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Luc Chatel remet en cause les réseaux d’éducation prioritaire - Louise Fessard, Mediapart, 26 juin 2010

samedi 26 juin 2010, par Mathieu

Pour lire l’article sur le site de Mediapart.

En visite, ce matin, au collège Henri-Wallon dans les quartiers nord de Marseille, un des 106 établissements qui expérimenteront à la rentrée le programme Clair (Collège et lycée pour l’ambition, l’innovation, et la réussite), le ministre de l’éducation, Luc Chatel, a annoncé que ce dispositif pourrait à terme « remplacer le réseau d’éducation prioritaire ». D’abord présentée en avril 2010, à l’issue du grand raout des états généraux de la sécurité à l’école (dans la foulée desquels, le président de la République annonçait mercredi des états généraux du football !) , comme une réponse aux phénomènes de violence, cette expérimentation prend donc une tout autre dimension puisqu’elle pourrait à terme se substituer aux 254 réseaux ambitions réussite et aux 856 réseaux de réussite scolaire existants.

Des réseaux d’éducation prioritaire qui concernent tout de même 1,7 million d’élèves, soit un écolier et un collégien sur cinq. « S’il fonctionne, le programme Clair a pour vocation d’être étendu et de remplacer le réseau d’éducation prioritaire », a déclaré Luc Chatel. De quoi s’agit-il ?

L’innovation majeure du programme Clair consiste à autoriser le recrutement sur profil des enseignants afin de stabiliser les équipes pédagogiques dans les établissements les plus difficiles, où sont souvent affectés par défaut des enseignants débutants. « Il faut que quand un professeur vient dans un établissement, il y vienne parce qu’il partage son projet et qu’il s’engage sur cinq ans, a dit, vendredi 25 juin 2010, Luc Chatel. On veut des enseignants supermotivés et qui seront récompensés pour ça. » A la clef « une formation préalable avant que l’enseignant soit muté dans l’établissement » et « une rémunération et des évolutions de carrière tenant compte des choix réalisés par les enseignants », a promis le ministre de l’éducation.

Une annonce surprenante au moment où le gouvernement réduit la formation professionnelle initiale des futurs enseignants.

Ce recrutement sur profil s’effectuera au fur et à mesure des départs d’enseignants. Ainsi à la rentrée 2010, sur une équipe de 44 enseignants au collège Henri-Wallon, cinq postes vacants seront recrutés sur profil. « On fera une fiche poste et on recevra les jeunes collègues volontaires, comme on le fait déjà pour les postes de professeur référent ambition réussite (des enseignants expérimentés chargés d’épauler l’équipe en place, ndlr), précise le principal, Antoine Roux. Mais ils seront toujours recrutés par l’éducation nationale dans le cadre d’un concours. »

« Faire confiance aux équipes »

Trois autres maîtres mots dans la bouche de Luc Chatel : « autonomie », « projet » et « personnalisation ». « Sur le fond, ça correspond à un vieux programme idéologique de mettre les établissements en concurrence, de donner tous les pouvoirs au chef d’établissement et des chèques éducation aux familles », décrypte Marc Douaire de l’Observatoire des zones prioritaires (OZP).

Face à la massification de l’éducation, « il faut faire confiance aux équipes dans les établissements, a ainsi estimé Luc Chatel. Car on a une telle diversité de situations entre un lycée parisien, un collège des quartiers nord de Marseille et une école rurale de la Haute-Marne ! »

Discours reçu sept sur sept par cette enseignante de SVT qui, avec une vingtaine de collègues d’Henri-Wallon, « pas invités à la rencontre », ont accueilli le ministre avec des banderoles. « Bien sûr que le système n’est pas du tout adapté, dit-elle. Toute la journée on se tape des difficultés disciplinaires et pédagogiques à gérer des groupes, donc je suis pour l’innovation pédagogique ! Mais à côté de ces beaux discours, on supprime des postes de conseillers d’orientation ; on ratiboise la formation des enseignants, tous les accès à la culture dans les quartiers, etc. » Dans ce collège classé ambition réussite, 80% des élèves viennent de familles défavorisées et 75% sont boursiers.

« Dans le fond, choisir des enseignants volontaires est une bonne idée, estime une autre enseignante. Il y a un vrai problème avec ces collèges difficiles où sont envoyés des profs qui ne le souhaitent pas et qui font arrêt maladie sur arrêt maladie. Mais la façon de procéder est très opaque, car on ne sait pas ce que va devenir le label ambition réussite. » Certains des établissements choisis pour expérimenter le programme Clair ne sont en effet pas estampillés ambition réussite, ce qui interroge sur l’avenir de ce réseau d’éducation prioritaire, récemment remis en question par un rapport de la Cour des comptes.


Des moyens trop éparpillés

Le surcoût de l’éducation prioritaire est évalué à 1,2 milliard d’euros en 2010 sur un budget total de près de 61 milliards d’euros pour l’éducation. Mises en place en 1981 par le ministre de l’éducation Alain Savary pour compenser les inégalités territoriales, sociales et économiques, les zones d’éducations prioritaires ont depuis subi de nombreuses transformations.

La dernière en date a tenté, en 2006, de redonner du sens à une éducation prioritaire qui s’était éparpillée sur un trop grand nombre d’établissements, en créant plusieurs niveaux de priorité : les réseaux ambitions réussite, qui correspondent aux 254 collèges concentrant les plus grandes difficultés et disposant de moyens supplémentaires, et deux autres niveaux destinés à sortir progressivement du dispositif.

Malgré cette réforme, un rapport de la Cour des comptes de mai 2010 pointe de graves insuffisances. « L’éducation prioritaire ne se traduit que par une diminution moyenne de deux élèves par classe au collège (...) ; enfin, seul un élève sur quatre relevant de l’éducation prioritaire peut bénéficier de mesures d’accompagnement éducatif, alors que ce dispositif devrait être prioritairement développé dans ce secteur », note ainsi le rapport, intitulé « L’éducation nationale face à l’objectif de la réussite de tous les élèves ». En cette période de réductions de postes, le président de la troisième chambre de la Cour des comptes, Jean Picq, a d’ailleurs recommandé au ministre d’« [entrer dans une logique différenciée de l’allocation des moyens ». En clair, de mettre le paquet sur les zones défavorisées.

Car « depuis 2006, il n’y a eu aucune évaluation des ZEP, aucun discours ministériel sur le sujet, regrette Marc Douaire de l’OZP. Il faudrait montrer ce qui marche ou pas et créer une dynamique au lieu de se focaliser sur les comportements de violence. 20% des collégiens dans l’éducation prioritaire, ça veut dire que tous les enfants issus de l’immigration sont dans un dispositif dérogatoire. Cela devrait quand même interroger l’école publique ! ». Mais, à la veille des vacances scolaires, sans aucun bilan des réseaux d’éducation prioritaire, le ministre de l’éducation semble les avoir déjà remplacés par un nouveau dispositif.


PROLONGER

Zep, le grand bal des données disparues. Les enseignants d’une petite école de Clermont-Ferrand se sont amusés à analyser les statistiques sur l’éducation prioritaire fournies par le ministère sur plusieurs années. Ils constatent un appauvrissement des données concernant les efforts de l’Etat en faveur de l’éducation prioritaire. Et, en miroir, une présence accrue des indicateurs mettant en valeur les différences de performance entre les établissements d’éducation prioritaire et les autres.

L’intégralité de l’intervention de Luc Chatel et des différentes réactions au collège Henri-Wallon sur le site Provence Education.

Dans sa réponse à la question orale d’un sénateur le 24 juin, Luc Chatel confirme bien que « Clair a vocation à se substituer aux dispositifs d’éducation prioritaire s’il fait la preuve de son efficacité ».