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L’éducation, nouvelle bulle spéculative aux Etats-Unis - Laurent Chambon, chercheur en sciences politiques, Rue89, 26 avril 2011

mercredi 27 avril 2011, par Elie

Nous commençons à peine à réaliser l’ampleur des conséquences que la crise des subprimes, et du crédit en général, va avoir sur les économies occidentales – on parle maintenant d’une nouvelle crise du crédit, mais subie par les Etats eux-mêmes – qu’une rumeur de plus en plus tenace se fait entendre aux États-Unis : il y aurait une nouvelle bulle.

Non, on ne parle ni de la surévaluation de Facebook, ni de la spéculation énergétique post-Fukushima, ni du bulletin de santé de Steve Jobs, mais d’éducation. Ça annonce une sale remise à plat des perspectives pour les nouvelles génération.

Le New York Times a dégainé le premier, avec un article assez dur : « Is Law School a Losing Game ? » On y découvre l’histoire de ces brillants étudiants qui ont emprunté pour devenir avocat surpayé comme dans les films, et qui se retrouvent au chômage, avec des dettes énormes.

L’ironie de ces histoires est que ces avocats sans travail ont suffisamment bien étudié le droit pour savoir comment ne pas avoir à rembourser leurs dettes, la plupart ayant opté pour la survie autour du seuil de pauvreté pour ne pas devenir esclaves de leurs créanciers.

Bidouiller les stats, multiplier les diplômes bidons

On retrouve les mêmes histoires à propos des Med Schools, les très onéreuses écoles de médecine américaines. Plus largement, avec la crise des subprimes, beaucoup d’Américains ont perdu les économies qui auraient permis à leurs enfants d’aller étudier à l’université :

- certains ont opté pour les universités publiques, bien moins chères ;
- d’autres ont tout simplement renoncé à poursuivre leurs études ;
- et pour ceux qui s’obstinent et qui n’ont pas des parents riches, l’endettement est la seule voie.

D’ailleurs, les frais de scolarité ont augmenté comme rarement auparavant. Les universités font de leur mieux pour que leurs étudiants obtiennent un crédit qui leur permette de payer ces frais de scolarité exorbitants, et sont pour cela dans une course aux étudiants bancables, quitte à baisser le niveau, bidouiller les statistiques et multiplier les diplômes plus ou moins bidons.

Beaucoup de Law Schools – écoles de droit américaines – publient ainsi les statistiques de rémunération moyenne de leurs anciens étudiants… sauf qu’il s’agit uniquement de ceux qui ont trouvé un travail comme avocat. Si elles publiaient le salaire moyen de tous leurs anciens étudiants, il est probable que leur diplômes seraient bien moins attrayants.

« L’économie de la connaissance » ? Pas aussi simple

Les universités mentent autant sur les salaires des futurs diplômés que les vendeurs de crédit immobiliers ont pu mentir sur l’augmentation infinie et garantie du prix de la pierre. Nous sommes dans une pyramide de Ponzi géante, avec pour gogos les jeunes qui veulent faire quelque chose de leur vie.

L’Economist parle d’une bulle éducative. Le mécanisme est simple : les gens cherchent à se protéger des incertitudes, et les comportements identiques par millions font qu’une bulle se crée.

C’est ainsi que la bulle immobilière a vu le jour : comme on avait annoncé que les retraites seraient plus maigres que prévues, tout le monde ne jurait que par la pierre comme valeur refuge. Sauf que si tout le monde veut acquérir un bien immobilier alors que l’offre n’augmente pas en conséquence, les prix augmentent. Jusqu’à ce que la bulle explose.

Maintenant que l’immobilier est à la fois inabordable (les prix n’ont toujours pas baissé autant qu’il faudrait et l’accès au crédit a été fortement réduit) et clairement une voie sans issue s’il s’agit de sécuriser son avenir, que les CDI sont une espèce en voie de disparition et que la précarité s’installe partout, la nouvelle mode est « l’économie de la connaissance ». On investit dans l’éducation, en pensant que cela va apporter de la richesse et de la stabilité. Forcément.

Malheureusement, ce n’est pas aussi simple.

L’université, l’usine à clones obéissants et conformistes

Tout d’abord, l’université (et ses avatars) n’est pas nécessairement l’endroit où l’on forme les créateurs de richesse : Steve Jobs, Mark Zuckerberg ou Bill Gates, pour ne citer que les « college dropouts » (ceux qui ont abandonnés leurs études) américains les plus riches, n’ont jamais obtenu leur diplôme et n’ont pas trouvé leur voie grâce à l’université. Au contraire.

A tel point que le fondateur de PayPal a offert vingt bourses de 100 000 dollars aux étudiants qui abandonneraient leurs études universitaires pour créer leur entreprise high-tech.

Pour être moi-même passé par quelques grandes écoles de la République, je peux vous assurer que l’usine à clones obéissants et conformistes marche au moins aussi bien en France qu’aux Etats-Unis. Ce n’est pas en passant par Sup de Co, l’IEP ou Centrale qu’on va nécessairement développer les facultés qui vont nous aider à créer l’entreprise superprofitable de demain.

Ensuite, nous sommes en compétition dans beaucoup de domaines avec les diplômés du tiers-monde, Chine et Inde en tête, où les salaires sont bien moindres qu’ici. Beaucoup de branches sont encore protégées par la langue et des exigences de nationalité, mais d’autres sont sévèrement touchées, en particulier dans les sciences dures et dans les domaines technologiques, là où le plus de richesse est créée.

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