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"Quel musée pour l’histoire de la France ?" - un ouvrage à paraître (6 janvier 2010)

jeudi 13 janvier 2011, par Laurence

Le Ministère de la Culture vient d’annoncer le comité scientifique du Musée de l’Histoire de France (voir l’article de Médiapart en bas de page). Quatre historiens ont travaillé de manière concomitante à proposer "douze recommandations" pour la création d’un musée de l’histoire de France (ci-dessous).

Voir aussi en document joint le sommaire de l’ouvrage à paraître début avril.

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Déclaration du 6 janvier 2011 extraite de l’ouvrage Quel musée d’histoire pour la France ? à
paraître le 6 avril 2011 aux éditions Armand Colin, coll. « Eléments de réponse »,
série « Libertés d’historien ».

Douze recommandations pour la création d’un musée d’histoire, par Jean-Pierre Babelon, Isabelle Backouche, Vincent Duclert, Ariane James-Sarrazin et des personnels scientifiques du ministère de la Culture

La création, annoncée le 12 septembre 2010 par le président de la République Nicolas
Sarkozy, d’une « Maison de l’Histoire de France » fédérant neuf musées de France, et la
décision de l’installer aux Archives nationales à Paris, dans le centre historique du Marais,
contraignent les historiens comme l’opinion publique à réagir. Il nous faut penser cette
initiative culturelle et scientifique, la resituer dans ses contextes technique et idéologique, et la
rapporter aux enjeux fondamentaux que constituent l’expression muséographique de l’histoire
en France et la place des Archives de France dans cette pédagogie savante autant que
populaire.

La conception de la Maison de l’histoire de France instrumentalise le « désir d’histoire » des
Français, elle s’appuie sur une vision romantique de la discipline historique, et elle est fondée
sur une conception strictement utilitaire des savoirs historiens. Le montage de l’opération
révèle des risques certains pour le devenir des musées, de la muséographie et des Archives
nationales. Enfin, l’initiative présidentielle ne repose pas sur un travail d’enquête préalable à
tout engagement dans ce domaine de la nation. Pour toutes ces raisons, un groupe de
professeurs, de chercheurs, de documentalistes et de conservateurs s’est réuni pour analyser,
de manière critique et érudite, l’enjeu d’un Musée d’histoire pour la France ? Tel sera le titre
de l’ouvrage à paraître le 6 avril 2011 aux éditions Armand Colin (série « Libertés
d’historien »).

Ses auteurs justifient leur initiative par le refus des conditions qui entourent le projet. Ils
restent attachés à poursuivre une réflexion déjà ancienne sur le passage de l’histoire au musée,
sur l’historicité d’une telle question, et sur la contribution, pour eux décisive, des archives à
ce défi de l’histoire qui se construit, s’écrit, se montre. A cette fin, l’ouvrage inclut dans sa
dernière partie des recommandations générales pour la programmation d’un musée d’histoire.
Elles reposent sur l’analyse critique du groupe de travail indépendant « Musée, histoire et
recherche », et elles forment les bases indispensables pour la réalisation d’un nouvel
équipement à la hauteur des attentes des savants comme du public.

Ces recommandations s’opposent aux méthodes des responsables du projet de « Maison de
l’Histoire de France ». Leur omission rend caduque la formation annoncée d’un conseil
scientifique qui ne sera que la caution volontaire d’une entreprise marquée du sceau de la
précipitation technique et de l’intention idéologique. Ces recommandations sont rendues
publiques dès aujourd’hui, alors même que la poursuite du projet présidentiel s’accomplit
dans l’indifférence au débat qu’il suscite. Fruit d’un travail collectif d’ampleur, elles veulent
contribuer au retour de la raison et des savoirs. C’est une responsabilité morale aussi bien que
scientifique qui est ici assumée.

- Jean-Pierre Babelon, membre de l’Institut (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres),
ancien conservateur du Musée de l’Histoire de France aux Archives nationales, directeur
général honoraire du Musée et du Domaine national de Versailles.
- Isabelle Backouche, maîtresse de conférences à l’EHESS
- Vincent Duclert, professeur agrégé à l’EHESS
- Ariane James-Sarazin, conservateur en chef du patrimoine et historienne de l’art, ancienne
responsable du Musée de l’Histoire de France (Archives nationales)
- et des personnels scientifiques du ministère de la Culture tenus au devoir de réserve,

responsables du groupe de travail indépendant « Musée, Histoire & Recherche ».

Les principes

1. AMBITION : La programmation d’un musée d’histoire doit avoir pour ambition de
contribuer à l’ouverture des sociétés sur leur passé et sur le monde, en développant un
projet soucieux des dimensions nationales, locales, internationales de l’histoire
commune de ses habitants. Elle organise une approche des multiples facettes du passé
d’un pays, une connaissance des mémoires, des oublis et des amnésies, un éclairage
sur les formes de la culture historique, une compréhension de l’historiographie et de la
recherche scientifique.
2. DEBAT : La programmation d’un musée d’histoire doit s’appuyer sur un débat
intellectuel et scientifique, dans le respect des critiques et des controverses qui
contribuent à la maturation d’un projet responsable, soucieux des réalisations passées,
attentif aux expériences présentes, ambitieux pour l’avenir.
3. PUBLIC : La programmation d’un musée d’histoire doit analyser les attentes des
publics et de la société, objectivées par des médiateurs tels que les associations
d’histoire locale, ou par des chercheurs tels que les anthropologues et les sociologues.
4. TEMPORALITE : La programmation d’un musée d’histoire, comme de toute
institution culturelle et scientifique, doit être dégagée d’intentions idéologiques des
responsables de l’Etat et séparée des calendriers électoraux. Elle doit obéir à la
temporalité des échanges savants et de l’intérêt général.

Les outils

5. CONSEIL SCIENTIFIQUE : La programmation d’un musée d’histoire doit reposer
sur un conseil scientifique, nécessairement représentatif de la diversité des courants de
recherche et des manières d’écrire l’histoire. Cette instance accompagnera le musée
tout au long de son existence, dans des configurations variables selon les nécessités
scientifiques.
6. EXPERTISE : La programmation d’un musée d’histoire doit être fondée sur un travail
d’expertise érudite, méthodique et critique. Il est impératif de séparer cette dimension
d’expertise de la responsabilité de la mise en œuvre du projet afin d’en garantir
l’impartialité.
7. FORME ADMINISTRATIVE : La programmation d’un musée d’histoire exige,
comme préalable absolu et dans le respect des normes usuelles en la matière,
l’élaboration d’un projet scientifique et culturel. Celui-ci débouchera ensuite sur la
mise en place d’un établissement public de préfiguration qui devra impérativement
être dirigé par une personnalité scientifique reconnue sur le plan international.
8. COMPARAISON CRITIQUE : La programmation d’un musée d’histoire doit reposer
sur un travail de connaissance et de comparaison critique de réalisations muséales
menées tant en France et dans ses régions, qu’en Europe et dans le monde.

Les finalités

9. CONSTRUCTION DE L’HISTOIRE : La programmation d’un musée d’histoire a
pour but de présenter aux publics dans toute leur diversité les modalités de
construction de l’histoire et ses enjeux à chaque époque. Elle doit explorer la diversité
des objets, des textes et supports mobilisables par l’historien et utilisables à des fins
muséographiques.
10. QUESTIONS D’HISTOIRE : La programmation d’un musée d’histoire doit être un
lieu de transmission au public des questions d’histoire arrivées à maturation, c’est-à-
dire revisitées par la recherche historique et susceptibles d’être explorées par la
société.
11. FORME DE L’INSTITUTION : La programmation d’un musée d’histoire doit évoluer
en permanence, dans la mesure, où l’histoire et particulièrement l’histoire d’un pays,
n’est pas un objet fini. A cet égard, un tel musée doit se transformer en un observatoire
de la recherche et une vitrine renouvelée de ses acquis, renforçant d’autant sa vocation
scientifique à destination du public.
12. CHOIX D’IMPLANTATION : La programmation d’un musée d’histoire doit
analyser le lieu choisi pour son implantation, connaître son histoire, et intégrer
l’héritage qu’il représente au projet culturel et scientifique. Elle peut aussi prendre acte
de la mise en œuvre du Grand Paris, ou faire le choix d’un site en province, participant
ainsi au rééquilibrage des équipements culturels et scientifique d’ampleur nationale sur
le territoire français.

Quatrième de couverture

Telle qu’elle se dessine et malgré l’ardeur mise à séduire et à gagner les esprits à ce grand besoin identitaire qu’il
serait si urgent de satisfaire par ce moyen si « pédagogique », la création prochaine d’une « Maison de
l’Histoire de France » laisse craindre le pire pour l’histoire, et rien de bon pour la France et les Français...
Sous les oripeaux médiatiques et la facilité des fausses
évidences se profile une machine à instrumentaliser le
« désir d’histoire » des Français et à soumettre les
historiens à une vision romantique, voire romancée et
en tout cas non scientifique du parcours national.
Le projet, qui a surgi tout armé d’une belle opération
d’évitement du travail d’enquête qui est le préalable
nécessaire à tout engagement dans ces domaines infiniment sensibles, recèle en corollaire des risques certains
pour le devenir des musées, de la muséographie et des
Archives nationales.

Un groupe représentatif de professeurs, de chercheurs
et de professionnels du monde de la culture s’est réuni
pour procéder à l’évaluation critique du projet
présidentiel, en pointer les dangers et faire une contre-
proposition.

Un Musée de l’histoire de France a certainement sa
place aux Archives nationales. Mais un autre.


Maison de l’histoire de France : la liste des membres du conseil

Par Antoine Perraud, Mediapart, 12 janvier 2011

Pour lire cet article sur le site de Mediapart.

La Maison de l’histoire de France, une marotte présidentielle à l’origine, prend forme et tente de s’imposer comme une institution républicaine légitime. Première étape : la constitution de son comité d’orientation scientifique, dont l’installation est prévue jeudi 13 janvier à 10h au ministère de la Culture et de la Communication. Ce comité sera présidé par l’historien Jean-Pierre Rioux, directeur de la revue XXe Siècle, inspecteur général honoraire, collaborateur du supplément littéraire de La Croix, proche du Modem de François Bayrou, dont il anime « l’université populaire ».

Dix-sept membres devraient s’adjoindre au président : Paule René-Bazin (des Archives nationales), Élisabeth Taburet-Delaye (directrice du musée de Cluny), Laurent Olivier (conservateur du département des âges du fer au Musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye), l’ethnologue Martine Segalen, l’éditrice, journaliste et médiatrice culturelle Dominique Missika, le cinéaste lié au CNRS Éric Deroo, les historiens Benjamin Stora (Paris XIII), Pascal Ory (Paris I), Anne-Marie Thiess (spécialiste de la formation des identités nationales et régionales), Jacques Berlioz (directeur de l’École nationale des Chartes), Dominique Borne (président de l’Institut européen en sciences des religions), Jean-Christian Petitfils (spécialiste de l’époque moderne), Étienne François (excellent germaniste et ancien directeur du Centre Marc-Bloch de Berlin), Anthony Rowley (Sciences-Po), Laurent Theis (touche-à-tout médiéviste de formation, auteur d’un essai remarquable sur Dagobert dont on ne sait pourtant rien), Emmanuel de Waresquiel (qui connaît sur le bout des doigts le XIXe siècle en général et Talleyrand en particulier) et Sébastien Laurent (le benjamin, né en 1971, qui s’intéresse notamment à l’histoire du renseignement).

Il semblerait que le médiéviste et membre de l’Institut Jean Favier, ancien directeur général des Archives de France, ne fît plus partie, comme ce fut envisagé, de ce soviet (c’est ainsi que se traduit « conseil » en russe), dont la composition s’est heurtée au mauvais esprit de certains réfractaires (l’historien Nicolas Offenstadt, voire le journaliste Pierre Assouline). Cette composition, pilotée par Frédéric Mitterrand en concertation avec Jean-Pierre Rioux, a consisté à écarter habilement les candidats de l’Élysée, tel le normalien énarque et ancien sous-préfet Didier Sapaut (TF1), longtemps hiérarque de la chaîne Histoire sur laquelle règne le gourou furieusement à droite de Nicolas Sarkozy : Patrick Buisson.

La plupart des membres du conseil scientifique appartiennent, du coup, à la mouvance anti-sarkozyste. Même si des fonctionnaires zélés du pouvoir (Charles Personnaz, Hervé Lemoine, Jean-François Hebert...) surveillent de près l’affaire, les membres de gauche du conseil scientifique de la Maison de l’histoire de France, en une sorte de judo politique, entendent, pour faire valoir leur point de vue, tirer profit des faiblesses d’un projet mal né, mal mené, malmené. Le fait du prince deviendra-t-il le prince du fait ? Comme le confie à Mediapart l’un des membres du conseil scientifique, sous le couvert de l’anonymat : « L’alternance existe et je serai pleinement heureux de faire partie d’un tel projet en 2012 ! »

Tout l’art de Jean-Pierre Rioux et, en sous-main, de Frédéric Mitterrand, consiste maintenant à tenter de faire comprendre au président de la République, têtu comme un ânon, qu’il faut abandonner l’idée de loger cette Maison de l’histoire de France aux Archives nationales, « dont il eût peut-être fallu réaliser à temps qu’il s’agit d’un bastion de la CGT », ainsi que persifle en privé l’historien Pierre Nora, qui vient d’indiquer à l’Élysée une porte de sortie honorable : l’hôtel de la Marine place de... la Concorde.