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La CPU est-elle soluble dans la « Polex » ? Deuxième interpellation à la CPU par SLU et SLR

mercredi 6 avril 2011

Dans une Lettre ouverte du 14 novembre 2010, SLU et SLR interpellaient les Présidents d’Université, les directeurs d’organismes et les Conseils centraux de ces établissements sur les dangers immédiats et à venir de l’opération Grand Emprunt. Nous y posions une série de questions essentielles, qui furent de toute évidence ignorées mais dont la pertinence et l’actualité s’imposent aujourd’hui, au lendemain de la première phase de ce processus.

Nous affirmions qu’ « outre [son] rythme scandaleux et contraire à toute éthique scientifique, la procédure dans son ensemble [était] inacceptable » parce qu’elle « entraîn[ait] un bouleversement radical des structures de la recherche française (en contournant les conseils centraux des universités et toutes les instances élues de la recherche et de l’enseignement supérieur), une concentration des moyens, une modification de la nature des financements de la recherche (avec une place primordiale accordée aux logiques du secteur privé), ainsi qu’une remise en question de l’autonomie scientifique réelle des universités et de la capacité pour les Établissements Publics Scientifiques et Techniques d’avoir une politique scientifique propre. »

Nous pointions des dangers que la CPU avait jugés de toute évidence inutile de prendre en compte. Or, à quelques heures d’intervalle, Louis Vogel, président de la CPU, dans Le Monde, et Anne Fraïsse, vice-présidente de la CPU, dans une lettre aux enseignants-chercheurs de son université, viennent de rendre un hommage rétrospectif à nos analyses.

À chacune de nos questions, ils apportent des réponses (tardives) dont ils doivent tirer toutes les conséquences.

Acceptez-vous la logique du Grand Emprunt qui vise à déstructurer complètement la recherche française actuelle et à recomposer ses structures ? (SLU-SLR, 14 novembre 2010)

« Dans une université, le risque est d’avoir une rupture entre les secteurs financés par le grand emprunt et le reste. Le gouvernement nous impose une “gouvernance” spécifique pour les projets bénéficiant de fonds… C’est un vrai risque de désintégration. » (Louis Vogel, Le Monde, 4 avril 2011)

« Le grand emprunt ne soutient pas la Recherche et l’enseignement universitaire (la dotation des universités est en baisse cette année de 14 millions et 155 postes), il les réoriente vers une recherche appliquée, appuyée financièrement sur les ressources économiques et les grandes entreprises. » (Anne Fraïsse, 4 avril 2011)

« L’ensemble du processus “grand emprunt” est logique et cohérent avec le but qu’il poursuit et c’est précisément dans cette externalisation des décisions qui concernent la recherche et les formations que nous voyons se profiler le risque de “collège universitaire”. » (Anne Fraïsse, 4 avril 2011)

Quel avenir pour les disciplines et leur indépendance, quand les « investissements d’avenir » privilégient une recherche par thèmes dans le cadre de la Stratégie nationale pour la recherche et l’innovation ? (SLU-SLR, 14 novembre 2010)

« Les résultats nationaux des Labex, derrière l’affichage du ministère, sont extrêmement préoccupants pour nos disciplines : 0% des projets ont été retenus en Lettres, en Langues et en Droit et deux des quatre domaines de recherche et formation de l’enseignement supérieur Sciences Humaines et Sociales et Droit, Économie, Gestion sont fondus en une seule catégorie. » (Anne Fraïsse, 4 avril 2011

« … au niveau disciplinaire, des pans entiers de recherche ont été ignorés. Le droit, les lettres, la gestion se retrouvent dans de très rares laboratoires d’excellence. Pourquoi ? Parce que ces disciplines ne travaillent pas comme les sciences dures, et ne peuvent donc répondre à des appels d’offres préparés pour elles. » (Louis Vogel, Le Monde, 4 avril 2011)

Est-il acceptable de mettre en œuvre des « investissements d’avenir » sans réflexion collective préalable ? (SLU-SLR, 14 novembre 2010)

« L’État a donné peu de temps aux universitaires pour boucler leurs projets. Nous aurions dû pouvoir disposer de plus de temps pour élaborer ces projets stratégiques à dix ou vingt ans. De plus, en décidant de multiplier les appels d’offres spécifiques, le gouvernement a rendu le processus compliqué et peu lisible. » (Louis Vogel, Le Monde, 4 avril 2011)

Comment réagissez-vous face à l’affaiblissement de la gouvernance des universités et des organismes qu’entraînent les « investissements d’avenir » ? (SLU-SLR, 14 novembre 2010)

« Ce n’est […] pas la structuration de la gouvernance du projet et l’absence de fusion qui posent problème mais à l’intérieur de cette structuration, un élément essentiel : celui de la prise de décision en ce qui concerne les postes et les financements. La seule question que nous a posée le jury à ce sujet est révélatrice : qui embauche sur un poste d’université pour un projet “grand emprunt” ? qui détermine le salaire ? qui sélectionne ? La réponse clairement attendue est : non pas les “universités” mais le petit groupe (quelle que soit la structure) qui gère le grand emprunt, extérieur à l’université et dont la composition exclut toute représentation démocratique des personnels et usagers des universités pour privilégier les acteurs économiques. » (A. Fraïsse, 4 avril 2011)

Il est plus que temps désormais pour la CPU de tirer toutes les conséquences des constats qui précèdent. Elle doit solennellement faire savoir au ministère qu’elle s’oppose à une politique de prédation de l’université et de la recherche dont les effets sur le potentiel de recherche de notre pays sont d’ores et déjà visibles et seront délétères.

La CPU doit mesurer le désarroi et la colère des agents du service public d’enseignement supérieur et de recherche, cesser de nous amuser avec les phases ultérieures de ce processus, reconnaître que ses positions ambiguës ont prêté la main à la déstructuration de l’Université, dénoncer le dispositif mis en place par le ministère ainsi que les manipulations auxquelles il a donné lieu.

C’est un jeu dont il ne sortira que des perdants, projets « élus » et « non élus » confondus. Les premiers seront pieds et poings liés, aux ordres de structures dont les universitaires et les chercheurs sont écartés. Les seconds seront privés des moyens indispensables à leur recherche et plus que jamais submergés de charges administratives dont la CPU a jusqu’à présent avalisé la création, quand elle ne les a pas suggérées.

Combien faudra-t-il d’avatars de la « Polex » avant que la CPU dénonce la politique gouvernementale de destruction du potentiel de recherche de ce pays ?

Combien de temps encore avant que la CPU, composée d’élus des universités, accepte de défendre les enseignants-chercheurs face à des réformes qui les empêchent d’exercer leur métier dans des conditions un tant soit peu dignes ?

Jusqu’où la CPU acceptera-t-elle la destruction de l’Université comme lieu d’élaboration et de transmission des savoirs ?

La mascarade du Grand Emprunt doit cesser. C’est à la CPU de l’affirmer. Toute autre position ferait d’elle la co-responsable du désastre en cours.

Sauvons l’Université ! Sauvons la Recherche !

Ce texte est également en ligne sur le site de SLR