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Appel de juristes : non à une Université à deux vitesses (4 octobre 2009)

dimanche 4 octobre 2009, par Laurence

Nous, enseignants-chercheurs en droit, avocats, magistrats, soucieux
du respect de l’égalité des étudiants devant le service public de
l’enseignement supérieur, tenons à alerter tous ceux qui aspirent à la
pérennité des principes fondamentaux qui fondent le modèle
universitaire français et, plus particulièrement, la communauté des
juristes et des étudiants en droit, de ce qui suit :

Il y a un an, l’université Paris-II innovait en créant un « collège
de droit », consistant, selon les propos tenus par son Président dans
son blog, à « offrir un parcours spécifique qui exploite au maximum
les potentialités de nos meilleurs étudiants et qui réponde vraiment à
un besoin du marché ». Depuis, d’autres universités semblent vouloir
suivre cette voie : Paris-I, Montpellier, Toulouse, bientôt Bordeaux-
IV...

L’exemple de Paris II est édifiant : seuls les étudiants ayant obtenu
mention très bien au baccalauréat peuvent s’inscrire à ce collège du
droit, moyennant la somme conséquente de 200 euros qui s’ajoutent aux
frais d’inscriptions du cursus classique, afin de suivre 130 heures
annuelles d’enseignements complémentaires dans des disciplines telles
que la philosophie, la sociologie du droit ou le droit comparé. Ce
collège, qui se superpose à la formation classique des trois années de
licence, délivre un diplôme d’université (DU) ne répondant pas à une
spécialisation, comme c’était jusqu’alors le cas, mais à un complément
à la formation de base offerte à la masse des étudiants, destiné à
renforcer la culture générale d’une petite élite dès la première année
des études universitaires.
Cette innovation a été présentée comme une solution permettant aux
universités d’entrer dans la « bataille de l’excellence » afin de « 
concurrencer les grandes écoles » pour que nos universités, sur le
modèle de Paris II, demeurent « compétitives » sur le « marché » de la
formation universitaire.

Nous condamnons fermement la mise en place d’une Université « à deux
vitesses », qui institutionnalise la discrimination entre étudiants
mais aussi la concurrence entre universités.

• Il s’agit, dans les faits, de former deux catégories
d’étudiants :

- une catégorie censée constituer une « élite », en outre
financièrement capable de s’acquitter de frais d’inscription
supplémentaires, aspirant à une meilleure formation susceptible de
mieux la positionner sur le marché de l’emploi (4,4% des étudiants
inscrits en première année de droit à Paris II, en 2008/2009) ;
- une autre catégorie, la « masse », stigmatisée dès la première
année comme nécessairement moins bonne, et à laquelle ne serait
assurée qu’une formation standard, la fragilisant nécessairement sur
le marché du travail.
Tout étudiant a le droit de suivre les mêmes enseignements qui lui
permettent d’acquérir une culture générale. Aujourd’hui la
discrimination est telle, tant pour les concours de la fonction
publique que pour l’accès aux emplois privés, que l’on ne peut
accepter qu’un étudiant puisse voir son destin grevé dès l’origine.

• Il s’agit, en réalité, de susciter une concurrence débridée
entre universités, contraignant les étudiants à s’inscrire dans
l’université présentant la meilleure « offre », en termes d’« 
excellence », de sorte qu’un tel projet serait nécessairement présenté
comme « inéluctable » par les « pragmatiques ».

Nous condamnons fermement la logique de privatisation dans laquelle
s’inscrit nécessairement cette formation universitaire « à deux
vitesses ».
En effet, l’habilitation ministérielle n’est obtenue, conformément à
la philosophie de la Loi « Pécresse », que si le DU « s’autofinance »,
par l’acquittement de frais d’inscriptions supplémentaires notamment,
ce qui démontre que cette sélection ne s’opère pas que sur des
critères prétendument méritocratiques.
De plus, la création de « Collèges de droit » s’inscrit dans
l’incessante politique de restriction budgétaire puisqu’elle permettra
de justifier la réduction du nombre de matières offertes au plus grand
nombre des étudiants et donc des postes d’enseignants amenés à les
dispenser.

Nous appelons tous ceux qui voient en l’Université un Service Public
destiné à offrir au plus grand nombre un enseignement de qualité, à se
mobiliser pour éviter de telles dérives.

Premiers signataires : Michèle BONNECHERE (Professeur de droit privé à
l’Université d’Evry, Val d’Essonne), Valérie BOYANCE (Avocate au
Barreau de Bordeaux), Emmanuel GAYAT (Avocat au Barreau de Seine Saint
Denis), Julien GIUDICELLI ( Maître de conférences en droit public à
Bordeaux IV), Gilles J. GUGLIELMI (Professeur de droit public à Paris
II), Pierre LANDETE (Avocat au Barreau de Bordeaux, ancien membre du
Conseil de l’ordre, ancien Président de l’Institut de défense des
étrangers), Jean-Pierre MAUBLANC (Professeur de droit public à
Bordeaux IV), Emmanuelle PERREUX (Présidente du Syndicat national de
la magistrature), Mireille POIRIER (Maître de conférences en droit
privé à Bordeaux IV, membre du Conseil national des Universités), Marc
RICHEVAUX (Magistrat, Maître de conférences en droit privé à
l’Université du Littoral-Côte d’Opale, membre du Conseil national des
Universités), Mathieu TOUZEIL-DIVINA (Maître de conférences en droit
public à Paris Ouest-Nanterre, La Défense), Jean-Marc TRIGEAUD
(Professeur de droit privé à Bordeaux IV), Marie-Thérèse VIEL (Maître
de conférences en droit public à Bordeaux IV)…

Pour vous joindre à cet appel : mireille.poirier@u-bordeaux4.fr ou
julien.giudicelli@u-bordeaux4.fr