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Universités : la course aux fonds - Eva Delattre, Politis, 29 octobre 2009

dimanche 1er novembre 2009, par Mathieu

 Au nom de « l’autonomie », les établissements font appel au mécénat d’entreprises ou de particuliers. Non sans conséquences sur la diffusion des savoirs.

Et une de plus ! Fin septembre, l’université de Perpignan inaugurait sa fondation, à la suite des universités de Lyon, Marseille ou Strasbourg. Depuis le vote de la loi Pécresse sur l’autonomie des universités, et pour faire face à l’insuffisance des budgets alloués par l’État, elles sont aujourd’hui une douzaine à expérimenter ce qu’il en coûte de devenir « autonome ». Entendez une compétition sans merci entre facs pour mettre le grappin sur les meilleurs mécènes. Et l’obligation de rivaliser avec les grandes écoles, comme Sciences Po, Polytechnique ou HEC, qui, elles, ­peuvent compter sur le porte-monnaie de leurs anciens élèves et sur de généreuses entreprises avides de prestige. Pour rester dans la course aux fonds, voilà donc nos universités qui deviennent des marques. Qui rénovent leur logo, toilettent leur site Internet, inventent des slogans chocs. « Investissez dans l’intelligence ! » clame ainsi la fondation de l’université de Lyon-I, mêlant la sémantique de l’entreprise et du savoir. Car un nouveau métier a débarqué sur les campus : le fundraising, application du marketing à la levée de fonds. À l’université de Clermont-Ferrand, rebaptisée de façon plus vendeuse « Université d’Auvergne » (UdA), les produits dérivés poinçonnés de la devise « Made in UdA : premier fabricant de professionnels » s’arrachent comme des petits pains. Rien de tel pour favoriser l’esprit d’appartenance et stimuler la générosité des futurs anciens élèves.

Si l’université fait ainsi feu de tout bois, c’est que, « l’appel aux fonds privés entraîne une privatisation des esprits et des pratiques, estime Jean-Louis Fournel, président du collectif Sauvons l’université. Le fundraising met en place une logique d’échange et d’intérêts bien compris. Pas de gratuité ! » On ne s’étonnera donc pas que le groupe pharmaceutique Sanofi-Aventis, membre fondateur de la fondation de l’UdA, ait mis sur pied un module de formation à destination des étudiants en médecine pour « renforcer l’attractivité de l’industrie pharmaceutique vis-à-vis des jeunes médecins et faire connaître Sanofi-Aventis » ! De quoi hérisser Isabelle This-Saint-Jean, présidente de Sauvons la recherche : « L’arrivée du mécénat d’entreprise aura des conséquences sur l’indépendance de la recherche. Aujourd’hui, on ne parle plus que d’“innovation” alors que la recherche fondamentale française jouit d’une renommée internationale. »

Une fois encore, « l’excellence » du modèle américain est vantée par le gouvernement, qui se gargarise des milliards de dollars levés par Harvard ou Yale. On en oublierait presque que ces universités pratiquent la collecte de fonds privés depuis plus de trois cents ans ! « C’est omettre le poids de l’histoire que de vouloir calquer le modèle français sur le modèle américain, estime Carole Masseys-Bertonèche, maître de conférences en études anglophones à Bordeaux [1]. De plus, aux États-Unis, contrairement aux idées reçues, les fonds provenant de l’État fédéral représentent 60 % du budget de la recherche universitaire alors que les entreprises n’y contribuent que pour 5 %. Enfin, les présidents des grandes universités, grâce à la longueur de leur mandat et à la réputation de leurs institutions, ont beaucoup plus de possibilités de résister aux éventuels desiderata de leurs donateurs dans le cadre des partenariats université-entreprise ».

Pour la chercheuse, toutefois, le risque est moins l’ingérence des entreprises dans le fonctionnement universitaire français que la création d’un enseignement à plusieurs vitesses : « Depuis Rockefeller et Carnegie, la philanthropie a été un instrument de maintien d’un pouvoir privé au sein de l’enseignement supérieur américain et a contribué à renforcer le pouvoir des universités d’élite. L’enseignement supérieur américain est sujet à de profondes inégalités institutionnelles et territoriales ». Avec, d’un côté, quelques grandes universités concentrées géographiquement et suffisamment riches pour s’offrir les meilleurs enseignants-chercheurs. Et, de l’autre, un grand nombre d’institutions éparpillées sur le territoire dont la recherche est absente. Une préfiguration de la carte universitaire française de demain ?

 

Un cœur derrière le portefeuille

Parallèlement à l’élargissement spectaculaire du cercle des organismes bénéficiaires de dons, une nouvelle génération de donateurs a fait son apparition en France : les « nouveaux philanthropes » ou « philanthrepreneurs ». Ces businessmen estiment que les méthodes du capitalisme doivent être appliquées à l’action philanthropique. Et exigent un « retour sur don », comme on parlerait de retour sur investissement. La Fondation pour l’enfance, qui a su repérer cette nouvelle niche de grands donateurs, leur consacre une ligne téléphonique ainsi qu’un site Internet spécifique. De même, la BNP Paribas et UBS, banque suisse de gestion de fortune, se mettent à vendre à leurs riches clients des conseils de placement philanthropique. À croire que, là encore, le marché du don rapporte gros.

E. D.

Source : Politis.


[1Auteur de Philanthropie et universités privées américaines : pouvoir et réseaux d’influence, Presses universitaires de Bordeaux, 379 p., 28 euros.