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Les classes populaires dans l’enseignement supérieur. Politiques, stratégies, inégalités - numéro 183 des "Actes de la recherche en sciences sociales", 2010/3

lundi 7 mars 2011, par Laurence

Sans doute préoccupés par l’opération" Juridex"…, nous avons raté un important numéro des "Actes de la recherche en sciences sociales" au printemps 2010 : il est en effet consacré à la démocratisation de l’enseignement supérieur et bouleverse un certain nombre d’idées reçues, notamment sur les "stratégies étudiantes".
Vous trouverez le sommaire et les résumés des articles ci-dessous. L’ensemble du numéro est en accès limité sur Cairn.

« 30 % de boursiers » en grande école... et après ?, par Stéphane Beaud et Bernard Convert

Résumé de SLU : comme son titre l’indique, cette introduction interroge tout ce que cache (ou dénie) le slogan des "30% de boursiers" dans les prépas – mis en avant par le gouvernement actuel. Un des intérêts de cette présentation est sa réflexion sur la nécessité pour le sociologue d’un tel sujet de ne pas s’en tenir aux statistiques assez larges commandées par les ministères, mais de constituer son propre découpage, voire ses propres sources, pour dépasser "la sociologie d’administration". Un autre d’articuler la question de l’accès des enfants de classes populaires à l’enseignement supérieur au dogme actuel de la "professionnalisation" et à la logique "adéquationniste" (à l’emploi), dont elles sont les victimes, en particulier quand ils sont issus de l’enseignement général. Un troisième de rappeler ce que représentent l’emploi public pour les étudiants, et par conséquent la diminution drastique des postes d’enseignants ces dernières années. Enfin, les auteurs abordent le "cas limite" des enfants d’origine populaire en classes préparatoires. Pas de "vaines polémiques" donc, mais quelques réflexions sur la "réalité", avec l’examen de la façon dont celle-ci est produite…

Début de l’introduction
Depuis le lancement en 2001 de la procédure d’entrée à Sciences-Po Paris par voie dérogatoire au concours (ce qu’on a appelé ensuite les « conventions ZEP »), le débat sur la « démocratisation » de l’enseignement supérieur en France s’est presque exclusivement centré sur la question de la « démocratisation des grandes écoles ». Il a été relancé en janvier 2010 par l’objectif, assigné par le gouvernement Fillon au ministre de l’Éducation nationale, d’intégrer « 30 % de boursiers » parmi les admis aux classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). Ce souci de « démocratisation », de la part d’un gouvernement qui par ailleurs s’attaque frontalement à l’État social, renvoie à la perception, mal mesurée mais confuse en haut lieu, d’une aggravation de la reproduction sociale des classes supérieures. L’objectif de « faire circuler les élites », formulé en janvier 2010 par le chef de l’État, s’explique autant par la rentabilité médiatique du thème que par l’idéologie de la réussite individuelle dont est porteur ce gouvernement qui n’est pas, comme c’était le cas jusque-là, majoritairement issu de la haute fonction publique et de ses écoles [1].
La mise en avant de cet objectif de « 30 % de boursiers » a ainsi permis au gouvernement d’apparaître à bon compte comme étant à l’avant-garde de ce combat « social » en lui donnant l’occasion de pouvoir condamner le conservatisme de la Conférence des grandes écoles, jugée rétive à un tel (et soudain) volontarisme. Mise d’un coup sur le devant de la scène, celle-ci a résisté quelques jours à ce nouvel oukase gouvernemental avant de s’incliner la mort dans l’âme, devant assumer le risque de « baisse du niveau » qui, à ses yeux, ternirait le blason des classes préparatoires, plus que jamais perçues comme le fleuron de notre système scolaire.

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Espace de l’enseignement supérieur et stratégies étudiantes, par Bernard Convert

Résumé
Alors qu’environ la moitié d’une classe d’âge accède aujourd’hui à l’enseignement supérieur, la répartition des effectifs selon les disciplines permet d’analyser les stratégies des étudiants. L’attrait des enseignements professionnalisés s’exerce plutôt sur les moins bons des bacheliers. Au sein des disciplines universitaires, s’opposent des disciplines « professionnelles » et des disciplines tournées vers l’enseignement, des disciplines demandant des prérequis et des « filières-refuges » qui n’en exigent pas. Dans chaque sous-champ disciplinaire, persistent des inégalités en fonction des origines sociales, scolaires et du genre.

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Le choix du BTS, entre construction et encadrement des aspirations des bacheliers d’origine populaire, par Sophie Orange

Résumé.
La sélection et la professionnalisation sont aujourd’hui présentées comme des réponses possibles aux taux importants d’échecs et d’abandons dans le premier cycle universitaire. Cet article étudie la construction des aspirations scolaires et du recrutement des formations qui, comme les sections de techniciens supérieurs, accueillent une part importante des bacheliers technologiques et les professionnels d’origine populaire. Il analyse notamment l’entrée dans ces filières comme le double produit de l’encadrement des ambitions scolaires de bacheliers d’origine populaire et de mécanismes de recrutement spécifiques.

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Déscolarisation universitaire et rationalités étudiantes, par Sandrine Garcia

Résumé
Cet article confronte les dispositifs mis en œuvre à l’université pour combattre les taux d’échec avec les rationalités étudiantes et, en particulier, le rapport à la contrainte résultant de leur trajectoire scolaire antérieure. Il n’est pas vrai que « l’université produit de l’échec » ; elle s’avère plutôt incapable de scolariser les étudiants qui la choisissent par défaut, de leur faire incorporer les dispositions « laborieuses » qui, en cas de faible capital scolaire à l’entrée, conditionnent la réussite à l’université. Au total, l’article montre que le modèle de la responsabilité individuelle de l’étudiant relève d’un choix politique.

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L’emploi étudiant et les inégalités sociales dans l’enseignement supérieur, par Vanessa Pinto

Résumé
Malgré la « massification », les inégalités sociales devant l’enseignement supérieur perdurent. Elles sont de surcroît renforcées par l’exercice, au cours des années d’études, d’activités rémunérées dont les modalités, le contenu et les effets sur la scolarité varient sensiblement. Grâce à une enquête qui utilise conjointement des données statistiques et des enquêtes ethnographiques, cet article identifie plusieurs logiques polaires qui renvoient, chacune, à des formes d’articulations particulières entre emploi et études et à des rapports à l’avenir différents.

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« Le CAPES ou rien ? » Parcours scolaires, aspirations sociales et insertions professionnelles du « haut » des enfants de la démocratisation scolaire, par Cédric Hugrée

Résumé
Cet article sur la « génération des enfants de la démocratisation » montre les hiérarchies sociales et scolaires qui structurent aujourd’hui le parcours des étudiants d’origine populaire dans l’enseignement supérieur. Il analyse notamment l’insertion des diplômé-e-s d’origine populaire dans la fonction publique comme une conversion de scolarités honorables en mobilités sociales raisonnables. En rappelant le poids des déterminants sociaux et scolaires dans les (dé)classements de cette fraction de la jeunesse populaire, il rend compte des médiations qui construisent ces parcours ascensionnels.

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Les déplacés de l’« ouverture sociale » Sociologie d’une expérimentation scolaire, par Paul Pasquali

Résumé
Les débats français autour de l’ouverture du recrutement social des grandes écoles et des classes préparatoires occultant souvent l’expérience des élèves bénéficiaires de ces politiques, cet article étudie l’émergence des dispositifs d’ouverture sociale à travers une classe préparatoire expérimentale de bacheliers venant de ZEP. Il montre en particulier les rapports ambivalents que ces élèves à la réussite statistiquement improbable entretiennent avec leurs univers sociaux d’origine et d’accueil, et les pratiques, compromis symboliques qui leur permettent de résoudre les tensions et contradictions auxquelles ils sont confrontés.

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Le comblement inachevé des écarts sociaux Trajectoire scolaire et devenir professionnel des élèves boursiers d’HEC et de l’ESSEC, par Anne Lambert

Résumé
À partir d’une enquête ethnographique auprès de boursiers d’écoles de commerce, cet article analyse les trajectoires scolaires et professionnelles des « miraculés » qui, très minoritaires dans les grandes écoles françaises, sont issus de milieux populaires. Analysés dans le détail, leurs parcours montrent les difficultés pour des élèves sur-mobilisés scolairement à convertir leurs dispositions scolaires en dispositions managériales. Après l’obtention du diplôme, même quand les classements scolaires leur sont favorables, les « miraculés » sont loin de choisir les métiers les plus élevés dans la hiérarchie sociale et salariale des écoles de commerce.


[1Il n’est pas anodin que Nicolas Sarkozy soit le premier Président de la Ve République de droite à être ni polytechnicien (Giscard d’Estaing), ni énarque (Giscard d’Estaing et Chirac), ni normalien (Pompidou), ni même saint-cyrien (de Gaulle). Si l’on examine les biographies des ministres depuis 2007, on s’aperçoit que la « rupture », et plus exactement la mise en cause des « élites traditionnelles » (avec la figure de l’énarque comme symbole du mal technocratique), s’est traduite par la promotion au gouvernement de ministres issus, comme on dit, de la « société civile » mais aussi rarement hauts fonctionnaires. Beaucoup d’entre eux ont fait des écoles de commerce, des études de droit et/ou ont échoué aux concours de « grandes écoles ».