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"Il faut donner à l’université les moyens de son autonomie" - Chat avec Jean-François Méla, Le Monde.fr, 13 janvier 2010

mercredi 13 janvier 2010, par Elie

Dans un chat sur LeMonde.fr, Jean-François Méla, ancien président de Paris-XIII, évoque les conséquences du grand emprunt sur le système universitaire.

Pour lire cet article sur le site du Monde.

Hervé J. : Vous évoquez l’existence de dix universités demain. Est-ce un objectif revendiqué ou un risque du grand emprunt ?

Jean-François Méla : Le grand emprunt prévoit qu’une somme importante, de 7,7 milliards d’euros je crois, sera donnée à 5 à 10 pôles universitaires. Ce qui n’est pas précisé, c’est la nature de ces pôles. Mais si l’on se réfère aux objectifs que le texte explicite, il est clair que ça n’a de sens que si ces pôles ne sont pas trop larges.

Hervé J. : Vous évoquez l’existence de dix universités demain. Est-ce un objectif revendiqué ou un risque du grand emprunt ?

Jean-François Méla : Le grand emprunt prévoit qu’une somme importante, de 7,7 milliards d’euros je crois, sera donnée à 5 à 10 pôles universitaires. Ce qui n’est pas précisé, c’est la nature de ces pôles. Mais si l’on se réfère aux objectifs que le texte explicite, il est clair que ça n’a de sens que si ces pôles ne sont pas trop larges.

Si l’on mettait dans ces pôles toutes les universités françaises, le plan n’aurait plus de sens. Donc la logique voudrait que ces pôles soient relativement réduits autour des plus grandes universités actuelles. C’est-à-dire celles qui concentrent l’essentiel des grands chercheurs des grands organismes : à Paris, notamment, l’université Paris-VI - Pierre-et-Marie-Curie et l’université Paris-Sud - Orsay.

En province, on peut citer l’université de Strasbourg, aujourd’hui réunifiée ; à Grenoble, l’université Joseph-Fourier ; à Bordeaux, l’université Paris-I ; à Lyon, le pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES), qui s’est constitué il y a quelques années déjà, etc.

J. P. : Quelle est, selon vous, la limite aux fusions et aux rapprochements en cours ? Dix universités en France, cela me paraît tout de même peu... Est-ce seulement pour exister dans les classements internationaux ?

Jean-François Méla : La question mérite d’être posée car c’est une rengaine du pouvoir politique. On se réfère en permanence au fameux classement de Shanghaï, et un objectif semblerait être de constituer des pôles universitaires suffisamment gros pour figurer au classement de Shanghaï. Cet objectif peut paraître un peu ridicule lorsqu’on sait que les meilleures universités américaines qui figurent en tête de ce classement sont de taille très moyenne.
En province, on peut citer l’université de Strasbourg, aujourd’hui réunifiée ; à Grenoble, l’université Joseph-Fourier ; à Bordeaux, l’université Paris-I ; à Lyon, le pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES), qui s’est constitué il y a quelques années déjà, etc.

J. P. : Quelle est, selon vous, la limite aux fusions et aux rapprochements en cours ? Dix universités en France, cela me paraît tout de même peu... Est-ce seulement pour exister dans les classements internationaux ?

Jean-François Méla : La question mérite d’être posée car c’est une rengaine du pouvoir politique. On se réfère en permanence au fameux classement de Shanghaï, et un objectif semblerait être de constituer des pôles universitaires suffisamment gros pour figurer au classement de Shanghaï. Cet objectif peut paraître un peu ridicule lorsqu’on sait que les meilleures universités américaines qui figurent en tête de ce classement sont de taille très moyenne.

PNF : Quand on voit la qualité de vie, de la recherche, des études des grands campus americains, pourquoi y a-t-il des réticences en France à se diriger vers un modèle d’universités autonomes, se raprochant du modèle des facs américaines ?

Jean-François Méla : Il y a deux aspects dans votre question. Tout d’abord, on parle de la qualité de vie et de travail dans les campus américains. Cela renvoie au sous-financement considérable des universités françaises, même si un effort a été fait ces dernières années.

Deuxièmement, sur le mode de gouvernance, la tradition française est une tradition napoléonienne, centralisatrice, et c’est une véritable révolution pour tous que de passer à un système d’universités autonomes. Révolution culturelle pour les universitaires, mais aussi révolution pour l’administration centrale, qui a du mal – on le voit bien – à abandonner le pilotage centralisé. En dépit des déclarations officielles sur l’intérêt de l’autonomie.

SB : En région parisienne, ne risque-t-on pas de voir disparaître les universités de banlieue, absorbées par les universités "plus prestigieuses" de Paris-Centre, conduisant à l’émergence de collèges universitaires à l’américaine ?

Jean-François Méla : Vous avez parfaitement raison. C’est une question à laquelle je suis d’autant plus sensible que j’ai présidé une université de la périphérie Nord (Paris-XIII - Villetaneuse). L’originalité de sa création, c’était d’implanter, en milieu populaire, un établissement qui soit un instrument de formation, en liaison avec la recherche de niveau international. Ce qui garantissait la qualité des formations qui allaient y être dispensées, contrairement à la formule collège universitaire, coupée de la recherche scientifique.

Cela a donné l’occasion à de nombreux jeunes issus de milieux populaires, défavorisés, d’avoir les mêmes chances de carrière que ceux qui sont d’emblée intégrés dans des filières élitistes.

Aujourd’hui, on nous dit qu’on va favoriser l’accès des filières élitistes aux jeunes issus de milieux défavorisés, mais quand on connaît la situation des classes préparatoires et des grandes écoles les plus sélectives, cela apparaît comme une vaste rigolade.

Je crois qu’il est essentiel de maintenir des institutions intermédiaires qui ne soient pas simplement des collèges à vocation professionnelle. De ce point de vue, une centralisation exagérée de l’université parisienne serait une mauvaise chose. Aussi bien d’un point de vue économique que d’un point de vue démocratique.

OPI : N’existe-t-il pas trop d’universités, et pas assez d’établissements qui préparent aux BTS ou d’IUT (instituts universitaire de technologie) ?

Jean-François Méla : Oui, on peut le considérer. Il y a aujourd’hui, en chiffres ronds, 100 000 étudiants en IUT et 200 000 étudiants en BTS. Alors que, par exemple, les "Community Colleges" aux Etats-Unis rassemblent 6 millions d’étudiants. Et il serait bon d’augmenter les effectifs, par exemple, des IUT, mais à condition qu’ils aient une vocation à accueillir plus largement les bacheliers technologiques ou professionnels.

Alors qu’aujourd’hui, ils se sont donné une image relativement élitiste en prenant une majorité de bacheliers généraux, voire de bacheliers S, qui auraient davantage vocation à aller dans les filières générales. Donc oui, ce secteur doit être développé, mais à condition de le démocratiser lui aussi.

Delly : Que vont devenir les autres universités ? Et les UFR (unités de formation et de recherche) décentralisées des grandes facs, qui permettent, d’une part, de dynamiser les petites villes par l’apport d’étudiants, et, d’autre part, aux étudiants moins riches de poursuivre des études supérieures en restant chez leurs parents ou avec un loyer plus faible ?

Jean-François Méla : Oui, vous avez parfaitement raison. Ce serait une erreur magistrale, même d’un point de vue économique, et encore plus d’un point de vue démocratique, que de réduire nos préoccupations au développement de quelques pôles de recherche dans l’espoir d’avoir davantage de brevets et d’innovations en France, car le développement économique, par exemple, est une question globale dans laquelle la formation de personnels qualifiés à tous les niveaux est aussi importante que le développement de quelques pôles de recherche de pointe.

De plus, comme je l’ai dit en réponse à la question précédente, si l’on veut donnner leur chance réellement aux jeunes de milieux populaires, ce n’est pas en les incitant à rejoindre les filières les plus élitistes, qui sont déjà trustées par les enfants des couches supérieures ou des professions intellectuelles, mais en leur donnant de façon rapprochée des possibilités réelles de promotion.

VCT : Les effets du grand emprunt se feront-ils ressentir à court terme pour les étudiants ? Comment ?

Jean-François Méla : Il y a deux aspects dans votre question. La rapidité des effets : donner 7 milliards d’euros, même à dix campus, cela peut paraître énorme, mais il s’agit d’une dotation en capital, qui va procurer à ces établissements les revenus de ce capital. Donc peut-être 30 ou 40 millions d’euros, 3 à 4 millions par campus. C’est beaucoup, mais peu par rapport à l’ampleur des problèmes.

Sur l’aspect : cela va-t-il profiter aux étudiants ? Là, c’est encore plus douteux, car il s’agit essentiellement d’argent qui ira à la recherche pure et appliquée et à l’innovation. Donc il est douteux que les formations en récupèrent une partie importante. D’ailleurs, c’est là une des grandes lacunes du grand emprunt, de sa déclaration d’objectifs : on ne parle que d’innovation et de recherche, avec un objectif élitiste.

Pour les étudiants, cet objectif élitiste est rempli par les grandes écoles. Donc on n’aborde pas vraiment la question d’un rapprochement grandes écoles-universités, ou, en tout cas, on ne donne aucun moyen important pour faire avancer ce problème. Comme si l’on se satisfaisait de l’organisation actuelle et que l’on ne se focalisait que sur la recherche et l’innovation. Or, si l’on regarde les Etats-Unis, la qualité d’une grande université, c’est autant la qualité des étudiants, la qualité de leur formation, que la qualité des laboratoires.

Fred : L’université française n’est-elle pas aussi victime de l’hypocrisie d’un système secondaire qui délivre un bac, fût-il scientifique, ne donnant plus aucune assurance quant à la capacité à suivre dans le supérieur ?

Jean-François Méla : Je ne pense pas qu’on puisse dénoncer de façon aussi nette la mauvaise qualité du baccalauréat. Il est certain qu’on n’a pas la même exigence lorsqu’on veut donner le baccalauréat à 80 % d’une classe d’âge, aujourd’hui à 60 %, que lorsque le bac était réservé à une petite élite.

Mais la qualité du bac S, par exemple, prépare bien les élèves à suivre un enseignement scientifique de niveau universitaire. Si l’on veut bien rester modeste dans les objectifs moyens. Rien n’empêcherait les universités d’installer des filières plus élitistes que d’autres à l’intérieur de leur formation, de façon à traiter différemment les meilleurs et les moyens.

SB : Lors d’une future alternance gouvernementale, verriez-vous un gouvernement de gauche modifier la loi d’autonomie des universités ? Si oui, quel(s) point(s) vous paraissent, avant tout, nécessaires de modifier ?

Jean-François Méla : Je pense que le principe de l’autonomie ne sera pas remis en question. En revanche, certains aspects de la loi dite d’autonomie, la LRU (loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités), devront être amendés. Notamment ceux qui touchent à l’équilibre des pouvoirs à l’intérieur de l’université.

La LRU a adopté une idéologie "présidentialiste" et installe une confusion des pouvoirs, notamment les trois niveaux de pouvoir qui devraient être distingués : le niveau du conseil d’administration, qui doit fixer les grands principes et les grands équilibres ; le niveau du président, qui doit être un PDG de l’institution au service des principes fixés par le conseil d’administration ; et le niveau de la communauté académique, qui doit exercer pleinement les compétences qui lui sont propres, notamment en matière de recrutement, de promotion et de pédagogie. Cet équilibre des pouvoirs devra être revu.

Alex : Monsieur Méla, ne trouvez-vous pas que l’un des premiers problèmes de nos universités est la "concentration" de la notoriété ? Je m’explique : quelques universités sont connues, reconnues et voulues par les étudiants, ce qui laisse les autres facs dans un marasme intellectuel. Ne devrait-on pas se concentrer sur les universités qui manquent de soutien ?

Jean-François Méla : Oui, encore que compte tenu de notre système où, comme certains le disent, l’université est la voiture-balai du système, je ne pense pas que cet effet de notoriété joue un grand rôle auprès des étudiants au niveau de la licence, dans la mesure où les meilleurs cherchent désespérément à s’intégrer dans les filières sélectives.

En revanche, il y a un effet "notoriété" aux niveaux master et doctorat, qui est un effet beaucoup plus compréhensible dans la mesure où certaines universités rassemblent la majorité des laboratoires et des chercheurs des grands organismes.

Cependant, cette concentration ne doit pas être recherchée a priori, mais en fonction des nécessités de la recherche. Je m’explique : vous avez des domaines de la biologie ou de la physique qui exigent de très grands équipements. Ceux-ci ne peuvent pas être dispersés dans tous les établissements du pays. Il est donc normal qu’une concentration s’opère sur certains pôles.

En revanche, dans une discipline comme la mienne, les mathématiques, il n’y a aucune nécessité à concentrer les chercheurs dans un petit nombre de campus. La discipline fonctionne sur la base d’un réseau national qui donne entière satisfaction. C’est le cas pour bien d’autres disciplines, et je pense qu’il serait malsain de prendre la concentration comme un principe de base a priori.

Visiteur : Quelle serait, selon vous, "La" mesure à prendre de toute urgence pour l’université française ?

Jean-François Méla : La mesure de toute urgence serait de lui donner les moyens de son autonomie. Car il ne sert à rien de donner aux universités une liberté qui resterait purement formelle si elles n’ont pas les moyens de développer leur propre politique.