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Ecole-entreprises, de nouveaux amis ? (2/3) - Des collégiens dits « méritants » parrainés par de grandes entreprises - Louise Fessard, Mediapart, 1er décembre 2009

mercredi 2 décembre 2009, par Elie

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Lire le premier volet.

« L’an dernier, je tournais à 16 de moyenne, là j’ai des notes comme 8 en français », dit Louise avec une légère grimace, sous le regard amusé de sa tutrice, Anny Regnaud, directrice des ressources humaines des fonctions globales de Schneider Electric. A la rentrée 2009, la jeune Parisienne de 16 ans est passée de son collège, « un peu chaud » de la porte de Clignancourt dans le XVIIIe arrondissement, à un « bon lycée », le lycée Racine dans le VIIIe. C’était l’un des objectifs de cette élève dite « méritante » dans le cadre de son parrainage depuis la quatrième par l’Institut Télémaque.

Malgré des cours privés de mathématiques en troisième et un stage de prérentrée en français et en mathématiques financé sur sa bourse Télémaque de 2000 euros par an, l’atterrissage est difficile. Mais Louise se sent bien dans son nouveau lycée. « Tout le monde travaille, ça donne envie de faire pareil, explique-t-elle. Quand je revois des anciennes copines de collège, elles ont gardé la même mentalité, la même façon de parler... »

Relancer l’ascenseur social, c’est l’objectif affiché de l’institut Télémaque, créé en 2005 à l’initiative de Serge Weinberg, à l’époque patron de PPR (Pinault-Printemps-La Redoute), et Patrick Gagnaire, ancien éducateur de rue. « Dans les années 2000, il n’y avait plus aucun jeune des quartiers qui rentrait dans les grandes écoles », explique Roger Peltier, 65 ans, ancien principal de collège à la retraite, qui se présente comme la « caution éducation nationale » du projet. « On a tâtonné, raconte-t-il. Au départ Serge Weinberg pensait aux internats mais ils sont très rares, alors on s’est décidé pour un système de bourses au mérite dévolues à l’épanouissement de l’élève. »

Pallier un manque de culture

Aujourd’hui quatorze entreprises partenaires, dont trois sociétés où Serge Weinberg a exercé ou exerce encore des fonctions de direction – PPR, Schneider Electric et Accor –, se sont engagées sur un certain nombre de tutorats dans 70 établissements. Elles versent 3000 euros par jeune suivi (un tiers allant aux frais de fonctionnement de l’institut).

Quelque deux cents jeunes, à 90% en filière générale, sont ainsi parrainés par un enseignant de leur établissement et un salarié d’une des entreprises partenaires. Pour les deux tiers, ils résident en région parisienne, les autres habitant la région lyonnaise ou le Nord.

Déposé sur le compte de l’établissement, du foyer socioculturel ou d’une association ad hoc, la bourse est gérée par les deux parrains de l’élève. Elle financera des voyages linguistiques ou sportifs, des cours de soutien, des sorties ou des activités extrascolaires. Tout sauf du social, la plupart des élèves aidés étant par ailleurs boursiers d’Etat.

Au deuxième étage du bâtiment d’Axa France à Nanterre, qui abrite gracieusement les trois salariées de l’institut Télémaque, Gaëlle Simon, déléguée générale de l’Institut, explique que « l’argent n’est pas forcément le frein principal à la réussite des jeunes issus de milieu modeste ». « C’est surtout le manque de capital culturel et social qui explique que ces jeunes aient moins de chance de réussir que des enfants de cadre ou d’enseignant », dit-elle. Un petit air de Bourdieu revisité. D’où le choix de sélectionner les enfants dès la cinquième « pour qu’ils prennent l’habitude d’aller au théâtre et arrivent au lycée avec un certain bagage ». Car « au lycée, c’est un peu tard, c’est au collège que tout se joue », estime Roger Peltier.

Elève « méritant »

Opéra Bastille, musée Rodin, exposition Renoir au Grand Palais : Louise est désormais de presque toutes les sorties week-end d’Anny Regnaud. « Ça passe dans la fournée familiale », s’amuse Anny Regnaud, qui ne rechigne pas à emmener sa filleule bruncher après la visite d’une expo avec son mari et sa fille de 26 ans, « tous fans d’ouverture culturelle, de multilingue et de voyage ». Ça tombe bien, de nationalité congolaise, née à Londres, Louise a un parcours original.

Quant à Bilal, 13 ans et demi, il enchaîne les sorties sport avec son parrain, Frédéric Bobard, jeune contrôleur de gestion au sein de la banque d’investissement d’UBS. Entre un match de foot de l’équipe de France au stade de France et un match de rugby, ils ont aussi vu Le Malade imaginaire à la Comédie-Française, une première pour le collégien dont les parents – père au chômage, mère gardant des enfants – sont originaires du Pakistan. Mais surtout Bilal est également parti l’été dernier pour un séjour linguistique de deux semaines.

Le projet est basé sur le concept d’élève méritant. Est « méritant » celui qui est boursier d’Etat, a plus de 16 de moyenne – l’objectif est que les élèves suivis obtiennent leur bac avec une mention bien ou très bien – et est motivé par le projet. « Ce sont des jeunes brillants mais qui, du fait de leur contexte familial, n’ont pas accès à tout ce qui leur permettrait de s’épanouir », dit Dominique Lantiez, principale du collège Mendès France à Tourcoing, un collège « Ambition réussite » où six élèves sont parrainés.

Des profils sélectionnés par leur établissement scolaire puis proposés à l’institut Télémaque qui rencontre les candidats avant de trancher. Pour Louise, tout est allé très vite. « Un jour dans la cour, le conseiller principal d’éducation m’a appelée et m’a dit qu’avec trois autres filles de 4e j’allais avoir une bourse parce que je travaillais bien », raconte-t-elle. « J’étais super contente et ma mère aussi ! »

« Aide-toi, le ciel t’aidera »

C’est également ce qui motive les tuteurs en entreprise, prêts à s’engager sur six ans. « Parfois on donne du temps à des personnes qui n’en n’ont pas envie, là on vise des gens qui ont une attitude et un état d’esprit remarquable », explique avec enthousiasme Anny Regnaud. N’importe quel salarié des entreprises partenaires peut théoriquement devenir tuteur mais, dans les faits, la grande majorité sont cadres. « Ça fait longtemps que je travaille chez Schneider Electric, l’entreprise m’a donné des opportunités de me former ; j’ai beaucoup reçu, précise Anny Regnaud. C’est une bonne opportunité de restituer un peu de tout ça à des jeunes qui ont envie de travailler. »

Même raisonnement pour Frédéric Bobard, 29 ans. « J’ai beaucoup apprécié le principe de choisir un élève qui a de bons résultats et est motivé, explique-t-il. Moi je suis prêt à aider mais derrière il faut qu’on soit actif ! »

« Aide-toi, le ciel t’aidera » : la mentalité n’est pas du goût de tous. « La logique présidentielle, c’est de défendre, non plus les territoires, mais les individus qui veulent s’en sortir, estime Luc Bentz, secrétaire général du deuxième syndicat enseignant, le Se-Unsa. On va repérer quelques boursiers d’élite, qui peuvent servir d’alibi, et leur donner des moyens supplémentaires ou les regrouper ailleurs. Ce sont des têtes de file qui disparaissent d’établissements et donc des établissements où la mixité scolaire disparaît. »

Gagner en maturité

Si les boursiers Télémaque ne se disent en rien stigmatisés dans leur établissement, Louise se souvient tout de même de la réaction d’une de ses amies. « Elle était dégoûtée de ne pas avoir été choisie car elle avait de meilleures notes que moi », raconte-t-elle. C’est le jeu, si l’élève dévie en cours de route, la commission peut ne pas renouveler la bourse en fin d’année. Mais les cas sont rares.

« On n’a pas fermé la porte, précise Dominique Lantiez. Si on voit d’autres élèves qui ont des résultats brillants et font des efforts, on les signalera à Télémaque. » La seule limite étant le nombre d’entreprises prêtes à s’engager. « Trouver des établissements volontaires, ce n’est pas compliqué ; il suffit de prendre la liste des collèges en zone d’éducation prioritaire, souligne Gaëlle Simon. Le plus dur est d’obtenir de nouvelles entreprises. »

Une première fournée de sept jeunes « Télémaque » ont passé le baccalauréat en juin 2009 – tous avec succès bien entendu. Trois sont en classe prépa, deux font un BTS et deux autres un IUT. Les résultats les plus notoires portent davantage sur la maturité et la capacité à communiquer des jeunes. « Ça n’a pas changé mes objectifs, je veux toujours être chirurgienne, témoigne Louise. Je suis surtout devenue moins timide qu’avant. »

« Le regard d’une personne extérieure leur apporte des éléments positifs et ouvre des portes insoupçonnées, juge Dominique Lantiez. Une de mes élèves parrainées, qui a 16 ou 17 de moyenne, voulait faire coiffure, uniquement parce que ce sont des études courtes. » Aujourd’hui, la jeune fille veut devenir enseignante. « Ce n’est pas encore ça mais c’est un bon début... », conclut Dominique Lantiez en riant.