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A Avignon, l’école publique est « malade de la concurrence » du privé - Enquête de Lucie Delaporte, "Mediapart", 6 mai 2011

samedi 7 mai 2011, par Elie

Pour lire cet article sur le site de Mediapart.

Ce sont des chiffres rares et extrêmement instructifs qu’ont pu obtenir les syndicats d’enseignants et les associations de parents d’élèves à Avignon. Après la fermeture du collège « ambition réussite » du quartier défavorisé de Montclar – confronté à l’effondrement de ses effectifs –, ils avaient obtenu du Conseil général qu’il lance une enquête pour mieux cerner les choix des familles en matière scolaire. Menée par un cabinet indépendant, l’étude analyse sur les six dernières années (2004-2010), les aires de recrutements des collèges publics et privés avignonnais. En croisant ces données avec celles relatives au milieu d’origine des élèves, elle permet aussi de suivre les stratégies des familles en fonction de leur catégorie socioprofessionnelle.

Or, les chiffres qui ressortent de cette enquête sont sans appel : « Le dépouillement de cette étude nous a clairement montré que l’idée d’une école creuset, lieu de mixité sociale, est menacée par des logiques concurrentielle – ou ségrégatives – en forte augmentation ces dernières années », affirme Sébastien Massonnat, secrétaire départemental du SNES pour qui l’école publique est bel et bien aujourd’hui « malade de la concurrence ». Premier constat : 44% des collégiens d’Avignon ne fréquentent pas l’établissement de leur secteur. L’assouplissement de la carte scolaire (mesure phare de l’actuel gouvernement, dont les effets sur la mixité sociale n’ont jamais été rendus publics) joue en partie : 17% choisissent un collège public d’un autre secteur. Mais c’est surtout la fuite vers le privé qui en est la principale cause. Si l’école est donc « malade de la concurrence », ce n’est pas seulement en raison de la concurrence entre établissements du public, certes plus forte avec l’assouplissement de la carte scolaire, mais bien plutôt parce qu’elle est anémiée par une hémorragie vers le privé.

Comment expliquer cette désertion des collèges publics sur Avignon ? C’est là que l’étude apporte un éclairage particulièrement intéressant. « Les collèges les plus concurrencés par le privé sont ceux dont le secteur est à cheval entre l’intra et l’extra-muros. » En clair, ceux du centre-ville obligés d’accueillir les élèves des quartiers les plus sensibles d’Avignon, ceux qui étaient auparavant scolarisés au collège Giera (à Montclar). Car, contrairement à la récente doxa qui tendrait à faire croire que le privé se démocratise sur Avignon, les chiffres disent le contraire.

L’entrée en 6e, moment du choix

C’est bien la catégorie socio-professionnelle la plus aisée qui retire ses enfants du public alors que la part des enfants des classes défavorisées y est de plus en plus faible. Sur Avignon, le public accueille donc 57% d’élèves issus de milieux défavorisés quand le privé n’en compte que 17%. Autre donnée importante, cette tendance est en nette accélération. A l’entrée en 6e, moment privilégié du choix entre collège public ou privé, ils sont désormais 27% à partir dans le privé, 10 points au dessus de la moyenne nationale.

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© Snes Vaucluse
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Part des CSP dans les effectifs des collèges publics d’Avignon (2010)© Snes Vaucluse

Aujourd’hui, selon cette étude du cabinet Géocéane menée à partir des chiffres fournis par le rectorat, deux tiers des collégiens les plus favorisés sont scolarisés dans le privé. Contre la moitié il y a six ans.

Or, il semble bien que ce choix procède, avant tout, d’une logique de refus de la mixité sociale. « On ne peut pas dire qu’il y a un problème d’offre dans ces collèges qui ont tout ce qu’il faut pour être attractifs : la meilleure offre de langues, des horaires aménagés, des filières d’excellence en musique, danse ou en théâtre avec des partenariats avec le Conservatoire », souligne le secrétaire départemental du SNES. Mais dans cette ville de très forts contrastes sociaux, c’est bien la question de l’entre-soi qui l’emporte. Une attitude que n’a pu que constater le principal du collège Vernet dont l’établissement, situé dans un quartier cossu d’Avignon, est doté d’une filière musique extrêmement réputée. « Lorsque nous avons accueilli l’an dernier une centaine d’élèves du collège Giera (issus du quartier sensible de Montclar), une quarantaine de famille s’est tournée vers le privé », regrette Joël Di Luca. « Et c’est vrai qu’au départ, on pouvait comprendre l’inquiétude de certaines familles sur la capacité de notre collège à absorber d’un seul coup ces nouveaux élèves. Mais aujourd’hui nous fonctionnons tout à fait normalement. Notre challenge, c’est d’arriver à garder nos excellents élèves, qui tirent les autres vers le haut, tout en parvenant à s’occuper activement des élèves en difficulté. »

Une question disparue du débat politique

Car, ce que soulignent les enseignants, les élèves de milieu aisé manquent de plus en plus cruellement dans certains collèges publics. « Au collège Viala (évités par 65% des collégiens de son secteur), on pourrait ouvrir deux classes avec ces élèves manquants », rappelle Sébastien Massonnat, également enseignant d’histoire-géographie. Issus de milieu favorisé, ces élèves, parce qu’ils ont souvent toutes les chances de faire une bonne scolarité, sont les locomotives qui font défaut aujourd’hui aux classes du public : « Il y a un problème dans le public avec les collégiens que l’on n’a pas. »

Un avis que partage son collègue Sylvain Bartet pour qui, si la greffe avec les nouveaux arrivants a relativement bien pris au collège Vernet, c’est qu’ils ont pu « s’accrocher aux wagons sociaux qui fonctionnent ». Selon lui, les résultats du brevet tendraient d’ailleurs à montrer les bénéfices de ce mélange pour les anciens collégiens de Giera. L’absentéisme de ces élèves, issus du quartier de Montclar, serait aussi en recul.

Si ces chiffres ne valent évidemment que pour Avignon, ils révèlent avec précision les tensions concurrentielles qui minent aujourd’hui l’école. « Ces chiffres nous ramènent à une logique de classe que tout le discours sur l’individualisation des parcours, notamment autour du débat sur la carte scolaire, a tenté de nous faire oublier », juge Sébastien Massonnat qui prévient qu’il ne s’agit pas pour autant de stigmatiser systématiquement l’attitude des familles. « Si votre enfant était dans un collège nouvellement classé “ambition réussite”, qui a des dérogations par rapport aux programmes et aux horaires nationaux, que feriez-vous ? »

Pour Didier Blanc, président de la FCPE Vaucluse, ces chiffres mettant en valeur la fuite vers le privé sont aussi le résultat « de tous les discours des ministres qui depuis 2002 nous martèlent que l’école publique est en panne, ne fonctionne pas bien ».

A un moment où les partis sont en train d’élaborer leurs programmes, le SNES-FSU compte bien les interpeller sur cette question de la concurrence entre privé et public qui a singulièrement disparu du débat ces dernières années. L’enseignement privé, qui s’est ému ces derniers jours des 1.500 postes qu’il allait perdre à la rentrée 2011, a pourtant été jusqu’ici bien plus épargné que le public. Sa contribution aux suppressions de postes constituant, selon le ministère de l’éducation lui-même, moins de 10% du nombre total, soit un effort bien inférieur à celui demandé au public, proportionnellement au nombre d’élèves accueillis. Le secteur public, lui, en 2011, perdra 16.000 postes.

Voir l’intégralité de l’enquête ici.