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Nicolas Sarkozy : avec la LRU, "la magie s’est produite", discours au colloque de l’institut Montaigne, 26 septembre 2011

mercredi 28 septembre 2011

Colloque « 15 ans de réforme des universités : quels acquis, quels défis ? »

Université Panthéon-Assas — Lundi 26 septembre 2011

Mesdames et Messieurs,

En ce jour de rentrée universitaire, l’Institut Montaigne a choisi de débattre, avec la perspicacité qui a fait sa renommée, d’un sujet absolument fondamental pour l’avenir de notre pays, celui de nos universités.

L’intitulé de ce débat auquel l’Institut Montaigne nous invite, « 15 ans de réforme des universités : quels acquis, quels défis ? » appelle néanmoins immédiatement une première observation de ma part :
15 ans de projets de réforme, c’est sûr,
15 ans de révisions à la marge, c’est sûr,
15 ans de tentatives d’adaptation à la réalité de plus en plus complexe, c’est certain.
Mais 15 ans de réforme, n’exagérons pas. On peut tout dire, sauf que le monde universitaire, même sur les 30 dernières années, a été balloté de grandes réformes en grandes réformes ! On a parlé des réformes, on a débattu des réformes.

Il y a d’ailleurs une raison à cela : mise à part l’époque de Claude ALLEGRE, - qui est le premier à avoir compris qu’il y avait nécessité d’adapter nos universités au contexte européen - , les ministres des Universités, qu’ils soient de gauche ou de droite, ont voulu, mais n’ont pas pu, - et ce n’était pas leur faute - , mener leurs projets de réforme. La raison en est assez simple, c’est que le ministre des Universités, - et je souhaite que vous, les universitaires, le compreniez - , a été longtemps vécu dans sa place gouvernementale comme le fusible qu’il convenait de faire sauter en cas de blocage. Cela ne concerne ni la gauche ni la droite, cela concerne l’ensemble. Le ministre des Universités a été, pendant des décennies, mis en place pour éviter les ennuis au gouvernement et quand il y avait des ennuis, c’est-à-dire quand il disait un mot qui correspondait à une vérité, il partait. On oubliait la vérité, on oubliait le mot, on nommait un successeur à qui l’on disait : « surtout pas d’ennuis ! ». Voilà quel était le rapport entre les universités et le pouvoir politique de notre pays.

A quoi cela nous a-t-il menés ? Cela a mené à l’état où se trouvaient les universités lorsqu’en 2007, nous avons lancé notre processus de réforme. Nous n’avons pas d’autre mérite que celui d’avoir compris que nous n’avions plus le choix. C’était pour les universités se réformer ou disparaître. J’emploie des mots forts mais il n’y avait pas le choix ! Je ne dis pas que la réforme que nous avons engagée était la seule possible, il y avait d’autres voies, on en a débattu d’ailleurs. Mais ce qui n’était pas une alternative, c’était de dire au ministre des Universités : «  pas d’ennuis, donc pas de réforme. » Cela, ce n’était pas une alternative, ce n’était pas possible.

En 2007, lorsque nous nous sommes penchés sur la question des universités françaises, je me suis aperçu qu’elles n’avaient guère changé par rapport à ce qu’elles étaient 15 ans auparavant.
Sauf que le nombre d’étudiants avait été multiplié par 6 en 30 ans. Je veux vous amener à réfléchir : un cadre qui ne changeait qu’à la marge et une situation démographique plus proche d’une explosion démographique que d’une évolution démographique ; un nombre d’étudiants multiplié par 6 - 300 000 étudiants en 1960, 1 700 000 en 1990, 2 300 000 cette année. Vous imaginez ? On garde le même cadre, et on passe de 300 000 à 2 300 000 étudiants ? Imagine-t-on le désarroi de la structure universitaire face à cet afflux d’étudiants jetés dans les universités ? La totalité des moyens des universités était donc absorbée par ce raz-de-marée. Pas de marge pour changer quoi que ce soit. Naturellement je ne conteste pas que ce soit une bonne chose que nous ayons plus d’étudiants, mais la totalité des moyens, et la totalité des énergies, était absorbée dans ce raz-de-marée positif qui exprime la santé démographique de notre pays.

Cette augmentation du nombre de jeunes formés dans l’enseignement supérieur qui est une nécessité, ne s’accompagnait pas d’une remise en cause des fondamentaux organisationnels et statutaires de nos universités. Et rien n’était prévu pour moderniser nos universités. Il a fallu attendre les années 1990 pour que l’État s’interroge sur les conditions scandaleuses dans lesquelles étaient accueillis ces nouveaux étudiants qui pour la plupart, circonstance aggravante, appartenaient à des familles qui n’avaient jamais accédé à l’enseignement supérieur. Car non seulement le monde universitaire a dû faire face à une explosion démographique sans précédent, de 300 000 à 2 300 000 ; mais de plus les étudiants qui vous ont rejoints - et tant mieux — appartenaient à des milieux qui jusqu’à présent ne fréquentaient pas ou si peu les universités françaises. Donc, explosion démographique et changement du paramètre social des étudiants auxquels vous vous adressez, absolument sans précédent.

Après ce que j’appellerai la « Grande Peur » de 68, on peut porter un jugement que l’on veut sur 1968, mais disons que je connais peu de gouvernements qui avaient de reconnaître 1968. On décida même - est-ce que ce fut une décision consciente ou inconsciente, l’histoire le dira — mais c’est intéressant, car rien n’est au hasard - on décida d’exiler les Universités dans de lointaines banlieues. Donc les structures restaient les mêmes, mais les universités devaient sortir du cœur des villes. On expliquait qu’il y avait des raisons de prix du mètre carré, mais il n’y avait pas que cela.

Explosion démographique, changement social, éloignement géographique : au fond quoi ? Méfiance, méfiance endémique en vérité entre le pouvoir politique tel qu’il était et le milieu universitaire.
Pour les uns, les universités étaient désignées comme les ennemis politiques. Pour les autres, au prétexte qu’ils étaient des « amis politiques », il ne fallait rien changer. Quant aux capacités financières, sans lesquelles aucune véritable modernisation n’est possible, elles étaient nulles. Au fond, ce qu’on attendait, c’était « pas d’ennuis ».

Ce n’est qu’avec l’harmonisation européenne des diplômes et la construction d’un espace européen de l’enseignement supérieur, initiées en 1998 par Claude ALLEGRE, que la France a pris conscience de son retard. Voilà la vérité. Et c’est pourquoi je suis tellement attaché à l’idée européenne et à l’Europe. Car l’Europe nous oblige à nous moderniser. L’Europe nous protège et nous force à la modernisation. Elle nous rappelle qu’il existe un monde, qu’on ne peut pas nier le monde, qu’on ne peut pas refuser le monde. Et c’est dans ce cadre que Claude ALLEGRE a commencé la première modernisation.

Cette ouverture internationale a contraint les universités françaises à remettre en cause toute l’architecture de leurs formations et je pense qu’elle a été l’occasion d’une formidable prise de conscience collective. L’archaïsme, le morcellement, la rigidité, au fond l’enfermement d’un système à bout de souffle qui désespérait les plus dynamiques et qui entrainait vers le fond la moyenne, sont apparus au grand jour. C’était d’autant plus frappant que dans le même temps, nos concurrents, nos voisins, nos amis, nos alliés organisaient méthodiquement l’augmentation du nombre d’étudiants et nous, nous confondions égalitarisme et égalité des chances. Au nom de l’égalité, nous refusions la différence, au nom de l’égalité qui était en vérité de l’égalitarisme, nous refusions l’excellence, au nom de l’égalitarisme, nous refusions la compétition. Ce fut le grand mensonge d’une génération. Je voudrais que vous compreniez bien que dans mon esprit, il ne s’agit pas d’opposer la gauche et la droite, mais d’embrasser une période qui a conduit à ce grand mensonge français, celui du nivellement et celui de l’égalitarisme.

Je le dis sans détours, cela a conduit nos universités à une véritable ségrégation sociale qui ne disait pas son nom. Une ségrégation insidieuse aux effets redoutables. Aux enfants des classes aisées, les grandes écoles - quels que soient par ailleurs les efforts des grandes écoles pour s’ouvrir, car si les grandes écoles ont fait des efforts pour s’ouvrir, c’est parce que le flux naturel ce n’était pas l’ouverture. Quand on appartenait à une classe sociale aisée, avec des relations, des habitudes de culture et de travail, le chemin prestigieux était celui des grandes écoles. Aux enfants des autres, par défaut, les universités paupérisées et reléguées aux confins des pourtours des villes. Naturellement, il y a des exceptions. Lesquelles ? Les universités qui, de façon officieuse, s’extrayaient du statut, c’est-à-dire celles qui, sans le dire, obtenaient l’autorisation, au nom d’expérimentations, de développer des procédures qui n’avaient rien à voir avec le statut des autres. Je ne voudrais pas citer de noms parce que tout le monde les a dans la tête et chacun les connaît. Il y avait des universités à deux vitesses en vérité, celles du statut qui continuaient à descendre inexorablement et celles qui s’en sortaient parce qu’elles avaient négocié silencieusement des entorses au statut. Et puis les grandes écoles qui, elles, caracolaient.

Je pense que cette situation a été encore aggravée par la paralysie des instances de décision universitaires. En 1984, la loi SAVARY avait réduit la maigre part d’autonomie que la loi FAURE avait accordée aux universités en 1968. Il n’y avait pas beaucoup d’autonomie en 1968, mais on était tout de suite revenu dessus en 1984, et on avait instauré le principe des élections dans toutes les instances de décisions universitaires comme si c’était le système pour les universités, pour l’excellence internationale, pour la qualité universitaire. En 2007, cette organisation était une spécificité de notre pays, et même au sein de notre pays, une spécificité propre aux universités. Pas de décision souple, pas de décision efficace. La souplesse pour les grandes écoles, le statut pour les universités.

Je comprends pourquoi les choses en sont arrivées là : non seulement il y avait la crainte des gouvernements vis-à-vis du monde universitaire, mais de surcroît le monde universitaire, après des années de disette budgétaire —comprenez-moi, le budget augmentait, mais comme les effectifs décuplaient, le budget en valeur relative diminuait, sentait bien la nécessité de la réforme. Mais il se disait, dans une crise de confiance vis-à-vis du pouvoir politique : «  s’ils font une réforme, ce n’est pas pour nous aider, c’est pour donner moins d’argent », et donc crispation — une minorité se crispait parce qu’elle considérait que l’université était son domaine et que toute ouverture était en quelque sorte une violation des sacro-saints principes universitaires. Mais il y avait une majorité qui pensait de bonne foi - et qui n’avait pas forcément tort d’ailleurs - que la réforme n’était en vérité que le prétexte à une réduction budgétaire. C’est là, où nous avons me semble-t-il pris la décision qu’il convenait de prendre : l’autonomie et les moyens.

Je me souviens très bien de la réunion que nous avons eue, Monsieur le Président, avec les présidents d’universités — peut-être s’en souviennent-ils eux-mêmes — nous ne nous connaissions pas, on peut dire que l’on avait des à priori — j’ai dit : « on ». Il a fallu apprendre à se connaître et à se faire confiance. Je vous avais à l’époque indiqué que c’était les moyens en plus, la réforme et les moyens. Pas de réforme, pas de moyen ; une réforme, des moyens. Je pense profondément que l’on ne peut pas restructurer un domaine d’activité de l’Etat sans mettre d’abord des moyens considérables. Dans le privé comme dans le public, la restructuration commence par coûter de l’argent. C’est l’alliance des deux qui a permis d’avancer.

Je dois dire que les présidents d’Universités ont été courageux parce que l’autonomie, pendant des années, prononcer le mot « autonomie » c’était, comme prononcer le mot « sélection », extrêmement grave. Ce que tout le monde connaît dans la vie, on ne pouvait pas le formuler. C’est là où l’on voyait que le malade était bien atteint car il ne pouvait même pas entendre le diagnostic. La première caractéristique de quelqu’un qui souffre, qui est malade, c’est sa capacité à entendre le diagnostic, à le comprendre, à l’intégrer, à le faire sien. La situation était si bloquée que l’on ne pouvait même pas poser le diagnostic. Formuler les mots, c’était déjà prendre le risque d’une mobilisation sans précédent.

Pourtant, il n’y a pas un seul système universitaire dans le monde qui n’ait réussi sans l’autonomie. Mais qu’est-ce que c’est que l’autonomie ? C’est simplement faire confiance au milieu universitaire. Ce n’est rien d’autre. L’autonomie, ce n’est pas la marchandisation des universités, l’ouverture au grand capital, l’arrivée de chefs d’entreprises, l’autonomie, c’est simplement que les universitaires eux-mêmes avaient le pouvoir de décider pour leurs étudiants et pour leurs universités. L’autonomie, c’est un formidable geste de confiance envers un milieu qui avait fini par perdre confiance en lui-même, s’abritant derrière un statut dont il savait qu’il était totalement suranné et s’estimant incapable d’assumer ses responsabilités. La magie s’est produite, la loi sur des libertés et responsabilités universitaires, qu’a portée avec beaucoup de talent Valérie PÉCRESSE, a été un tel succès que les délais du calendrier que nous avions prévus pour le passage à l’autonomie ont été pulvérisés. Parce que la liberté est ainsi, quand on la fait rentrer, elle emporte tout et quand on fait confiance aux gens, on est toujours payé de cette confiance, alors que la défiance ne permet aucune construction. C’est la confiance qui l’a permis.

Les universités disposent donc désormais de la possibilité de créer des fondations, de recruter des personnels selon leurs besoins, de devenir propriétaires et gestionnaires de leur patrimoine. Je voudrais d’ailleurs rappeler que c’était le cas au Moyen Âge. Au Moyen Âge, les universités étaient gestionnaires et propriétaires de leur patrimoine et c’est la France contemporaine qui avait consciencieusement dépouillé les Universités de leurs droits et de leurs biens. Chaque université peut désormais construire son propre projet, et faire valoir la singularité de ses atouts.

Naturellement, tout cela ne va pas sans problème, sans difficulté. D’abord, cher Laurent WAUQUIEZ, il a fallu habituer le ministère des Universités et ses administrations centrales à ce qu’au fond, un conseil d’administration en sache autant sur l’université que l’administration centrale. Je mesure la révolution profonde que nous avons demandée à notre administration. Imaginez ce que peut représenter pour un ministère qui gère depuis des décennies votre patrimoine, vos personnels, les rémunérations, le fait d’abandonner une part de son pouvoir. C’est comme une remise en question, mais non, le ministère a vocation à coordonner, à harmoniser peut-être, à fixer une ligne nationale pour assurer l’égalité des chances. Il n’a pas vocation à gérer les universités les unes après les autres.

L’autonomie nous a également permis de remettre, - et j’y tiens -, les universités au cœur de la recherche. Parce que je ne sais pas si vous, dans le monde universitaire, vous en aviez conscience, mais vous étiez concurrencés par trois acteurs majeurs. Les grandes écoles, j’en ai dit un mot, vous prenaient les meilleurs étudiants. Les universités du monde, et notamment de l’Europe, exerçaient sur vous une pression et une attractivité d’autant plus grande avec Erasmus. Mais comme ces deux concurrents ne suffisaient pas, on vous en a trouvé un troisième : les organismes de recherche. Et qui peut dire que les universités françaises étaient encore le cœur de la recherche française ? Je crois qu’il est très important que nous renforcions encore les liens entre recherche et innovation, recherche et université.

Sans l’autonomie des universités, nous n’aurions pas pu réussir le programme d’investissements d’avenir si intelligemment mis en place par René RICOL.

Je voudrais que vous compreniez la stratégie globale : faire confiance au monde universitaire par l’autonomie, vous laisser développer vos projets, moderniser la recherche, mettre la recherche au cœur de l’université et donner les moyens à l’université et à la recherche de se développer.

C’est la réponse française à la crise, une crise économique sans précédent, une crise financière comme on en a jamais connues. La réponse française, c’est plus de réformes et plus de moyens pour nos universités et pour notre recherche. C’est vous qui êtes à l’avant-garde de la réponse à la crise économique que nous connaissons. Remettre les universités au cœur de notre système, c’est une stratégie globale. Pour l’investissement d’avenir, nous avons mobilisé 35 milliards d’euros, 22 milliards iront directement dans l’université et les organismes de recherche. Je ne sais pas si vous vous rendez compte, dans les circonstances actuelles, de l’effort que cela représente. Mais je pense que la réponse à la crise, ce n’est pas la rétractation. C’est l’investissement, c’est la recherche, c’est la formation. La dépense française par étudiant à l’université vient de rejoindre la moyenne des pays de l’OCDE, 10 000 euros, par étudiant par an. C’est 2000 euros de plus par étudiant depuis 2007. Quand on le ramène aux 2 300 000 étudiants on voit bien le gigantesque effort de la nation. Ce fut une erreur de consacrer l’essentiel des moyens du ministère aux lycées qui perdaient des lycéens et pas aux universités qui gagnaient des étudiants. Dire cela, ce n’est faire de reproche à personne. Ce n’est insulter personne, c’est constater l’incapacité à regarder la situation en face et la véritable coupure entre les élites dirigeantes politiques ou étatiques et les élites universitaires.

Augmentation du nombre des chercheurs, augmentation des moyens de fonctionnement, augmentation considérable des moyens pour la recherche. Augmentation également des moyens pour refaire vos équipements. Il y a quelque chose de proprement insupportable, quand les Français parlent d’université, d’imaginer qu’un campus agréable avec des équipements sportifs et culturels, c’est forcément aux États-Unis, en Espagne ou en Angleterre. C’est la raison qui nous a fait engager les 5 milliards d’euros sur le plan Campus, avec la rénovation de dix sites universitaires de premier plan.
Cela m’amène à une autre remarque : je sais gré aux milieux universitaires d’accepter cette idée, peu commune en France, que tout le monde ne peut pas postuler à l’excellence mondiale, qu’il est possible de désigner 10 sites majeurs, de les choisir dans un concours international sans qu’on crie au scandale de l’égalité républicaine. Et je dois dire la très bonne surprise qu’a représentée la capacité du monde universitaire, sa souplesse, à immédiatement jouer le jeu de l’autonomie. Car l’autonomie induit la concurrence, la compétition, l’excellence, la différence, la diversité. Toutes choses que vous connaissez vous-même dans le processus de sélection qui vous a conduits à être ce que vous êtes. Cela ne veut pas dire qu’on va laisser de côté tous ceux qui ne sont pas dans les dix projets. Cela veut dire que la France, comme partout ailleurs dans le monde, a besoin de locomotives car les locomotives tirent tout le monde vers le haut et que si on n’a pas de locomotive, on ne s’en sort pas. Mais c’est valable pour les villes aussi. Ce n’est pas en appauvrissant Paris qu’on va développer la France. Ce n’est pas en abattant la capitale régionale qu’on va développer la région. La réussite des premières universités, des plus grandes, va retomber, en termes de renommée ou de possibilité, sur l’ensemble des autres universités.

Vous voyez la stratégie globale : plus de moyens pour vous, plus d’autonomie, plus de confiance, et en même temps, laisser jouer le dynamisme de la compétition entre vous. L’appel à projet qu’a organisé René RICOL a donné lieu à une floraison extraordinaire d’émergence d’équipes, toutes plus dynamiques les unes que les autres et certaines qui ont gagné ne venaient pas des plus grands centres universitaires. Et tout d’un coup chacun de se dire « c’est possible, on va pouvoir y arriver. »

Alors dans tout ce paysage, je veux me féliciter de la question des bibliothèques universitaires. C’est un sujet qui a quand même demandé quatre ans de mobilisation, pour qu’elles soient ouvertes avec des horaires élargis et ouvertes le week-end. Quand même, les bibliothèques c’est mieux que cela soit ouvert les jours où on peut y aller. Je voudrais rappeler que Marc BLOCH, voyait dans la déliquescence des bibliothèques françaises le symptôme d’une défaite de la pensée. La remise à niveau de nos universités dans la compétition internationale passe aussi par cela.

Le nombre de bourses, car nous n’avons pas oublié les étudiants, a augmenté de 25 % depuis 2007, Jeannette BOUGRAB pourrait en témoigner. 25 % de boursiers en plus, et le montant des aides sociales pour l’université a augmenté d’un demi-milliard d’euros depuis 2007 avec le contexte budgétaire pour atteindre plus de 3 milliards d’euros. Et je veux rajouter ce 10e mois de bourse qui sera versé pour la première fois cette année. Il y a eu une polémique sur ce point c’est étrange. Moi je suis partisan de l’allongement de la durée de l’année universitaire, chacun le sait, et il m’a semblé honnête à partir du moment où les étudiants suivaient 10 mois de cours au lieu de 9, qu’ils aient 10 mois de bourse. Mais s’ils n’en font que 9, ils en auront que 9. C’est assez logique.

Vous avez compris, et je voudrais en terminer par cela, que c’est un sujet qui me passionne parce qu’il est au cœur de la modernisation française et que l’université vaut bien mieux que des batailles idéologiques d’un autre temps. Il n’y a pas une université de gauche et une université de droite, il y a une université qui doit être porteuse de la diversité des opinions.

Est-ce que la réforme et le mouvement de rénovation des universités sont achevés ? Non, en aucun cas. Je ne suis pas venu vous dire que l’on a tout réalisé et tout fait, on a simplement débloqué le système pour lui permettre de se réformer. Il va donc falloir continuer. La conviction que je voudrais vous faire partager, c’est que je ne crois pas, je ne crois plus, aux grandes réformes définitives et bloquées.

Je m’explique : une bataille phénoménale pour faire voter une réforme, et une fois qu’on l’a fait voter plus personne n’en parle. Et on est tellement épuisé de l’avoir fait voter que l’on s’arrête instantanément en disant « ah non on ne va pas recommencer. » Quitte peut-être à vous surprendre, je milite pour un système universitaire qui se réformerait en continu, où chaque année le gouvernement pourrait présenter un texte, pas forcément un texte définitif, pas forcément un texte structurel, pas forcément un texte systémique comme disent les économistes, mais un véhicule législatif qui permet, après concertation avec le monde universitaire, de voir sur quoi on peut faire évoluer les choses ou les faire bouger.

Je prends un exemple : la gouvernance des universités. On l’a beaucoup changée, mais, vous le savez, il y a des choses que l’on n’a pas réussies, parce que l’on n’a pas osé aller assez loin au premier coup. Et sans doute il faudra y aller. J’en parle avec nombre d’entre vous, c’est vrai et tout le monde le sait : la question du rôle des personnalités qualifiées est posée. Vous faites venir des personnalités qualifiées, c’est vous qui les choisissez et vous essayez de choisir les meilleures, les plus prestigieuses, celles qui peuvent apporter le plus à vos universités et une fois que vous les avez fait rentrer dans la salle du conseil d’administration vous leur dites «  merci, c’est bien, on est content de vous avoir, on a oublié de vous préciser, vous vous ne votez pas. » Est-ce exact ? Je pense que c’est l’un des domaines où l’on peut tranquillement réfléchir. Naturellement il ne s’agit pas de faire tomber une majorité parce qu’un président aurait désigné des personnalités qualifiées, les personnalités qualifiées pourraient voter et donc lui garantir, en quelque sorte à sa main, une majorité du conseil d’administration. Et si on faisait confiance aux présidents d’université et aux personnalités qualifiées ?

Deuxième sujet plus difficile encore : le financement. Nous avons augmenté de 22 % les moyens de fonctionnement de vos universités dans le contexte budgétaire actuel. L’avenir, c’est que vous diversifiiez vos sources de financement aussi, comme le font toutes les universités dans le monde. Comment les différencier ? Il y a d’abord les programmes de recherche avec les entreprises qui bordent géographiquement vos universités ou qui sont dans le domaine de compétence de vos universités. Après tout, que les entreprises demandent à vos universités d’organiser des programmes de recherche et vous financent plutôt que de financer des organismes de recherche étrangers ou français, quoi de plus sain ? Que vos anciens étudiants ayant réussi puissent investir dans vos universités sous la forme de fondations, quoi de plus sain ? Que l’on puisse créer autour de chacune des universités des lieux où vos étudiants pourraient bénéficier en franchise de locaux pour développer leur entreprise et que vous soyez associés aux bénéfices de ces entreprises, quoi de plus sain ? Est-ce que vous croyez franchement que l’université française sera la seule qui pourra dire non au financement privé ? Mais regardez les plus belles universités du monde, elles sont financées par qui ? Et quelle est votre ambition ? Avoir les plus belles universités du monde.

Je sais qu’il y a encore bien des problèmes pour la dévolution du patrimoine. C’est extrêmement compliqué pour l’organisation du partenariat public-privé. Il faut vraiment être non pas juriste, mais super juriste pour déjà comprendre où il faut retirer le dossier. Comprendre le dossier, ça c’est encore une autre affaire.

On a encore avec Laurent WAUQUIEZ, que je remercie d’avoir accepté ces responsabilités, beaucoup à faire, mais cela ne nécessite pas un texte définitif sur l’avenir des universités. Cela demande des textes successifs, précis, parfois techniques en accord avec vous pour vous aider à gérer vos universités.

Voilà, Mesdames et Messieurs, des universités qui accueillent mieux leurs étudiants, des étudiants recrutés dans tous les milieux de la société, les meilleurs qu’ils puissent choisir, la recherche au cœur de votre projet, l’autonomie pour que vous puissiez rêver vous-mêmes l’avenir de vos universités.

Ce que je suis venu vous dire, c’est que nous vous faisons confiance. Nous n’avons aucun a priori, nous vous demandons simplement de profiter de l’autonomie et de faire que nos étudiants puissent être accueillis dans les meilleures universités du monde. Si nous réussissons cela, alors nous aurons réussi à moderniser la France et à lui permettre d’affronter dans de bonnes conditions le monde du XXIème siècle. C’est cela l’enjeu. Il est uniquement là.

Ne laissez pas revenir les mauvaises habitudes, les mauvais conseils, ceux de la peur, peur des étudiants, peur des enseignants, peur du monde universitaire, ceux de la frilosité, peur de l’étranger, peur de l’ouverture, peur des chefs d’entreprise. Ne laissez pas revenir cette peur, peur de la compétition, peur de la compétence, peur de l’excellence. L’université, c’est au contraire le domaine de l’excellence, de l’ouverture, de la promotion des uns et des autres. C’est cela qui est porté par la loi d’autonomie sur les universités.

Je dirai juste un dernier mot sur les droits d’inscription. Je crois que ce serait une très mauvaise idée que toutes les universités décident d’augmenter leurs droits d’inscription parce que cela donnerait alors de l’extérieur l’image d’une barrière économique. Je sais bien ce qui se passe à l’extérieur, mais ne laissez pas caricaturer notre réforme. Pour moi, les sources de financement à privilégier sont la recherche, le privé, le rapport avec vos ministères, pas les droits d’inscription. Je le dis non pas pour recentraliser cette question-là, je le dis parce que je crois cette réforme tellement importante pour vous et pour nous. Nous avons bouleversé tant d’habitudes, tant de statuts confortables, tant d’immobilisme que tous ces immobilismes et ces corporatismes seraient tellement heureux de reprendre par la main de la caricature ce que nous avons donné par la main de la volonté politique.

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