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Les présidents ont un nouveau président ! Christophe Pebarthe, blog de Médiapart, 19 décembre 2010

dimanche 19 décembre 2010, par Laurence

Après une délibération que chacun imagine longue, après voir lu dans le détail les deux plateformes programmatiques, les présidents ont élu leur nouveau président, Louis Vogel, président de l’université de Paris 2 Panthéon Assas et avocat aux barreaux de Paris, Francfort, Bruxelles et New-York. La CPU a son nouvel Agamemnon, roi des rois, roi en son conseil, assisté d’Yvon Berland (président de la Méditerranée Aix Marseille II) et Anne Fraïsse (présidente de l’université Paul Valéry Montpellier III). Leur victoire est sans appel, 61 suffrages contre 40 à la liste adverse auquel il faut ajouter deux bulletins nuls. Reconnaissons que le programme que les présidents ont par là même validé était alléchant, "Unité dans la diversité". Existe-t-il plus belle façon de dire la carpe et le lapin, le beurre et l’argent du beurre, avec peut-être la gérance de la crèmerie... ?

Les observateurs du petit monde universitaire pourraient en effet s’étonner de voir figurer sur la même liste, le président de Paris 2 et la présidente de Montpellier 3, le défenseur d’une spécialisation régionale ("Une université de faible notoriété acquerra un avantage comparatif en se 
spécialisant dans un domaine précis", écrit-il dans son dernier livre, ou bien encore "Il faut aujourd’hui cesser d’agir comme si toutes les universités étaient semblables et donner à chacun la possibilité de développer ses qualités particulières. L’égalitarisme produit souvent l’inégalité" dans La lettre de l’éducation du Monde du 20 septembre 2010) et la porte-parole de "l’avenir de la pluralité des disciplines" à l’échelle du site de Montpellier. Mais les premières lignes de la plateforme coupent l’herbe sous les pieds des esprits caustiques : "Nous avons voulu respecter un équilibre à la fois géographique, disciplinaire et de sensibilités". Dans leur programme, les trois candidats se présentent comme "un trio pluriel", tout en rassurant bien vite ceux qui, mal intentionnés, seraient tentés d’y voir un rassemblement de circonstance : "Notre équipe, unie et soudée par une confiance mutuelle, rassemble une femme et deux hommes d’expérience et de convictions, qui ont déjà montré par le passé qu’ils étaient prêts à se battre pour leurs idées".

Leurs idées ? Ces présidents n’en manquent pas. Et c’est préférable, car la situation des deux à trois prochaines années qu’ils décrivent est inquiétante. "Nous allons être confrontés à un véritable effet de ciseau, avec un transfert de charges de plus en plus important sans transfert corrélatif des ressources permettant d’y faire face" (p. 2). Deux principaux risques sont pointés, "l’actualisation indispensable de la masse salariale compte tenu des mesures décidées au niveau national et de l’évolution naturelle du GVT [glissement vieillesse technicité]" et "la nécessité d’assurer le paiement des loyers des contrats de partenariat en construction à la suite de l’opération Campus ou le financement des locaux pour les établissements qui en seront à l’avenir propriétaires". Et d’évoquer un "risque d’impasse financière à court terme" (p. 2). Pourtant, "la CPU doit aider les universités et les établissements à s’inscrire pleinement dans le cadre de la loi LRU et des autres réformes qui l’accompagnent en utilisant au maximum toutes les possibilités qu’elles offrent" (p. 3). Autrement dit, elle aide au passage aux Responsabilités et Compétences Élargies et à leur application, tout en se plaignant de ses effets immédiats, la mise en déficit des universités.

Le tableau dressé par les présidents au sujet du Grand Emprunt et de l’Initiative d’Excellence n’est pas plus positif. Les présidents pointent une transformation de la carte nationale des universités qui pourraient mettre en cause l’unité de l’Université française (p. 3). Mais ils ne s’en tiennent pas là. "Les appels d’offres ont été définis en chambre, sans consultation préalable des universités, ce qui a donné un résultat complètement désincarné par rapport à la réalité du terrain et a abouti à une démarche bureaucratique, qui favorise la recherche d’effets d’aubaine et l’adoption de comportements opportunistes générateurs d’un renforcement de la dépendance des établissements envers le pouvoir central" (p. 4-5). Le risque mis en exergue dès la première page, la construction d’"un système universitaire à plusieurs vitesse, déconnecté des territoires", s’efface devant les finalités des réformes, ou, pour conserver une réserve propre à tout membre de la CPU, devant les effets pervers de celles-ci. Cette hésitation entre risque et réalité reflète bien le déséquilibre d’un trio de circonstance.

Ou alors, le discours est destiné à masquer la responsabilité des présidents qui s’en tiennent à des généralités qui n’engagent à rien, plus précisément qui ne les engagent à rien : "Nous défendons l’idée que la création de quelques pôles d’excellence ne doit pas se faire au détriment des autres universités françaises [...]". Dans le même temps, par respect de la diversité sans doute, les présidents affirment que "la structuration des établissements d’enseignement supérieur et de la recherche doit pouvoir se faire à travers toutes les formes juridiques possibles admises par le législateur, allant de la fondation à la fusion en passant par l’établissement public". Une bien étrange conception de l’unité de l’Université française ! Mais après tout, la diversité fait aussi l’unité... Bref, le nouveau bureau de la CPU soutient toutes les restructurations, tous les statuts, à partir du moment où celles-ci sont "utilisées non pas simplement pour réaliser des gains de taille purement quantitatifs, mais pour accroître la pluri-disciplinarité et la qualité, tisser des liens plus étroits avec nos partenaires que sont les Écoles, les organismes de recherche et le monde socio-économique". Non pas simplement ? Quelle pique perfide à l’encontre du gouvernement ! Et des présidents qui se précipitent, qui dans l’université unique, qui dans le grand établissement... Mais, diversité oblige, chacun aura compris qu’il s’agit du bien de l’Université, qu’il faut simplement ajouter un supplément d’âme à l’entreprise de destruction du gouvernement actuel.

Tout en pointant la direction dangereuse que fait prendre ce gouvernement au système universitaire, tout en comptant en son sein une présidente courageuse qui a quitté les négociations sur le projet d’Initiative d’Excellence (IDEX), mettant en avant la disparition programmée des Humanités, elle se retrouve signataire d’un texte proclamant que "L’excellence peut être partout". Ou nulle part, ou les deux. Qu’importe, "la réforme de l’enseignement supérieur qui est en cours ne réussira qu’à la condition de tenir compte pleinement de la diversité des situations de nos établissements" et surtout "la CPU doit faire preuve de vigilance et de fermeté par rapport au risque de désengagement de l’État", elle "exige d’être un interlocuteur permanent du Ministère". Ferme dans l’application des réformes ou ferme dans leur refus ? Il est bien difficile de le savoir. Les deux sans doute, l’unité est à ce prix.

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