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Trois tribunes, trois appels à défendre le système éducatif - "Libération", 26 septembre 2011

mardi 27 septembre 2011, par Laurence

Ne laissons pas Chatel saper l’école, résistons ! par Alain Refalo, enseignant du primaire

L’école de la République est en train de mourir sous les coups de boutoir d’une institution qui montre chaque jour son mépris pour les enseignants, les parents et les élèves. Le général en chef de la rue de Grenelle, à la suite de son prédécesseur, mène depuis son arrivée au ministère une guerre sans merci pour achever l’école issue des Lumières. Il saigne, il détruit, il appauvrit, et il s’en félicite, fier de pouvoir à son tour saper davantage les fondements de l’école émancipatrice !...

Sa force à lui, il la tient de notre permanente soumission. Sans notre coupable obéissance, lui et ses zélés exécutants académiques ne pourraient rien. Notre silence face au démantèlement méthodique de l’école publique, silence justifié par le soit-disant devoir d’obéissance et de réserve du fonctionnaire, est désormais synonyme de capitulation. Nous avons capitulé avant même de résister, alors qu’il suffirait de ne plus les soutenir pour que cessent ces attaques destructrices du service public d’éducation. La Boétie, reviens, les syndicats n’ont toujours rien compris.

C’est ce choix d’une résistance éthique et responsable qu’ont fait des milliers d’enseignants du primaire qui, dès novembre 2008, n’ont pas voulu être les complices de cette politique criminelle qui tue le métier d’enseignant, qui tue le désir d’enseigner et le plaisir d’apprendre, qui tue l’espérance du progrès pour tous. Depuis trois ans, en conscience et en dépit des pressions, parfois des sanctions et des retraits de salaire, ils refusent d’obéir et le font savoir à leur hiérarchie. Ils ne veulent pas être les instruments du fallacieux « pilotage par les résultats ». Ils ne prêtent pas leur concours à cet esprit de compétition si éloigné des valeurs de l’éducation.

La nocivité attestée des contre-réformes imposées à l’école légitime largement cette résistance. La semaine de quatre jours, généralisée par Xavier Darcos, est largement condamnée dans les rapports officiels car reconnue épuisante pour les élèves. Les nouveaux programmes, élitistes et d’un autre âge, ne sont pas appliqués car inapplicables à la lettre. Le dispositif de « l’aide personnalisée » en remplacement de l’aide spécialisée n’est d’aucune efficacité pour les élèves en difficulté et s’avère du saupoudrage. Les évaluations nationales n’ont plus aucune crédibilité comme le montre le dernier rapport du Haut Comité pour l’Education. Quant au « livret personnel de compétences », nouveau fichier informatisé du contrôle social, il révèle toute la volonté du pouvoir de soumettre l’école aux exigences croissantes d’une économie libérale qui n’a que faire de l’humain. Au nom de cette politique qui sacrifie l’école sur l’autel des économies budgétaires, des dizaines de milliers de postes sont supprimés, des centaines de classes ferment et les nouveaux enseignants ne bénéficient plus aujourd’hui d’aucune formation professionnelle.

Pour faire appliquer coûte que coûte toutes ces « réformes » contraires aux valeurs de l’école de la République, l’administration n’a lésiné sur aucun moyen de propagande, mais aussi de pression et de contrôle sur les enseignants. Cette hiérarchie arrogante et incompétente qui n’a que le mot « performance » à la bouche n’a de cesse d’écraser les enseignants sous de la paperasse et des tableaux illisibles à remplir pour alimenter des statistiques vides de sens. Cette déshumanisation du métier conjuguée à la difficulté croissante d’enseigner entraîne le désarroi, le stress, la démotivation, la souffrance et la désespérance de nombreux enseignants et de beaucoup d’élèves. Il faudra un jour que tous ceux qui sont responsables de ce désastre humain rendent des comptes à la nation.

J’ai été sanctionné en juillet 2009 par un tribunal académique à Toulouse, notamment pour « incitation à la désobéissance collective », notion juridique par ailleurs inconnue. Je persiste et signe. Car plus que jamais nous avons le devoir de prendre la parole pour dénoncer l’imposture du discours officiel. Nous avons un devoir d’insoumission collective à ces « réformes » scélérates. Il s’agit de ne pas se prêter au mal que nous condamnons. L’indignation ponctuelle, comme celle de demain, ne suffira pas. Nous avons besoin d’une résistance permanente, quotidienne, qui s’articule sur deux piliers : une stratégie de non-coopération et un programme constructif pour l’avenir de l’école.

Lors des prochaines échéances électorales, les partis politiques qui aspirent à réaliser l’alternance devront remettre l’école au centre d’un projet de société solidaire. En écoutant enfin ceux qui la font vivre chaque jour contre toutes les forces rétrogrades qui rêvent de la voir disparaître.

Auteur de : Résister et enseigner de façon éthique et responsable, éd. Golias, 2011.

Pour lire ce texte sur le site de Libération

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Candidats en 2012, priorité à l’éducation, par 17 collectifs enseignants, parents

Mesdames et messieurs les candidats à l’élection présidentielle,

Les parents et les enseignants réclament que cesse la politique de destruction de l’école publique et laïque. Nous, parents d’élèves, enseignants et citoyens soucieux de l’avenir du système éducatif, voulons soustraire l’école aux seules considérations budgétaires et rappeler aux candidats à l’élection présidentielle que nous sommes très attentifs à leur projet pour le service public d’éducation.

Cette année, partout en France, nous avons fait entendre notre refus de la politique de suppression des postes et presque partout, nos collectifs ont essuyé une absence d’écoute et un refus de dialogue. Les citoyens sont traités comme des fauteurs de troubles, symptôme d’une crise profonde de notre système démocratique.

Nous refusons que nous soit confisquée la question de l’école. Pourquoi n’écoute-t-on pas ce que les citoyens ont à dire sur la question éducative ? Pourquoi ignore-t-on les enseignants qui, en grande majorité, vivent une forte dégradation de leurs conditions de travail et ne peuvent plus mener à bien leur mission ? Le gouvernement, qui déplore la médiocrité des performances de nos enfants, se livre dans le même temps à une suppression massive de postes.

Comment peut-il espérer faire croire qu’on peut faire toujours mieux avec toujours moins de moyens ? Une société qui malmène ainsi son éducation, qui ne la pense que comme un gouffre budgétaire, est une société qui se condamne : le coût social de ce désinvestissement de l’Etat à l’égard de ses enfants risque d’être fort élevé. On peut parier que l’échec scolaire ne fera que s’accentuer, que les problèmes comportementaux à l’école et en dehors de l’école seront multipliés, que les inégalités sociales ne feront que se creuser, excluant encore davantage les plus fragiles.

Ces perspectives sont contraires au projet républicain pour l’école. Nous dénonçons les dangers que fait courir à la société la politique actuelle. Nous n’acceptons pas que les enfants fassent les frais de choix budgétaires que nous contestons. Nous réclamons que soient au minimum restitués les moyens dont l’école a été dépouillée. Nous demandons solennellement à tous les candidats de faire de l’école publique un enjeu essentiel des élections de 2012, un digne objet de débat, et non un prétexte pour précariser encore plus les salariés en charge de cette mission d’éducation. Nous revendiquons la capacité des citoyens à peser sur l’avenir de l’école. Demander cela, c’est demander à ce que la démocratie soit, dans notre pays, réhabilitée.

Parmi les signataires : Collectif des Parents et Enseignants en colère (Doubs), Amis et Défenseurs de l’école publique (Haute-Savoie), Collectif Citoyen de sauvegarde des écoles de villages (Lot), Collectif Ecole publique en danger (Finistère). http://ecoleendanger25.tumblr.com


Note : Signée par douze collectifs dans Libération paru le 26 septembre, cette tribune a de nouveaux signataires depuis.

Pour lire cette tribune sur le site de "Libération"

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Pour un recrutement à la hauteur de nos besoins, par Bernadette Groison, présidente de la Fédération syndicale unitaire (FSU)

La rentrée scolaire a révélé le manque d’ambition du gouvernement pour les jeunes. Les suppressions massives de postes sont la partie visible de l’iceberg. Mais les « réformes » sont tout autant dévastatrices. D’un côté, on sort les élèves les plus « méritants » du lot, de l’autre, les « perturbateurs » sont chassés du système éducatif. On offre à certains, au mieux l’accès au socle commun et parfois dès 15 ans l’apprentissage, aux autres la perspective d’un bac +3. Mais chaque année, 130 000 élèves sortent sans qualification. Le gouvernement laisse croire que réussite et échec scolaire dépendent de la seule volonté des acteurs. Quid de la politique éducative et des moyens ? Des inégalités sociales et territoriales ? Il est temps de penser l’éducation, la formation et la recherche comme des « investissements » d’avenir. Le système éducatif doit et peut faire réussir tous les jeunes, c’est une responsabilité collective.

En ce sens, il faut refonder l’éducation prioritaire, assurer une scolarité complète obligatoire jusqu’à 18 ans et une qualification pour tous les jeunes. Il faut redonner un sens à l’école dans notre société, retisser les liens avec les savoirs et la culture, facteurs d’émancipation et de citoyenneté. Voici le sens de la culture commune [1] que nous proposons. Les efforts doivent déjà porter sur les classes, sur les apprentissages à y construire. C’est d’abord là que doit être proposée et organisée « l’aide aux élèves ». Mais pour que les personnels exercent mieux leur métier, il faut leur donner les outils. Un haut niveau de qualification, le master, ne suffit pas. Enseigner est un métier qui s’apprend. Les futurs enseignants doivent bénéficier d’une formation professionnelle. Il faut aussi permettre aux personnels de travailler différemment : dédoubler des classes,développer le travail en équipe… Le débat sur la mission et le statut des enseignants n’a de sens que dans cette perspective, et avec le double objectif d’améliorer la réussite des élèves et les conditions de travail des enseignants.

Pour relever ces défis, rattraper la politique de ces dernières années, il faudra recruter à la hauteur des besoins. Nous proposons un système de prérecrutements pour les étudiants et la mise en œuvre d’un plan pluriannuel d’embauche. La société a rendez-vous avec l’école. Le XXIe siècle doit être celui de l’engagement pour la réussite de tous les jeunes. Cela demande de l’imagination et de l’ambition. Et de redonner confiance aux acteurs de l’éducation. Les évolutions ne se feront pas sans eux.

Pour lire ce texte sur le site de Libération


[1Une erreur s’était glissée dans Libération du 26 septembre : il fallait lire « culture commune » et non « socle commun ».