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Lettre de Patrice BRUN, Président de l’Université Bordeaux 3 (6 mai 2010)

jeudi 13 mai 2010, par Anneflo

Lettre de Patrice BRUN, Président de l’Université Bordeaux 3 au recteur de l’Académie de Bordeaux

Pessac, jeudi 6 mai 2010

Monsieur le Recteur,

Je souhaite, par la présente lettre, vous faire part des insurmontables difficultés qui sont désormais les nôtres pour la mise en place des nouveaux masters.

Comme vous le savez, et malgré mon opposition de principe à cette réforme qui, selon moi, affaiblira à court terme la formation des enseignants, fidèle au principe républicain, j’ai convaincu l’université Bordeaux 3 de mettre en place des parcours devant permettre aux étudiants de suivre des filières en accord avec les décrets, arrêtés et circulaires publiés sur la question. Mais, en entrant dans le détail du montage des formations, des obstacles de plus en plus hauts et imprévus se dressent devant nous et nous amènent dans une impasse ou plutôt une nasse.

Il existe d’abord un défaut originel à cette réforme, qui allonge de fait la durée des études des étudiants se destinant au CAPES et à l’agrégation. C’est que cette réforme se fait à moyens humains constants alors que, selon nos calculs, ce sont entre vingt et trente enseignants et enseignants-chercheurs qu’il nous faudrait pour répondre à la nouvelle offre de formation que le ministère nous demande de mettre en place.

Certes, des moyens financiers nouveaux pourront advenir l’an prochain, avec les droits d’inscription et l’augmentation de la DGF liés à l’inscription de ces étudiants-candidats. Mais, après examen par les services financiers de l’établissement, il appert que l’excédent d’initialisation dont nous « bénéficions » au titre de l’année 2010 absorbera la totalité de l’augmentation de la DGF. Ce qui signifie que nous ne pourrons, pour assurer la formation de pas moins de quatorze CAPES et onze agrégations, que compter sur environ 50.000 euros de droits d’inscriptions supplémentaires. Mais que représente cette somme en regard des nécessités imposées par la réforme et que nous estimons à l’équivalent de 5000 h Eq./TD – soit les vingt à trente postes que j’évoquais tout à l’heure - ou bien rapportées en coût HS, à 250.000 euros ?

Mais il y a pire… En effet, après la signature de la convention entre les universités d’Aquitaine et l’IUFM sous votre haute autorité, M. le Recteur, nous avons appris il y a peu que l’IUFM d’Aquitaine avait décidé, sans concertation aucune, de revoir son offre de formation. Il s’avère que l’an passé, l’IUFM dispensait environ 45.000 heures de formation dont environ 10.000 étaient assurées, par voie de conventions, avec les universités du site dans le cadre de la préparation aux différents CAPES (PLC). Or, quelle ne fut pas notre surprise d’apprendre que l’IUFM, pour l’année 2010-2011, se préparait à présenter une offre de formation de 52.000 heures, alors que sa préparation propre aux concours pour cette année représentait un volume de 35.000 heures. Le résultat pratique, tout à fait contraire à l’esprit d’une collaboration à laquelle nous aurions pu nous attendre, est que les 7.000 heures que l’IUFM rémunérait à Bordeaux 3 au titre des formations au CAPES, disparaissent entièrement dans cette opération et nous laissent totalement nus. Nous comprenons bien la stratégie de l’UFM qui consiste à gonfler sa propre offre de formation pour maintenir ses moyens à l’intérieur de l’université Bordeaux IV. Mais cela a pour conséquence de priver les autres établissements aquitains d’une partie de ces moyens actuellement dévolus à la préparation aux concours PLC, alors même que la vocation de l’IUFM d’Aquitaine a toujours été de déployer ses ressources sur l’ensemble des concours à l’échelle académique. Nous ne pouvons que déplorer amèrement que l’intégration des IUFM dans un seul établissement universitaire ait désormais pour conséquence en Aquitaine d’aspirer les moyens attribués jusqu’à cette année aux concours PLC.

Devant ce très mauvais coup et après analyse objective de la situation, il apparaît que l’université de Bordeaux 3 n’a plus que trois solutions.

1) Obtenir du ministère une aide substantielle, que nous avons chiffrée à 600.000 euros par an pour assurer les formations demandées par la nouvelle politique de formation des maîtres (12.000 heures x 50 €) ou bien un recrutement massif d’enseignants-chercheurs – solution à laquelle nous ne croyons pas beaucoup.

2) Réduire de façon drastique son offre de formation sur tous les masters recherche. Nous estimons cette réduction à 60% de l’offre actuelle. Chacun conviendra qu’il s’agirait là d’une politique qui amènerait à très court terme la disparition de la recherche dans notre université.

3) Supprimer la quasi-totalité des formations au CAPES, en les réduisant à des filières où les étudiants sont relativement nombreux : Lettres Modernes, Histoire-Géographie, Anglais, Espagnol. Et faire disparaître toutes les autres préparations. Ce qui à terme ne ferait rien moins que menacer l’existence de ces filières, pour lesquelles l’enseignement est, dans une université comme la nôtre, un débouché essentiel. Et si une université comme Bordeaux 3 n’est plus capable de former de futurs enseignants aux CAPES de lettres classiques, de philosophie, d’allemand, de russe, d’italien, de portugais, d’arts plastiques, de musique, de basque… qui le fera ?

En d’autres termes, Monsieur le recteur, et sans vouloir dramatiser outre mesure, notre situation devient de jour en jour plus désespérée, dans la mesure où nous avons l’impression d’être dans une nasse, obligés de nous amputer nous mêmes d’une part fondatrice de notre mission, la formation des maîtres ou (et ?) la recherche les deux étant, dans une université comme la nôtre, indissolublement liées et il s’agit là d’une issue à laquelle, vous le comprendrez aisément, je ne peux me résoudre.

Peut-être vous demandez-vous pourquoi une telle situation existe à Bordeaux 3 alors qu’elle ne semble pas apparaître ailleurs (encore qu’à Rennes 2, la situation ne soit pas meilleure). C’est que notre université, dans le cadre de cette réforme, possède deux lourds handicaps. Le premier est que notre université n’est pas « intégratrice » de l’IUFM ; le second est que nous préparons à quatorze CAPES, ce qui représente un alourdissement considérable par rapport à Bordeaux 1, par exemple, qui ne prépare qu’à trois CAPES.

Cette lettre, Monsieur le Recteur, a un but : vous tenir au courant des problèmes que nous rencontrons et qui vont amener, à très court terme, d’invraisemblables conséquences, quand on sait que le but affiché de la réforme était de renforcer la formation disciplinaire et professionnelle des futurs enseignants. Sans moyens suffisants, l’université Bordeaux 3 se trouve désormais dans l’incapacité d’assurer la mission qui devrait lui revenir : diplômer des étudiants tout en les préparant à un concours et au métier d’enseignant. Mais elle est aussi un appel pour que nos formations, auxquelles je vous sais attaché, soient sauvées. Je ne sais pas quelle est votre marge personnelle de manœuvre, mais vous devez comprendre que l’université Bordeaux 3 ne pourra rester les bras croisés en attendant sa mort programmée. C’est la raison pour laquelle j’attends de votre part une intervention, soit en direction du ministère, soit en direction de l’IUFM.

Je vous prie de recevoir, Monsieur le Recteur, l’assurance de mes sentiments les plus respectueux.

Patrice BRUN,

Président de l’Université Bordeaux 3