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Pour démocratiser vraiment l’enseignement supérieur, par Benoît Hamon et Bertrand Monthubert - Mediapart, 11 janvier 2010

mercredi 13 janvier 2010, par Mathieu

Face au seul indicateur du taux de boursiers, Benoît Hamon, porte-parole du Parti socialiste, et Bertrand Monthubert, secrétaire national à l’enseignement supérieur et à la recherche, proposent des pistes : allocation d’autonomie, parcours rémunérés et rapprochement des filières.

Pour lire l’article sur le site de Mediapart.

Depuis plusieurs jours, une polémique, surjouée par Valérie Pécresse, l’oppose à la Conférence des
grandes écoles (CGE) au sujet de l’accueil des élèves boursiers. Ce débat délibérément mal posé cache
les véritables enjeux de la démocratisation de ces écoles, mais plus généralement des filières longues et
prestigieuses de l’enseignement supérieur.

Evidemment, l’affirmation par la CGE que l’ouverture des grandes écoles à plus de boursiers entraînerait une
baisse de niveau est lamentable : c’est à la fois une absurdité pédagogique et le signe qu’il faut encore faire
violence à des conservatismes archaïques dans notre société. Mais ne soyons pas dupes : la proposition de
Valérie Pécresse de fixer un objectif de 30% d’étudiants boursiers dans ces écoles n’est qu’un trompe-l’œil.

Fidèle à la politique du chiffre que le gouvernement met en œuvre dans tous les domaines, la Ministre met en
avant un indicateur partiel et partial qu’elle peut manipuler à sa guise. Elle a par exemple annoncé récemment
que le taux de boursiers en classes préparatoires avait fait un bond de 23% à 30%. Certes, mais les boursiers
les plus modestes - touchant une bourse d’échelon 4 à 6 - y sont toujours aussi faiblement représentés. Ce sont
les boursiers d’échelon 0 - simplement exonérés des frais d’inscription - qui ont vu leur nombre augmenter.
L’incidence sur la composition sociale des effectifs de ces établissements a donc été minime.

On peut débattre sans fin de la forme des concours, de quotas divers et variés. Cela a son importance car il faut
s’attaquer à tout ce qui favorise la reproduction sociale. Mais en focalisant le débat sur quelques aspects du
problème, Valérie Pécresse élude les véritables questions qui touchent l’école et l’enseignement supérieur.

Car la réalité est sévère : la destinée sociale d’un élève puis d’un étudiant reste déterminée par l’origine sociale
de ses parents. Un rapport du Sénat publié en 2007 rappelait que si 21% des enfants d’enseignants ou de père
exerçant une profession libérale accèdent aux grandes écoles, la proportion est de 0,8% pour les enfants
d’ouvriers non qualifiés, de 1% pour les enfants d’ouvriers qualifiés et de moins de 4% pour les enfants
d’employés.

Ce marqueur social est souligné par la politique menée par la droite, en particulier les suppressions de postes
dans l’Education Nationale, qui renforce les inégalités entre les élèves en fonction de leur milieu d’origine et
sanctuarise la reproduction des élites entre elles en favorisant les étudiants les plus richement dotés - par
l’argent ou le capital culturel de leur parents. Quand le gouvernement s’intéresse à ce qui se passe à la fin du
processus scolaire, et s’offusque d’inégalités qu’il a lui-même amplifiées, il trompe les Français.

Et alors que nous observons que la pauvreté et la précarité des étudiants constituent le principal obstacle à leur
investissement dans les études, cette question semble mise de côté par le gouvernement. Comment poursuivre
des études longues et prenantes sans stabilité financière ou sans logement ? La nécessité de travailler pour
survivre tout en poursuivant des études écarte de fait de très bons étudiants de nombreuses filières, y compris à
l’université. Ils doivent choisir des cursus compatibles avec l’occupation simultanée d’un emploi. D’autant plus si
l’accès à ces filières suppose - comme c’est malheureusement de plus en plus fréquent -de payer des formations
privées de préparation aux concours, comme en médecine.

Conséquence de ces inégalités sociales, on observe une auto-censure chez de nombreux étudiants de très bon
niveau issus de milieu modeste. Cette disposition de certains étudiants à concevoir que les filières d’excellence
ne sont pas faites pour eux relève d’un habitus social qui doit être mieux combattu par l’action combinée de l’aide
sociale et de l’orientation individuelle.

Pour le Parti socialiste, il est urgent de mettre en place une allocation d’autonomie, afin de permettre à chaque
étudiant, quel que soit son milieu d’origine, d’effectuer son véritable travail : celui d’étudier.

Au-delà, nous proposons de mettre en place des parcours rémunérés pour certaines filières comme
l’enseignement, afin d’inciter les étudiants d’origine modeste à s’y engager. Voilà une mesure juste, efficace,
rapide à mettre en place. A cet égard, la réforme de la formation des enseignants, en reculant l’entrée dans un
statut rémunéré, va à l’encontre de la démocratisation. Le gouvernement doit être cohérent avec lui-même, et
revenir sur cette réforme rejetée par tous.

Face à un enseignement supérieur à deux vitesses, renforcé par les discours et la politique du gouvernement,
nous souhaitons au contraire nous attaquer à la partition historique entre grandes écoles et universités et
rapprocher les universités, les classes préparatoires, et les écoles. Nous voulons améliorer fortement l’accueil et
l’encadrement pédagogique à l’université, par le biais d’enseignements en petits groupes à l’entrée à l’université.
Nous voulons que l’Etat consacre autant d’argent aux étudiants des universités qu’à tous les autres quand la
différence aujourd’hui va du simple au double. Nous voulons refonder les processus d’orientation et les formes
de sélection dans le supérieur, qui envoient trop souvent des étudiants dans des filières qui ne correspondent
pas à leur motivation profonde, et sont souvent inégalitaires, engendrant échec et souffrance.

La démocratisation est aujourd’hui interrompue par la politique du gouvernement. Pour Valérie Pécresse,
l’urgence est ailleurs. Il s’agit plutôt de créer des écrans de fumée pour masquer son mauvais bilan, et tenter de
s’enfuir au plus vite d’un ministère où sa crédibilité fond comme neige au soleil.