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Discours de V. Pécresse sur le grand emprunt (1er avril 2010)

dimanche 4 avril 2010, par Mathieu

Pour lire le discours sur le site du MESR.

Décidément, 2010 ne sera pas une année comme les autres pour les universités françaises.

C’était déjà l’année-symbole du passage concret à l’autonomie, avec plus de la moitié des universités ayant choisi d’exercer les responsabilités et compétences élargies, et une envie d’autonomie qui ne se dément pas, avec 25 universités qui ont entamé la procédure pour 2011.

Mais 2010 restera désormais aussi comme l’année du Grand emprunt, avec un plan d’investissement d’ampleur inédite qui marque un nouvel âge d’or pour l’université et la recherche françaises. Quelle plus belle perspective peut-on offrir aux étudiants qui, aujourd’hui, s’interrogent sur leur vocation de chercheur ?

Bien sûr, ces deux événements ne sont pas sans rapport l’un avec l’autre. Car si le Président de la République a fait le choix d’investir une large partie de l’emprunt national dans l’enseignement supérieur et la recherche, comme le préconisait la commission Juppé-Rocard, c’est bien sûr par conscience du rôle majeur que ceux-ci sont appelés à jouer dans notre avenir. Mais c’est aussi le signe de la confiance que place notre nation dans nos universités, nos établissements et nos organismes, et dans leur capacité à tenir ce rôle éminent.

Cette confiance, elle se fonde tout d’abord sur les atouts extraordinaires de notre pays.

Nous avons en effet le privilège d’être depuis toujours une grande nation de l’enseignement et du savoir. Ce privilège nous crée aussi des devoirs : celui de faire vivre cette tradition dans un monde où la concurrence des systèmes universitaires se fait chaque jour plus rude. Forts des atouts exceptionnels qui sont les nôtres, cette concurrence, nous n’avons pas à la craindre, mais nous avons le devoir de la prendre en compte.

Et c’est ce que nous faisons ensemble depuis près de 3 ans : à tous ceux qui en doutaient et présentaient les réformes comme impossibles, nous démontrons que notre université et notre enseignement supérieur ont la capacité de se transformer pour tirer le meilleur parti de leurs atouts, et continuer à briller à l’échelle du monde.

Cette capacité de transformation, c’est elle aussi qui fonde la confiance que la Nation s’apprête à manifester une nouvelle fois à ses enseignants et à ses chercheurs au travers du Grand emprunt.

Car depuis 2006, d’abord avec le pacte pour la recherche, puis avec la loi sur l’autonomie des universités et la réorganisation de la recherche, des réformes essentielles ont été engagées. Toutes vont dans le même sens : consacrer et affirmer l’autonomie des différents acteurs de notre système tout en inventant de nouvelles formes de coopération et de rapprochement entre ses différentes composantes.

La force de l’université française, c’est sa diversité : chacune de nos universités comme chacune de nos grandes écoles est le fruit d’une histoire singulière. La distinction de ces deux types d’établissements elle-même nous est propre. Tous ces éléments font partie de notre patrimoine historique : nous ne pouvons pas les négliger, ni ignorer tout ce qu’ils ont pu nous apporter et nous apportent encore.

Mais chacun en est conscient : à trop séparer les établissements, même proches, à trop multiplier les formes institutionnelles et les modalités de formation, notre système est devenu difficilement compréhensible, pour les chercheurs, les enseignants et les étudiants étrangers, bien sûr, mais aussi pour nos compatriotes, qui peinent parfois à s’y retrouver.

De plus, la diversité a trop souvent nourri le cloisonnement : cloisonnement entre les établissements eux-mêmes, qui, malgré leur proximité, n’entretenaient parfois que des relations distantes et formelles ; cloisonnement des voies de formation, du fait des barrières étanches dressées entre les universités et les grandes écoles ; mais aussi cloisonnement de nos structures de recherche, parfois redondantes ou mal articulées entre elles.

Depuis 3 ans, nous travaillons ensemble pour lever ces barrières artificielles : PRES, RTRA, Instituts Carnot, Fondations, Alliances : toutes ces structures nouvelles ont permis à nos universités, à nos grandes écoles et à nos organismes de travailler ensemble, d’inventer ou d’approfondir de nouvelles formes de coopération, entre eux, bien sûr, mais également avec la recherche privée et le monde économique.

Et depuis 3 ans, cela a permis aux différents acteurs de se rencontrer et de se découvrir, de mesurer leurs forces et leurs complémentarités respectives, pour construire ensemble des projets communs.

Bien entendu, tous n’ont pas eu la même ampleur ou les mêmes ambitions. Mais une chose est certaine : ces différentes formes de coopération, entre universités d’un même territoire, entre universités et grandes écoles, entre universités et organismes de recherche, ont été autant de rencontres qui ont permis de lutter efficacement contre toutes les tentations de repli sur soi.

Et c’est ainsi, par la conjonction des forces, dans le respect de l’identité de chacun, qu’ensemble, nous avons commencé à exprimer à nouveau toute la richesse que portait en elle la diversité de notre enseignement supérieur.

Tout cela, bien sûr, s’est fait dans un contexte doublement inédit : sur le plan de l’organisation, tout d’abord, avec la consécration de l’autonomie de nos universités, ainsi replacées au centre de notre système d’enseignement supérieur et de recherche ; sur le plan budgétaire, ensuite, puisque l’autonomie s’est accompagnée d’une augmentation historique des moyens dont vos établissements bénéficient, dans le cadre de l’allocation des moyens, du contrat ou des opérations exceptionnelles, comme l’opération Campus.

Ce triptyque autonomie-coopération-moyens, c’est pour ainsi dire la marque de notre effort commun pour réinventer l’excellence universitaire à la française. Il se retrouve dans chacune des mutations opérées depuis 3 ans et aujourd’hui encore, il préside au Grand emprunt, qui vous concerne tous.

Le Grand emprunt vous concerne tous, car ce sont les PRES ou les établissements que vous présidez qui porteront les candidatures aux différents appels d’offre. C’est le moment pour vous de tirer parti des marges de manœuvre que vous offre l’autonomie, en définissant votre propre stratégie, votre forme d’excellence en matière de formation et de recherche.

Je pense à vos intiatives en matière d’innovation pédagogique, qui s’appuieront naturellement sur les nouveaux outils numériques, que le Grand emprunt permettra de développer. Je pense à vos ambitions en matière de recherche, qui trouveront un écho naturel dans les appels d’offre consacrés aux équipements et aux laboratoires d’excellence ou bien encore à la santé et aux biotechnologies.

Je pense aussi aux liens avec la recherche privée et le monde de l’entreprise, qui se tisseront et se développeront naturellement au travers des instituts de recherche technologique, des sociétés d’accélération du transfert de technologies, et dela pérennisation des instituts Carnot. Je pense aux relations que certains d’entre vous entretienne avec le monde hospitalier, qui sont au cœur du continuum recherche-formation-soins qui caractérisera les instituts hospitalo-universitaires.

Vous le voyez, vos établissements seront au cœur du Grand emprunt et chacun d’entre vous y trouvera le soutien nécessaire pour construire sur le long terme sa stratégie propre, une stratégie d’excellence qui tirera partie de vos forces et de celles de vos territoires.

En un mot, le Grand emprunt sera un formidable accélérateur au service de la dynamique de l’autonomie, de ses potentialités et de celles de votre établissement.

C’est pourquoi, puisque l’autonomie est appelée à se généraliser dans les mois qui viennent, je crois nécessaire de lancer rapidement les premiers appels à projet du Grand emprunt : je pense en particulier aux équipements d’excellence, de 1 à 20 millions d’euros environ, qui seront au service d’un projet scientifique commun ; ces équipements que vos laboratoires ont tant de difficultés à financer et qui leur manquent cruellement. Je tiens à ce que ces équipements soient mis à la disposition de plus grand nombre pour être utilisés de manière optimale.

Nous lancerons ensuite la dynamique des laboratoires d’excellence, des instituts de recherche technologique, des instituts hospitalo-universitaires et des sociétés d’accélération du transfert de technologies.

Chacun de ces appels d’offre nous reconduit en effet à ce qui fait le fondement même du Grand emprunt : la volonté d’investir massivement dans la durée dans des projets scientifiques et technologiques innovants, qui seront à terme source de croissance et de progrès pour l’ensemble de notre économie.

Car au cœur du Grand emprunt, il y a d’abord les scientifiques eux-mêmes et leurs projets de recherche les plus novateurs, qu’il s’agisse de recherche fondamentale ou de recherche finalisée. C’est à ces travaux que nous allons apporter un soutien exceptionnel, en permettant aux équipes les plus prometteuses de bénéficier enfin des équipements lourds qu’elles attendent, parfois depuis des années, ou en donnant les moyens à un projet de recherche particulièrement ambitieux de se développer et de s’inscrire ainsi dans une vraie stratégie dans la longue durée.

En un mot, avec le Grand emprunt, nous allons donner à chaque établissement les moyens d’exprimer pleinement son excellence, en matière de formation commune de recherche, en s’appuyant sur ses forces actuelles et futures et sur celles de son territoire.

La dynamique de l’autonomie prend en effet tout sens dans la coopération : c’est la singularité de la stratégie de chaque établissement qui rend leur association féconde, parce qu’elle met en évidence leur complémentarité.

C’est cette complémentarité qui s’exprimera avec une force particulière au sein des campus d’excellence. La volonté du Président de la République, vous le savez, est de soutenir l’excellence partout où elle se trouve tout en permettant l’émergence d’ensembles universitaires visibles à l’échelle mondiale.

Ces campus, il reviendra à ceux d’entre vous qui en auront le potentiel scientifique et qui le souhaitent d’en dessiner les contours, en fonction, là aussi, des forces et des atouts de vos territoires, de vos établissements et des liens qu’ils auront noués avec d’autres.

Car loin d’être définis arbitrairement en fonction d’un modèle unique, ces campus d’excellence seront à la mesure des projets que vous porterez. Ce sont vos ambitions en matière de formation, de recherche, de valorisation et d’ouverture sur le monde économique qui donneront chair à cet objectif. C’est là toute la logique de l’appel à projet.

Et ces ambitions seront par nature collectives. Car, nul ne peut fixer a priori la taille ou le profil de ces campus d’excellence. Il suffit d’observer ce qui se passe dans d’autres pays que le nôtre pour le constater : il n’y a pas de modèle unique et absolu en la matière.

Mais une chose est certaine : un campus d’excellence devra sans doute rassembler un large éventail de formations, allant jusqu’au doctorat et arrimé à une recherche de très haut niveau. Ainsi ne peut-on imaginer un campus d’excellence sans une université en son cœur.

Au travers de ces campus d’excellence, il ne s’agit pas d’isoler telle ou telle composante de notre système au motif qu’elle brille dans telle discipline ou dans telle spécialité. Il s’agit au contraire de construire des projets qui s’appuient sur ces points d’excellence pour en déployer tout le potentiel et en faire une force d’entraînement pour tout un ensemble.

Ainsi, un campus d’excellence où les nanotechnologies et les biotechnologies tiendraient une place particulière pourrait-il difficilement se concevoir sans des sciences humaines et sociales fortes, pour analyser et définir les conditions d’acceptation sociales de ces innovations, tant sur le plan du droit que sur celui de l’éthique.

De même, il n’y a pas d’excellence en sciences du vivant sans des pôles de recherche puissants en physique et en chimie, pas d’excellence en matière de finance qui ne s’appuie sur des mathématiques de très haut niveau.

Car par nature, l’excellence véritable naît du croisement et de la conjonction, parfois imprévisible, des disciplines de tous horizons. C’est en effet du décloisonnement, de la rencontre des savoirs, des intelligences et des manières de penser que naît l’innovation.

C’est là toute la logique de l’idée même de « campus », lieu de brassage et de rencontre des étudiants, des enseignants, des chercheurs, mais aussi des entreprises, pour permettre à l’innovation de circuler et de se diffuser dans l’ensemble de la société grâce à la valorisation et au transfert de technologies.

En un mot, un campus d’excellence est le lieu de la réunion de tous les talents, celui-là même qui attire étudiants, enseignants et chercheurs venus du monde entier. Car c’est ainsi que l’on rend un ensemble universitaire visible à l’échelle internationale, lui permettant ainsi d’entraîner et d’irriguer notre système d’enseignement supérieur et de recherche tout entier.

C’est à ces ambitions collectives d’une ampleur inédite que répondront des moyens tout aussi inédits : 10,7 milliards d’euros pour les appels à projets équipements d’excellence, laboratoires d’excellence, IHU, IRT, SATT et biotech-santé, et achèvement de l’Opération Campus, 2,5 milliards d’euros pour l’appel d’offre numérique, 2,5 milliards pour les appels d’offres énergies décarbonées et véhicules du futur, et 7,7 milliards d’euros pour les campus d’excellence.

Bien entendu, de tels projets demandent du temps pour être mûris et formulés. Chacun doit pouvoir y trouver sa place. C’est pourquoi, dès les semaines qui viennent, avec chacun des acteurs de notre système, j’engagerai le dialogue sur les grands principes qui structureront l’ensemble de ces appels d’offre. Je tenais à vous en assurer aujourd’hui, la CPU sera bien évidemment associée à ce dialogue.

A mes yeux, nous devons particulièrement réfléchir ensemble aux contours des campus d’excellence, à leurs éléments constitutifs, à leur niveau d’intégration, tant sur la formation et la recherche que sur la valorisation.

Bien sûr, d’autres questions comme celle des modes appropriés de gouvernance ou de l’articulation entre campus d’excellence et PRES devront aussi être posées, mais elles devront l’être à partir des projets mêmes qui présideront à la création de ces campus. La gouvernance de ces campus n’est pas une fin en soi, mais un moyen au service d’une ambition collective, qui doit se construire dans la durée.

Car ma conviction profonde, c’est qu’on ne peut a priori donner aucune réponse univoque à ces questions. Chaque projet de campus d’excellence portera sa propre logique et son organisation, qui s’affirmera et s’affinera tout au long de sa construction. Je le dis ce matin très clairement, il n’y aura pas de kit organisationnel à prendre ou à laisser.

C’est pourquoi je parlais il y a quelques instants de réinventer un modèle d’excellence à la française : il ne s’agit pas d’importer un modèle étranger ou d’imposer un modèle unique, mais bien de réunir les forces exceptionnelles d’ores et déjà présentes dans notre système d’enseignement supérieur et de recherche, en leur donnant une cohérence qu’elles n’ont pas toujours aujourd’hui.

La formulation de ces projets demandera donc un temps de maturation, mais elle se fera d’autant plus naturellement que les différents appels d’offres sont au fond complémentaires.

Car c’est autour des laboratoires, des équipements et des projets de recherche que se structureront naturellement les projets les plus complexes. Rien ne se fera en dehors des établissements ou regroupements d’établissements, tutelles des laboratoires, qui devront être porteurs des projets. Vous serez donc au cœur du dispositif.

Par nature, les laboratoires d’excellence doivent être des éléments à part entière d’une stratégie d’établissement et il revient à celui-ci de les porter, et d’en faire, chaque fois que c’est possible, un point d’appui pour un projet de campus d’excellence. Et en retour, ces laboratoires, s’ils s’inscrivent dans un campus d’excellence, devront naturellement bénéficier d’un soutien renforcé dans le cadre de ce campus, afin de reconnaître leur engagement dans une démarche collective de recherche et de formation.

J’attacherai une attention particulière à cette question : vous le savez, les dotations versées au titre des appels d’offre « campus » et « laboratoires d’excellence » ne pourront pas se cumuler. C’est pourquoi, dès lors qu’elles sont possibles, nous privilégierons les logiques de coopération les plus ambitieuses.

De la même manière, si chacun de ces appels à projet se conçoit de manière parfaitement autonome, ils n’en sont pas moins complémentaires. Un campus d’excellence doit évidemment comprendre à la fois des laboratoires d’excellence, mais aussi une société de valorisation et le potentiel d’un institut de recherche technologique ou d’un institut hospitalo-universitaire.

Le Grand emprunt forme donc un tout complet et cohérent. Il permettra d’investir dans les projets et les équipes les plus remarquables partout où ils se trouvent et, ce faisant, il favorisera l’émergence et la maturation de projets collectifs plus vastes et plus ambitieux encore.

Naturellement, le calendrier d’élaboration et de sélection des projets tiendra compte de cette logique d’emboîtement et de maturation progressive des différents appels d’offre.

Cette progressivité est la clef de la réussite du Grand emprunt, qui est en lui-même un projet collectif : au travers de ses différentes composantes, il va en effet irriguer l’ensemble de notre système d’enseignement supérieur et de recherche.

Qu’il s’agisse des équipements, des laboratoires, des différents instituts ou campus d’excellence, tous vos établissements, Mesdames et Messieurs les Présidents, seront donc concernés. Dans ce soutien exceptionnel, vous trouverez, vous l’aurez compris, un point d’appui pour faire progresser et affiner encore un peu plus la stratégie propre à votre université.

Car depuis 3 ans, vous avez joué un rôle majeur dans la transformation de notre système universitaire et je sais que je peux compter sur vous, Mesdames et Messieurs, pour vous saisir de ce grand emprunt comme vous vous êtes saisis de l’autonomie : pour le plus grand profit de l’université française.