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Non à la censure ! - Esther Benbassa, blog Rue89 "Passage Benbassa", 18 mai 2011

mercredi 18 mai 2011, par Elie

Je devais publier un dossier sur la France postcoloniale dans la revue Hommes et migrations le 20 mai. Cette parution devait donner lieu à deux journées de manifestations culturelles sur ce thème à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI) les 20 et 21 mai.

La veille de l’envoi du dossier à l’imprimerie, le 11 mai, la rédaction de la revue m’a demandé de retirer de ce dossier un article de Nicolas Bancel intitulé « La Brèche. Vers la racialisation postcoloniale des discours publics ? ».

Je précise que Nicolas Bancel est professeur à l’université de Strasbourg, détaché à l’université de Lausanne (Unil, faculté des sciences sociales et politiques, Issul).

Cette demande émanait en fait du directeur de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, Luc Gruson, lequel avait fait valider sa décision par un comité de rédaction curieusement réuni ce 11 mai. Une décision demeurée et sans appel, malgré quatre jours de négociations.

J’ai en conséquence refusé de publier le dossier censuré in extremis et annulé les deux journées de manifestations culturelles des 20 et 21 mai au nom de la liberté d’expression et du refus de la censure.

Si l’on cède une fois, on cédera toujours.

La peur est toujours mauvaise conseillère

Un climat de peur règne dans les institutions financées par l’Etat, qui essayent de se protéger en éliminant tout ce qui pourrait irriter le pouvoir. Il va de soi que cette censure n’est pas faite par lui, le pouvoir, mais par ceux qui sont en place. La peur est toujours mauvaise conseillère. Elle paralyse la création, qui a besoin de liberté pour s’exprimer et faire avancer la culture et le savoir.

Les livres, les revues, les médias sont des espaces qui apportent la connaissance à ses destinataires naturels : les citoyens. Si ces lieux sont envahis par la peur, la censure, les préjugés, la connaissance est en danger, et le libre-arbitre des citoyens l’est aussi.

Comment ces institutions les ont-elles intégrés ? Voilà la vraie question.

Quelle naïveté, à l’ère d’Internet !

Autrefois, lorsqu’on censurait, on s’entourait de précautions. Maintenant, on ne prend même plus la peine d’argumenter. Il y a le savoir autorisé et celui que, lorsqu’il est quelque peu critique, l’on essaye d’éliminer pour plaire au pouvoir. Ce d’autant plus que dans nombre d’institutions, les dirigeants sont là par la seule volonté du Prince.

Quelle naïveté de croire qu’on peut empêcher quelqu’un de s’exprimer à l’ère d’Internet !

Certes nous avons besoin, nous, chercheurs, savants, intellectuels, de nos lieux d’expression traditionnels et légitimes que sont les livres, les revues, les classes de cours, les médias. Mais Internet nous ouvre heureusement la possibilité de lever la censure en véhiculant notre parole.

Il est temps de créer de nouveaux espaces d’expression libre dans l’atmosphère de suspicion et de délitement éthique qui règne pour éviter la pensée unique. Il nous incombe de ne pas courber l’échine.

C’est notre devoir à l’égard du savoir et de ses destinataires qui, avec leurs impôts, ont payé nos études et qui, avec leurs impôts, financent encore les universités et les organismes de recherche.

L’avenir d’une nation dépend de cette liberté d’expression inaliénable.

Un comité de rédaction subitement saisi

Pour en revenir à mon affaire, jugez sur pièces.

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