Accueil > Revue de presse > « Remaniement ou pas, le président est déterminé à ne pas entendre les (...)

« Remaniement ou pas, le président est déterminé à ne pas entendre les manifestants » - Louise fessard, Médiapart, 23 mars 2010

mercredi 24 mars 2010, par Laurence

Alors que la grève d’aujourd’hui a fortement mobilisé les enseignants (50% de grévistes dans le primaire selon le Snuipp, 30% selon le ministère), les principaux syndicats espèrent un changement de cap dans les réformes de l’éducation. « C’est la troisième grève en deux mois avec des taux de grévistes de 40% à 50%, dit Daniel Robin, co-secrétaire général du Snes avec une menace à peine voilée. Si le gouvernement continue à jouer avec le feu, les collègues pourraient être tentés par la fuite en avant et vouloir peser sur les épreuves du baccalauréat comme en 2003. »

Dans le collimateur : le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite qui doit encore entraîner la suppression à la rentrée 2010 de 16.000 postes. « Le président de la République a annoncé une baisse du rythme des réformes en 2011, ce serait se voiler la face de ne pas reconnaître les conséquences de ce principe de non-remplacement », estime Gilles Moindrot, secrétaire général du Snuipp.

La nomination au ministère du budget de François Baroin, le député et maire UMP de Troyes qui en novembre 2009 avait interrogé le gouvernement à propos des « difficultés » créées par « la diminution du nombre de postes (d’EPS) dans l’enseignement public », est-elle un signe d’inflexion ? Daniel Robin en doute. « Eric Woerth (ministre du budget sortant) nous a redit jeudi dernier que la politique du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux ne serait pas modifiée, raconte-t-il. Je suppose que M. Baroin a accepté le poste sur ces bases. Ça signifie qu’à la rentrée 2011 il y aura encore quelque 16.000 suppressions de postes alors que les effectifs d’élèves vont remonter ! »

La rentrée 2011 inquiète également le député UMP Yves Censi, rapporteur spécial sur le budget de l’enseignement scolaire pour la commission des finances de l’Assemblée nationale. « La question des suppressions de poste a été eélativement indolore cette année du fait de la réforme de la masterisation (qui a permis de supprimer 18.000 postes de fonctionnaires stagiaires) mais la question se pose pour la rentrée 2011 », dit-il. Néanmoins le député n’en démord pas. « Pour le moment rien ne permet de dire que les éventuels dysfonctionnements sont liés au non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux, affirme-t-il. Le taux d’encadrement par élève n’a pas bougé depuis plusieurs années. »

« Si on se contente de faire du rabotage, ça ne passera pas à la rentrée prochaine »

Une affirmation qu’il compte vérifier sur le terrain puisqu’il prépare pour la loi de règlement de juin 2010 une évaluation des objectifs fixés par le budget 2009. « Je vais me déplacer dans les rectorats pour voir la réalité des choses, savoir quels sont les effets, explique-t-il. Si pour des raisons d’économie budgétaire, on se permettait de diminuer les performances de l’Etat, je ne serai pas d’accord et je le dirai. » Il précise : « On ne peut pas avoir une approche uniquement comptable, c’est stupide. On peut avoir globalement une règle de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux mais il ne faut pas l’appliquer partout et n’importe comment. Par exemple on ne peut pas supprimer des moyens dans les établissements Ambitions réussite, ou encore dans les lycées car le chef de l’Etat avait dit que la réforme des lycées se ferait à moyen constant. »

Mais justement certains collèges Ambition réussite et certains lycées perdront des postes à la rentrée 2010. « On trouvera toujours des lycées où les moyens ont pu baisser mais on ne peut pas avancer des exemples sans savoir s’ils sont significatifs ou pas, rétorque Yves Censi. Je dis seulement que si on reste sur les méthodes pédagogiques et le fonctionnement actuel, et qu’on se contente de faire du rabotage, ça ne passera pas à la rentrée prochaine. »

Des exemples significatifs, les enseignants et parents, très présents dans la manifestation marseillaise de ce matin, en avaient plein les poches. Joëlle Raous, déléguée FCPE du collège de L’Estaque, un établissement ZEP très mobilisé, désespère de se faire entendre d’un gouvernement « autiste » selon elle. « On espère que le gouvernement va comprendre que les familles ne sont plus dupes des réformes mises en place », explique-t-elle. Depuis une semaine, un groupe de parents et d’enseignants se relaient pour dormir dans des tentes dressées devant le collège. « Ça fait cinq ans que les moyens baissent de façon inisidieuse, dit Joëlle Raous. Là, ce n’est plus possible ; on se rend compte que nos enfants ont de moins en moins d’heures de cours, moins accès à des options, au soutien, et les élèves qui sont un peu limite à l’entrée en sixième sortent rapidement du système scolaire. »

« Le président de la République est déterminé à ne pas entendre les manifestants »

Quant à Françoise Julia, professeur de lettres-histoire dans un lycée professionnel marseillais en grève depuis une semaine, elle a bien « entendu que Nicolas Sarkozy voulait faire une pause dans les réformes ». « Mais nous on est en plein dedans, avec les réformes du lycée professionnel et du lycée général, explique-t-elle. Et cette réforme n’est pas applicable en l’état. En ZEP comme on a des classes à effectif réduit (24 élèves), l’éducation nationale considère que nous n’avons pas besoin d’heures de dédoublement (pour faire des demi-groupes). Donc on va être moins bien lotis que les lycées normaux. Mais accepteront-ils de reconnaître que la réforme est inapplicable ? »

Enseignante remplaçante en maternelle à Marseille, Brigitte Martin ne croit plus, elle non plus, à un changement de cap du gouvernement. « Là, je viens d’arriver dans une classe après six semaines d’absence non remplacée, raconte-t-elle. Ça veut dire que, pendant six semaines, les collègues ont eu à assurer face à des classes de 37 enfants ! Alors remaniement ou pas, de toute façon le président de la République l’a dit il y a deux ans, il est déterminé à ne pas entendre les manifestants. »