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Formation des enseignants : les « libertés et responsabilités des universités » leur imposent de dire « non », 26 janvier 2010

mardi 26 janvier 2010, par Laurence

L’an dernier la mobilisation de l’ensemble de la communauté universitaire a fait provisoirement échec à l’entreprise de destruction de l’éducation nationale baptisée « mastérisation de la formation des enseignants ». Ce projet a été à l’origine du plus important mouvement de protestation des universitaires depuis plus de 40 ans. Il a eu pour résultat le report de la réforme que toutes les universités (à l’exception de deux d’entre elles), à tous les niveaux (UFR, conseils, présidence) ont refusé de mettre en place. Le gouvernement a dû alors renvoyer d’un an son application ; les aspirants professeurs sont actuellement en train de préparer des concours de l’enseignement inchangés.

Le gouvernement a organisé à partir du mois de juin une « concertation » a minima qui marquait l’échec de sa tentative de passage en force. La machine à détruire de l’emploi public – le véritable objectif de cette réforme – a buté sur les libertés universitaires, et sur le sursaut d’une communauté sommée d’organiser elle-même l’abandon de l’une de ses missions fondamentales : la formation à la fois disciplinaire et pratique des futures générations de professeurs des écoles, des lycées, des collèges et des établissements d’enseignement supérieur.

Où en est-on aujourd’hui ? En juillet 2009, en pleine phase de « concertation », le gouvernement a publié des décrets qui cadraient le processus de mastérisation dans la version la plus redoutée, y compris par les organisations les moins hostiles à son principe. Depuis cette date, le gouvernement a distillé les mesures d’application de sa réforme durant l’été et l’automne, méprisé le travail et les recommandations des commissions qu’il avait lui-même créées et continué d’ignorer les protestations argumentées de tous les acteurs concernés. Durant le seul mois de décembre 2009, 27 conseils d’administration d’universités, la Conférence des Présidents d’Universités (CPU), plusieurs jurys de CAPES et d’agrégation (en langues et en histoire notamment), l’ensemble des syndicats et des associations ainsi que le CNESER (principal organisme paritaire de l’enseignement supérieur) ont rejeté les modalités de la mastérisation retenues par le gouvernement. Car à mesure que circulaires et autres arrêtés sont publiés, la réforme coproduite par Luc Chatel et Valérie Pécresse confirme sa dimension fondamentalement nocive et apparaît, plus encore que nous ne le craignions, comme l’organisation d’une triple destruction – de la formation des enseignants et des masters universitaires et au-delà, en sapant les fondements de l’éducation nationale, d’un pilier de la république.

Dans les faits, loin des mensonges ministériels, la réforme diminue drastiquement le temps de formation des futurs enseignants, elle atteint ainsi la qualité de la formation fondamentale (exigences des concours largement revues à la baisse) et pratique (disparition du stage annuel en alternance pour les reçus aux concours). Mais elle a encore trois autres types d’effets induits redoutables. Elle menace les filières universitaires dont le débouché le plus visible est l’enseignement, en prévoyant la disparition de fait de la recherche dans les masters. Elle déstabilise et désorganise les équipes pédagogiques et les établissements scolaires sommés d’accueillir pour des périodes très courtes des étudiants encadrés dans des conditions pédagogiques et juridiques acrobatiques. Elle organise un paysage de l’enseignement primaire et secondaire où les professeurs recrutés par concours et les fonctionnaires pourraient à terme n’être plus qu’une minorité au milieu d’enseignants précarisés.

Cette réforme est néfaste. Elle devra être abandonnée tôt ou tard. En attendant, les ministres font un mauvais calcul en méconnaissant l’esprit de responsabilité de la communauté universitaire et sa conscience de ce qui se joue sur ce dossier. Les établissements d’enseignement supérieur qui ont, selon l’article L.123-8 du Code de l’Education, « la responsabilité de la formation initiale et continue de tous les maîtres de l’éducation nationale » ont pris et continueront de prendre leurs responsabilités : les décrets contestés, les circulaires et arrêtés qui les mettent en musique ne doivent pas éloigner l’université de la mission fondamentale qui lui incombe au sein du service public de l’éducation nationale.

La loi d’août 2007 s’intitule « libertés et responsabilités des universités ». Agissons en universitaires libres et responsables : rien dans les textes publiés ne contraint la moindre université à modifier son offre de formation, aucune de leurs dispositions ne peut obliger les universités à cogérer la destruction de la formation des enseignants voulue par le gouvernement et par lui seul. C’est aussi cela l’université « autonome ».

Etienne Boisserie Président de Sauvons l’Université