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Les profs sont-ils de bons Français ? - Véronique Soulé, C’est classe ! Libéblogs, 5 décembre 2009

dimanche 6 décembre 2009, par Laurence

Luc Chatel, sarkozyste zélé et ministre de l’Education, avait annoncé que l’école participerait au grand débat sur l’identité nationale. Vérification faite, il ne se passe rien, ni consigne, ni débat. Bon élève côté cour, le ministre a préféré jouer la prudence côté jardin. Déjà la lecture de la lettre de Guy Môquet n’avait pas fait recette. Alors, faire une circulaire pour obliger les profs à discuter identité nationale avec leurs élèves ...

Nous avons procédé à un petit sondage par mail. Les enseignants contactés ont entendu le ministre parler d’impliquer l’école dans le débat. Mais après plus rien. Il semble en outre que les principaux et les proviseurs n’auraient pas vraiment été emballés à passer une telle consigne. Ils ont déjà assez de soucis comme ça.

"Il va de soi que je ne mènerai aucun débat sur ce thème, explique Nicolas Morvan, enseignant de français dans le collège Zep Jean Lurçat de Ris-Orangis (Essonne) et syndiqué au Snes, un enseignant n’est pas le rouage des politiques gouvernementales ni de ses lubies. Il applique les programmes, dans le cadre de la liberté pédagogique".

Sa position est largement partagée par les enseignants qui nous ont répondu : il s’agit d’une manoeuvre politique, le débat est donc faussé d’avance, estiment-ils ; il y a pourtant derrière de vraies questions auxquelles dans leur classe, chacun tente de répondre.

"Selon moi, poursuit cet enseignant, on apprend d’abord à l’école à devenir citoyen. On n’apprend pas une identité, mouvante et en constante évolution. Vouloir enseigner l’identité nationale, ça serait prendre le risque de la figer, et par conséquent, en donner une version excluante. Par ailleurs, c’est en faisant de nos élèves des citoyens, qu’on leur donnera des outils pour qu’eux-mêmes contribuent à faire évoluer cette identité, à la forger."

"Il ne faut surtout pas confondre Education Civique et Identité Nationale : en Education Civique, on se donne les moyens de participer à la vie de la Nation, mais on ne donne pas des définitions de l’Identité."

Dans les établissements classés Zep, où "la diversité" des élèves est grande, les enseignants se retrouvent souvent confrontés, dans la pratique, à la question de l’identité. Que répondre à un élève français qui se définit d’abord comme ivoirien ou algérien ?

"J’ai fait deux voyages en Afrique avec mes élèves en espérant leur donner le contre-champ de leur double culture, et renforcer non pas leur identité nationale mais leur appartenance au territoire français, témoigne Nathalie Broux, professeur de français au lycée Feyder d’Epinay sur Seine, en Seine-Saint-Denis. Ils se sentent marocains, ivoiriens, ou autres, alors que leur attachement à ces terres est souvent un peu folklorique, passe par les plats de leur mère, les souvenirs de leurs grands-parents, les vacances au "bled".

"Il s’agit aussi souvent pour eux de s’affirmer contre la France, ce qui est très préoccupant. Je me souviens que lors de la Coupe du monde 2002, les élèves étaient TOUS pour le Sénégal, c’est-à-dire contre la France. L’identification à la France est donc fragile, parce que cette France ne fait pas d’eux de véritables français..."

Collège Marie Curie, fevrier2009 (5) "Le principe de la construction d’une identité commune, d’une "nationalité" me paraît centrale. Mais elle passe par l’idée de différence, de diversité, et de "communion". Un texte magnifique de Glissant et Chamoiseau, est pour moi une référence : Quand les murs tombent. L’identité nationale hors-la-loi ? (Paris : Galaade, 2007)".

"Enfin, à titre personnel, la question "nationale" me paraît toujours éminemment dangereuse. J’essaye de dire à mes élèves qu’il est absurde d’être "fiers de son pays"... Le mot de "fierté" est le premier pas vers tous les conflits, les territorialisations, les luttes absurdes... De quoi être fiers ? Il y a des combats nobles que mènent certains pays, leur dis-je, pour des valeurs, mais pourquoi être fier de ce qui nous a été donné par hasard, par le sang... Je les fais souvent réfléchir à ce patriotisme, ou nationalisme dangereux. Récemment nous avons fait un débat sur la double culture."

Un enseignant d’histoire de ce lycée de Seine Saint Denis complète et nuance le discours : "c’est un thème que j’aborde avec mes élèves en éducation civique (qu’est-ce qu’être Français ? qu’est-ce que se sentir français), et même en cours, en 1ère notamment (avec un beau chapitre sur la République et l’enseignement des valeurs républicaines)."

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