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« La réforme sabote ce qui marchait », Entretien avec Christophe Charle, L’Humanité, 7 octobre 2010

vendredi 8 octobre 2010, par Jean-Pierre

Christophe Charle est professeur d’histoire à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, 
il est l’auteur des Ravages de la «  modernisation  » universitaire en Europe.

Les nouveaux masters d’enseignement sont effectifs. Quels sont les changements ?

Christophe Charle. Avant, on pouvait proposer les mêmes cours à ceux qui passaient le Capes et l’agrégation puisque les programmes étaient identiques. Les diplômes demandés pour passer ces concours sont aujourd’hui différents, les candidats ne peuvent donc tenter les deux la même année. Comme les programmes sont différenciés, nous avons été obligés de dédoubler les heures en fonction des exigences différentes des deux concours. Pour le nouveau Capes, le calendrier des épreuves est en décalage complet par rapport au calendrier universitaire (écrit dès novembre, oral en mai et préparation hachée entre les stages en responsabilité avant de connaître les résultats). C’est une réforme qui n’a pas été pensée du tout pour faciliter la vie des candidats. Face à cela, il n’est pas étonnant de voir des boîtes privées proposer des services payants et récupérer un marché que beaucoup d’universités ont abandonné parce que les contraintes étaient trop lourdes pour organiser une préparation sérieuse. C’est une réforme qui sabote délibérément ce qui marchait et profite à un tas d’intermédiaires qui s’improvisent «  coach  » ou «  préparateur  » pour des sommes rondelettes. Cette réforme des concours a été un coup d’accélérateur d’un processus de privatisation rampant.

Dans un de vos livres, vous parlez d’un modèle de «  public management  » universel qui gagne du terrain dans les universités françaises…

Christophe Charle. Effectivement, les principes des concours de l’enseignement public étaient un des derniers bastions de résistance aux logiques du recrutement sur le modèle privé. On fragilise les gens, on les angoisse et, du coup, on pousse chacun à se diriger vers des enseignements privés. On n’en est pas encore au niveau du «  modèle  » anglo-saxon en termes de coût. En France, les frais d’inscription restent encore bas comparés à ce qu’on fait payer aux étudiants de l’autre côté de la Manche, de l’Atlantique ou même du Rhin. L’augmentation des frais d’inscription aurait pu être inscrite dans la LRU car elle relève de la même logique de compétition. Si la majorité actuelle est reconduite à la future échéance présidentielle, on peut imaginer que la prochaine étape sera l’augmentation des frais d’inscription au nom de la «  compétitivité internationale  ».

Les réformes qui visent l’université sont une manière d’affaiblir des lieux stratégiques où existent encore des espaces de liberté et de pensée indépendants. Est-ce la fin de ces espaces ?

Christophe Charle. Plusieurs chercheurs ont été mis en cause l’année dernière pour leurs travaux jugés dangereux sur des questions sensibles. Les sciences humaines ne sont utilisables aux yeux des pouvoirs que pour certains buts liés à l’économie dominante et aux discours qui vont dans le sens de l’ordre établi… On voit émerger des formes d’empêchement ou de sanctions indirectes pour décrédibiliser des discours dissonants. Il existe aussi des formes d’incitation à la soumission (missions spéciales, primes…). Les projets les mieux financés sont ceux qui vont dans le sens de certaines orientations et de certaines problématiques calées sur l’agenda gouvernemental. On tolère de moins en moins la fonction critique des sciences humaines.

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