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L’exercice des "Libertés et responsabilités des universités" : le "Non" de combat à la mastérisation (Newsletter n° 23 de SLU, 19 janvier 2010)

mercredi 20 janvier 2010

L’an dernier, la mobilisation de l’ensemble de la communauté universitaire a permis le report de la « mastérisation de la formation des enseignants ». Depuis, le gouvernement a distillé les mesures d’application de sa réforme, méprisé le travail et les recommandations des commissions qu’il avait lui-même créées, et continué d’ignorer les protestations argumentées de tous les acteurs concernés. À mesure que circulaires et autres arrêtés sont publiés, la réforme confirme sa dimension fondamentalement nocive. Aujourd’hui, nous sommes placés individuellement et collectivement devant nos responsabilités.

Nous accusons la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Valérie Pécresse, de détruire les cursus universitaires, des pans entiers de la recherche et de la formation des enseignants.

Nous accusons le ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, de détruire le concours de recrutement, le statut de fonctionnaire d’État et d’encourager le développement des établissements privés d’éducation.

Nous accusons le Premier ministre, François Fillon, de réduire les ambitions du gouvernement pour l’Éducation Nationale à la seule réalisation de gains de productivité, au nom de la Révision Générale des Politiques Publiques.

Nous accusons le président de la République, Nicolas Sarkozy, de fouler aux pieds les règles implicites du paritarisme, de mépriser les critiques argumentées de la réforme des enseignants qui émanent unanimement de toutes les organisations concernées, syndicats, associations, sociétés savantes, et de tendre ainsi à constitutionaliser la funeste formule dont il est l’auteur « J’écoute, mais je ne tiens pas compte ».

Aujourd’hui, il est plus que temps que nous prenions, individuellement et collectivement, la mesure de ce qui se joue : les preuves de la volonté de destruction sont accablantes. Or, nous pouvons « agir en fonctionnaires de l’État, de façon éthique et responsable », car nous avons le choix : un « non » de combat à la mastérisation.


Les preuves

- Les décrets sur le recrutement et la formation des enseignants (28 juillet 2009) ouvrent la porte à l’application de la réforme qui vise, à long terme la suppression des concours et, à court terme, le recrutement d’enseignants non fonctionnaires, plus soumis à la hiérarchie et travaillant dans des conditions dégradées mais dont on pourra toujours dire qu’ils ont en poche un « master enseignement ».

- Le 13 novembre 2009, un document présenté aux organisations syndicales, qui n’ont jamais été conviées à de véritables négociations, annonçait :

1) Que l’univers de référence de la préparation des concours sera les programmes du secondaire, ce qui enclencherait la disparition de filières entières de l’enseignement supérieur, surtout en sciences humaines et sociales, et un bouleversement complet de la formation des enseignants et de la définition des contenus universitaires (masters recherche vidés de leurs effectifs, cursus de licence ramenés à un rôle de « mise à niveau » des bacheliers, fin de l’articulation entre enseignement et recherche).

2) Que le calendrier des épreuves (écrits concours PE en novembre ; écrits concours CAPES en décembre) oblige soit à consacrer le M1 aux concours, ce que le texte demande de ne pas faire par ailleurs, soit à faire deux mois de cours seulement, soit à préparer les étudiants aux concours durant l’été, à l’université ou ailleurs.

- Le 21 décembre 2009, une circulaire précisant les grandes lignes des masters préparant aux métiers de l’enseignement, rejetée à la quasi unanimité par le CNESER, énonçait une série de principes contradictoires qui aboutissent à un master « rien en un » ou « un petit peu de tout pour faire semblant ». Destructrice pour les disciplines comme pour la formation professionnelle, elle a été entérinée le 23 décembre 2009.

- La formation en alternance lors de l’année de stage, jusqu’ici assurée par les IUFM qui ne sont plus cités dans les textes, dont on avait annoncé qu’elle serait désormais remplacée par un 2/3 temps dans les classes 1/3 temps pour la formation, laisse désormais la place à un dispositif clair : dès septembre, les lauréats des concours 2010 auront 18h de cours dès leur première année (textes des derniers jours diffusés dans certains rectorats).

- Pour les étudiants en master, la formation pédagogique se résumera à 108h de stage au maximum. Il s’agit là de masquer la nécessité de combler le manque d’enseignants résultant de la suppression de 73 300 postes dans l’Éducation Nationale entre 2004 et 2008. Ces remplacements seront plus importants, proportionnellement aux besoins, dans l’enseignement public que privé.

- Le 28 décembre 2009, les épreuves des concours sont enfin redéfinies dans un arrêté : tous les concours sont formatés au rabais, par modification des programmes et diminution du nombre des épreuves (et par là même des domaines de savoir requis). Mais ils intègrent tous une nouvelle épreuve, « agir en fonctionnaire de l’Etat de façon éthique et responsable » – montrant ainsi qu’ils serviront à sélectionner les agents les plus obéissants, et non les plus compétents.

Agissons en « fonctionnaires de l’État de façon éthique et responsable » ! (et pour cela nous n’avons pas besoin de passer une épreuve...)

L’article L. 123-8 du Code de l’Education dispose que « Les établissements d’enseignement supérieur ont la responsabilité de la formation initiale et continue de tous les maîtres de l’éducation nationale (…). Cette formation est à la fois scientifique et pédagogique. » Mais comment le pourrait-elle, quand elle se verra réduite à un bachotage disciplinaire et à deux semaines au plus de stage en responsabilité totale ?

Et qui croira qu’avec des personnels ainsi formés, recrutés par des concours ainsi expurgés, l’Education Nationale pourra encore assurer dans les écoles, les collèges et les lycées « l’acquisition d’une culture générale et d’une qualification reconnue à tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, culturelle ou géographique » (Article L. 111-1) ?

L’article L. 123-5, 1er alinéa du même Code dispose également que « Le service public de l’enseignement supérieur s’attache à développer et à valoriser, dans toutes les disciplines et, notamment, les sciences humaines et sociales, la recherche fondamentale, la recherche appliquée et la technologie ». Mais comment le pourrons-nous, lorsque nos filières de formation à la recherche seront vidées des étudiants les plus motivés pour la recherche au profit des seuls parcours de préparation aux métiers de l’enseignement ?

On peut enfin lire à l’article L. 123-5, 2e alinéa que « Le service public de l’enseignement supérieur assure la liaison nécessaire entre les activités d’enseignement et de recherche. Il offre un moyen privilégié de formation à la recherche et par la recherche. »

La politique du gouvernement nous demande d’aller contre les missions qui sont les nôtres. Soyons responsables collectivement !

Libres de choisir

Est-il exact que « nous n’avons pas le choix » ? La modification de l’offre de formation ou des projets de maquette est-elle la seule solution pour sauver la formation des enseignants ? Pour respecter l’intérêt supérieur des étudiants ? Il ne faut pas s’y tromper, ni renverser les responsabilités : les seuls fossoyeurs de l’Éducation Nationale seront ceux qui appliquent et non ceux qui rejettent.

Si nous sommes convaincus des conséquences qu’aurait une telle politique, comme le laissent entendre les réactions qui se font jour, nous devons nous opposer partout où nous sommes et par tous les moyens à notre disposition à cette destruction, en nous coordonnant. Sans nous la réforme ne peut être appliquée. Entrons dans une résistance qui dépasse de beaucoup nos seuls intérêts catégoriels, les seules universités, et sans laquelle ces dernières seront détruites de l’intérieur. Si nous baissons la tête et acceptons ce que nous condamnons tous, en renonçant à notre dignité, que ferons-nous quand nous verrons les effets de notre renoncement ?

Ne cédons pas aux sirènes qui répètent à l’envi que ce que nous ne ferons pas d’autres le feront : quelques universités ne peuvent former l’ensemble des enseignants français, pas plus que les établissements privés, et les jurys ne peuvent être constitués que d’inspecteurs ! Il est encore temps de refuser en bloc la réforme ! Pour cela deux instruments privilégiés : affirmer partout notre refus de l’appliquer et ne pas la mettre en place.


- Continuons de faire voter partout au sein des universités des motions affirmant notre refus de modifier l’offre de formation (départements, UFR, conseils centraux).
- Alertons les sociétés savantes dont nous sommes membres et demandons-leur de porter notre refus.
- Refusons de participer à l’élaboration des maquettes mais invitons-nous dans tous les groupes de travail qui ont cet objectif pour rappeler les dangers de la réforme (y compris en termes de service et parce que tout ceci se passe à coût constant).
- Annonçons notre refus de faire partie des futurs jurys et de préparer les épreuves absurdes mises en place.
- Alertons et réunissons les collègues, soyons nombreux à la Coordination Nationale des Universités du 25 janvier qui doit permettre d’organiser une action collective.

Et surtout

- Ne mettons en place aucune nouvelle offre de formation liée à la réforme.
- Refusons de participer à la mise en place de stages néfastes pour la formation des étudiants et dangereux pour les élèves qu’ils auront devant eux.

Parce que notre responsabilité est aujourd’hui décisive, il faut rester unis, pour résister. Refusons de détruire la formation des enseignants !