte qui suit reprend le propos liminaire de 10 minutes. Il a été rédigé pour pouvoir être lu et ne pouvait nécessairement pas aborder l’ensemble des sujets importants. Il a donné lieu à des remarques, demandes de compléments ou interrogations portant aussi bien sur les PRES, le CIR ou les Fondations de coopération scientifique (FCS) que sur les questions budgétaires en général. L’audition a duré 45 minutes.

Mesdames et messieurs les député-e-s,

Au nom de mes collègues présents et de nos deux associations, je vous remercie de cette audition devant votre groupe parlementaire.

Notre propos liminaire abordera successivement trois points qui nous semblent tous suffisamment graves pour que les députés d’opposition que vous êtes prennent la mesure de ce que vit le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche ainsi que des déséquilibres territoriaux engendrés par les réformes en cours.

1. Les effets pervers de l’excellence : plan général et dimension territoriale

Les Initiatives d’excellence (Idex) sont fondées, selon le site du MESR, sur l’idée que « la réunion, selon une logique de territoire, des établissements d’enseignement supérieur et de recherche déjà reconnus pour leur excellence scientifique et pédagogique » doit «  assurer le rayonnement scientifique de la France à l’étranger et attirer les meilleurs enseignants, les meilleurs chercheurs et les meilleurs étudiants. » Ces quelques phrases suffisent pour illustrer les grandes lignes d’une politique inégalitaire qui, au motif du rayonnement international de quelques pôles universitaires, ne propose aucune perspective pour les sites qui ne seront pas retenus. Le risque apparaît inévitable de conduire à un assèchement de l’enseignement supérieur et de la recherche sur de nombreux territoires.

Car les Idex constituent la mise en œuvre sur le plan académique de la théorie du ruissellement, qui postule que la richesse d’un petit nombre a des effets bénéfiques sur la masse. Le gouvernement commet une erreur dont les effets sur le dynamisme de la recherche, l’équilibre territorial et sur la démocratisation de l’enseignement supérieur deviendront perceptibles lorsqu’il sera déjà trop tard pour se défaire de ces structures. Pour ces différentes raisons, nous pensons que ce sujet doit être impérativement et rapidement discuté avec la représentation nationale.

En effet, est-il légitime de procéder à de telles transformations sans aucune consultation du législateur ? Comment celui-ci entend-il assurer les conditions d’un débat sur l’équilibre territorial de l’offre d’enseignement universitaire et de recherche ? Plus largement, mesure-t-il l’impact négatif de la politique gouvernementale, le gâchis humain – qui concerne aussi bien les personnels dont les moyens sont en réduction que les risques de régression de l’accès à l’enseignement supérieur – que la politique discriminante dont les Idex sont l’emblème favorise ?

2. Les conséquences budgétaires des Idex

Sur un plan général, outre cet aspect territorial, les Idex, comme les Equipex et les Labex constituent des outils de concentration des moyens dans un contexte d’appauvrissement général. Malgré les apparences, le « Grand Emprunt » n’est pas un supplément budgétaire, mais une substitution. Le président de la République d’ailleurs le présente ainsi : « L’emprunt s’articule pleinement avec notre stratégie de réduire le déficit structurel dès que la croissance le permettra. Les intérêts de l’emprunt seront compensés par une réduction des dépenses courantes dès 2010 et une politique de réduction des dépenses courantes de l’État sera immédiatement engagée. » De fait, la presque totalité des moyens dégagés et qui n’ont d’ailleurs pas encore été versés, ont d’ores et déjà été prélevés (depuis janvier 2010) sur le budget de la MIRES. Outre les prélèvements sur la MIRES – après vote du budget, donc après opérations de communication du gouvernement –, l’ESR a subi chaque année, et va subir des gels budgétaires supplémentaires. Dans un tel contexte, l’avenir s’annonce sombre, y compris pour les lauréats des Idex.

Même pour ces derniers en effet, les Idex ne sont pas le levier que le gouvernement prétend. Les sommes transférées des universités vers les Fondations de coopération scientifique, qui sont des institutions relevant d’ailleurs du Code du commerce, échappent de fait aux universités dans leurs missions de service public.

D’où nos questions : l’intention du législateur est-elle bien de placer une partie des ressources des universités sous régime de Fondation de coopération scientifique ? Si oui, en a-t-il mesuré les effets sur les universités, sur leur personnel et leurs usagers ? Prend-il la mesure du coût sur le potentiel d’enseignement et de recherche des secteurs hors périmètre ?

3. L’opacité des nouvelles structures qui excluent la communauté scientifique des orientations qu’elle doit suivre

Ici encore, il faut passer rapidement par une considération générale : Idex est le 47e acronyme apparu dans la recherche et l’enseignement supérieur depuis 2004. A lui seul, ce chiffre dit tout du chaos dans lequel notre communauté est plongée aujourd’hui.

Plus grave encore, les réponses aux appels d’offres sont élaborées dans la plus complète opacité, sans associer les chercheurs et enseignants-chercheurs, sans le plus souvent faire l’objet d’une présentation devant les instances universitaires – CA, CS, CEVU, CTP –, alors qu’ils ont des incidences sur les personnels, les formations, les axes de recherche sur une période de 10 ans. Les délais impartis pour fabriquer ces projets en outre sont tellement insensés (de l’ordre de 3 mois et de préférence l’été), qu’ils ne permettent aucune réflexion pédagogique ou scientifique sérieuse.

Enfin, les résultats de la première vague ont montré, pour les rares informations dont l’on dispose , que les critères d’acceptation ne sont pas appliqués de façon systématique. La disparité des résultats indique que les enjeux sont souvent moins de nature scientifique que liés à la « gouvernance ».

C’est là un sujet fondamental d’inquiétude qui doit mobiliser le législateur. Est-ce à un jury international, dont la « compétence » vient de sa nomination par le ministère de dessiner l’architecture institutionnelle des universités françaises ? Ne s’agit-il pas d’une compétence du législateur ?

Conclusion

L’ES&R vit depuis 2007 une entreprise de déstabilisation permanente, de négation des libertés académiques et intellectuelles, de passages en force permanents dont les Idex constituent le sommet.

Les personnels de l’ES&R sont épuisés de devoir travailler en dépit des injonctions contradictoires et des effets discriminants de mécanismes de « classements » et autres « évaluations » dont les postulats sont très largement remis en cause. La perte des repères déontologiques, l’inquiétude sur les savoirs à transmettre sont des facteurs d’affaiblissement considérable du potentiel de recherche de notre pays.

L’enseignement supérieur et la recherche sont fondés sur la coopération, pas sur la concurrence, sur les projets construits, pas sur ceux qui lui sont imposés. Leur dynamisme et leur vitalité ne peuvent pas reposer sur des territoires étroits qui tireraient une partie de leur force de l’affaiblissement des autres. C’est une erreur majeure d’analyse dont le législateur doit d’urgence tirer les conséquences.

Paris, le 19 octobre 2011

Étienne Boisserie, président de SLU
Julien Brossard, CA de SLR
Didier Chatenay, SLR
Anne Saada, CA de SLR
Emmanuel Saint-James, président de SLR

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