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Compte-rendu du 8° Grand Débat de l’EHESS, « Refonder l’Université », 20 mai 09, par Michel Barthélémy, chargé de recherche au CNRS (Centre d’étude des mouvements sociaux - EHESS)

jeudi 11 juin 2009, par Elie

Le huitième et dernier des Grands Débats de l’EHESS (1) a eu pour thème la
question de la « refondation de l’université ». La parole est revenue aux
principaux initiateurs du Manifeste « Refonder l’université » (2),
également contributeurs de la revue du Mauss, dont le n° 33, récemment
paru, porte le titre « L’université en crise : Mort ou résurrection ? »
(3).

Alain Caillé (AC) annonce les deux volets de ce débat, consacrés
respectivement au dernier numéro de la Revue du MAUSS, puis au Manifeste,
qui en est la résultante. Il fait état de la réponse que Valérie Pécresse
a donnée à ce texte, paru dans la rubrique Opinions du Monde (4) et de la
réplique que les intéressés lui ont apportée via un communiqué de presse
(5) contestant la réalité des « convergences » évoquées par la ministre
entre sa politique et le projet des refondateurs.

Marcel Gauchet (MG) évoque ensuite l’esprit dans lequel ce manifeste a été
rédigé et qui est lié au constat que le moment est désormais venu de
reprendre l’initiative intellectuelle, après une première phase de
mobilisation contre les décrets d’application de la loi LRU. Il est
possible, indique-t-il, que ce mouvement avorte, que le gouvernement
remporte une bataille, mais il n’aura pas pour autant remporté la guerre.
Il souligne que c’est la première fois depuis longtemps que les
universitaires se sont mis à réfléchir sérieusement sur les problèmes de
l’institution universitaire. Chose étonnante, souligne-t-il, l’université
est une institution très peu réflexive. On réfléchit sur le monde sauf sur
l’université. On traite de tout sauf de soi et de ce qu’est la bonne
organisation universitaire dans un monde en changement. Il conclut que
c’est de cette inflexion dont nous sommes témoins en ce moment : le numéro
de la revue du MAUSS et le manifeste en témoignent.

A. Caillé reprend la parole pour indiquer ce qui fait, selon lui, la
spécificité de l’actuel mouvement universitaire initié contre les décrets
d’application de la loi LRU. Il se distingue par le fait de n’être pas un
mouvement corporatiste au sens habituel du terme (il ne défend pas de
revendication salariale, p.e.) mais de traduire une inquiétude quant à
l’avenir possible de l’idée même d’université du fait des réformes
engagées. En outre, il a mobilisé les enseignants. Ce qui est rare. Et
parmi eux des juristes. Toutes les universités du monde ont subi ces
réformes depuis une dizaine d’années où elles ont pu paraître nécessaires
et être mises en ouvre sans grande difficulté. Alors, qu’est-ce qui
distingue la France de cet apparent consensus ?

Il évoque deux types de réponses possibles et mutuellement opposées : 1/
le corporatisme de la société française et son caractère irréformable qui
implique qu’il faut faire passer les réformes en force ; 2/ des réformes
d’inspiration néolibérales, mercantilistes, qui justifient qu’on s’y
oppose, d’autant qu’elles montrent leurs limites là où elles ont été
appliquées.

Le problème de ces deux explications, c’est que les tenants de chacune
d’elles se voient comme progressistes et perçoivent les autres comme
régressistes. Ce qui ne facilite pas l’élaboration d’une vision d’ensemble
du problème. Dans ce tableau, peut-être le plus progressiste est-il encore
de défendre la vision ancienne, institutionnelle et corporative de
l’université (6).

Le volume du Mauss traite la question en trois grands points illustrés
chaque fois par une série de textes :

1/ Pour commencer, il fait retour sur l’idée même d’université ; 2/ Il
s’interroge ensuite sur les trois dérives qui menacent le statut du savoir
dans la société contemporaine à travers sa mercantilisation, son
évaluation quantitative et la fragmentation générale du savoir ; 3/ enfin,
il s’interroge sur la question de savoir ce qu’il convient de faire, une
fois le diagnostic posé (7).

La critique des décrets d’application de la loi LRU

Olivier Beaud (OB) souligne que la loi LRU pouvait s’appliquer sans
modifier le décret statutaire. Le statut de fonctionnaire d’Etat des
universitaires garantit leur liberté et notamment face au pouvoir
arbitraire des institutions universitaires locales. La centralisation est
en France un moyen d’apporter cette garantie. C’est la raison pour
laquelle le mouvement a défendu le CNU (Conseil National des Universités)
qui, dans le contexte national français, apparaît comme un moyen de
limiter l’arbitraire.

Or la loi LRU (Liberté et Responsabilité des Universités ou loi
d’autonomie) a été bâclée sans aucune réflexion sur l’auto-organisation de
l’université. On a donc un système présidentialiste avec un conseil
d’administration à la main du président et sans contre pouvoirs de la
communauté académique. Cette loi est donc dysfonctionnelle au sens où elle
ne respecte pas le principe de la collégialité. Or celle-ci est
fondamentale pour des raisons intellectuelles. En effet, la spécialisation
est devenue telle que, sur un sujet donné, il n’y a qu’un certain nombre
de personnes qui sont aptes à émettre un jugement fondé sur l’activité
d’un collègue qui est un pair. La collégialité ainsi entendue est
structurelle de l’université. Il ne s’agit aucunement d’une collégialité
prise dans un sens corporatiste, comme certains journalistes ont pu le
dire.

En second lieu, ce qui a fait également problème, c’est le projet de
moduler les services. Ce qui est affligeant, c’est que les idées contenues
dans la réforme actuelle, l’évaluation, la modulation des services, ont
été avancées par les universitaires eux-mêmes. Mais elles ont été
dénaturées par le gouvernement. L’idée de modulation de service a été
suggérée notamment au départ par Laurent Schwartz dans la perspective de
permettre aux universitaires et en particulier aux professeurs, en
compensation du décret Savary de 1984 qui a doublé le temps d’enseignement
des professeurs, d’obtenir des décharges de services. La modulation devait
servir à libérer du temps pour la recherche. Le gouvernement a dénaturé
cette idée en faisant de la modulation une sanction à l’encontre des
universitaires. D’où la réaction très majoritaire des universitaires
contre cette vision des choses. La bataille qui a été menée a conduit à
conditionner la modulation à l’accord écrit de l’universitaire concerné.
Ce qui signifie que si la communauté demeure soudée, il sera difficile aux
conseils d’administration de faire accepter la modulation à la hausse à
qui la refusera.

La distinction préjudiciable entre université et enseignement supérieur

François Vatin (FV) part d’un constat alarmant pour l’université. En
résumé, il indique que l’université est placée dans une situation de
concurrence avec un vaste éventail de formations d’enseignement supérieur
sélectives et spécialisées à finalité professionnelle aboutissant à son
contournement. Les premiers cycles universitaires accueillent de plus en
plus ceux qui n’ont pas pu aller ailleurs et s’y inscrivent par défaut, à
l’exception des secteurs de médecine, pharmacie et droit qui disposent
d’un monopole professionnel. Le taux d’inscription des bacheliers à
l’université est ainsi passé de 44% en 1997 à 34 % en 2007, alors même
que le mouvement de démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur
se poursuit. Mais c’est une myriade de formations supérieures
extra-universitaires, bien souvent privées et payantes, mal connues et non
publiquement évaluées, qui en tirent le plus grand bénéfice. Aujourd’hui,
les effectifs étudiants à l’université sont revenus au niveau de 1990.

De ce constat a découlé la première proposition qui a été faite dans le
manifeste et qui porte sur la demande de constitution d’un véritable
ministère de l’enseignement supérieur. F. Vatin précise que cela a été
l’objet de nombreuses critiques tournées contre le prétendu jacobinisme
des auteurs de ce texte (8). Or, précise-t-il, le sens de cette
proposition s’éclaire mieux par une comparaison. Dans l’état actuel des
choses, le ministère de l’enseignement supérieur couvre un champ si peu
important de l’enseignement supérieur proprement dit que c’est un peu
comme si le ministère de la santé n’avait que la tutelle des hôpitaux
publics. Ce n’est bien sûr pas le cas. Ainsi, si l’on suit cet exemple,
seul un ministère de l’enseignement qui disposerait d’une vue d’ensemble
sur le système des études supérieures serait logiquement en mesure de
réfléchir à la place que tient de l’Université dans ce dispositif. L’enjeu
est de raviver le principe de la démocratisation universitaire en
l’inscrivant dans le cadre d’une politique globale de l’enseignement
supérieur. La proposition que fait le manifeste à ce sujet est de créer un
grand service propédeutique public rassemblant, sans les uniformiser,
l’ensemble des formations de l’enseignement supérieur : IUT, BTS, classes
préparatoires, et premiers cycles universitaires (le niveau L du LMD), en
ménageant de nombreuses passerelles entre elles. Ceci engage à
reconsidérer le problème de la sélection. En effet, le principe
démocratique implique l’accès de tous les bacheliers à l’université. Mais
cela ne signifie pas que n’importe quel bachelier puisse être admis de
droit dans n’importe quel cursus universitaire. Une sélection-orientation
devrait pouvoir être mise en place pour guider les bacheliers dans leur
choix d’un premier cycle, en fonction de leurs goûts et de leur parcours
antérieur. Le manifeste propose un enseignement universitaire modulé en
fonction des catégories de publics : outre le premier cycle standard
désormais en trois ans, la possibilité d’une licence en quatre ans pour
les étudiants éprouvant des difficultés, avec un encadrement amélioré, des
licences bi-disciplinaires pour les plus véloces. Et des modes de
financement adaptés pour tous (9). La sélection proprement dite opèrerait
à l’entrée du niveau M1 du master et non M2 comme il en va aujourd’hui,
héritage de l’ancienne structuration des études universitaires entre la
maîtrise (fin du deuxième cycle, Bac + 4, actuel M1) et le DEA ou DESS
(début du troisième cycle, Bac +5, actuel M2). Cette réforme aurait le
mérite de valider définitivement le changement de découpage temporel des
trois cycles universitaires introduit par le passage au LMD (3/5/8).

L’autonomie et la place singulière de l’université au sein de la société

Pour schématiser on pourrait saisir la menace qui pèse sur l’université à
l’aide d’une comparaison entre deux perspectives. En ce sens, il y aurait
une vision à courte vue de la place de l’université dans le système de
formation, qui réduit celle-ci à un élément dans le système de formation à
des métiers identifiés de l’enseignement supérieur, le contenu de la
formation étant supposé connu à l’avance et approprié de manière stable
aux caractéristiques de l’emploi et aux attentes de la profession. Ce qui
dans les faits ne concerne qu’une minorité d’emplois, de type artisanal,
le plus souvent (10). Et puis il y aurait une conception plus exigeante de
la mission qui échoit à l’université en matière de production et de
diffusion des savoirs, c’est à dire au fond, de la culture. C’est celle
qui tourne autour de l’identité même de l’université et du principe d’ « 
autonomie », que développe notamment Plinio Prado, pour qui : « Il n’y a
pas d’Université sans une référence première, fondamentale, à un
principe d’indépendance. Nous voulons parler du principe de
l’indépendance même de la pensée, de la liberté de l’esprit, que l’on
nomme autonomia » (11).

Ce conflit entre le savoir de spiritualité (où, pour le dire autrement,
autoconstitution de la communauté universitaire et « société de la
connaissance » (critique)) et le savoir appliqué (le savoir valorisé sur
le « marché de la connaissance ») est exprimé dans ce passage :
« La naissance de l’université moderne est contemporaine du décrochage
opéré par les Lumières entre l’ascèse des spirituels et le savoir d’une
science moderne objectivante et conquérante, qui supplante l’askêsis
ancienne (les exercices de transformation du sujet en vue d’accéder à
la vérité), mais n’est plus à même de former (c’est-à-dire de
transformer) le sujet connaissant (cf. le thème de
l’extériorité foncière du savoir moderne vis-à-vis du sujet). C’est de
ce désengagement que désespère déjà Faust, et dont Schopenhauer et
Nietzsche, mais aussi Thoreau, Wittgenstein et diversement Horkheimer,
entre autres, accuseront l’Université. » (n6, p.26). Un écart dont
l’entretien avec L. Collet, président de Lyon I, dans la manière dont il
vante les mérites de son université, fournit une illustration saisissante
(12).

Les deux formes de savoir sont également légitimes et répondent à des
besoins ou perspectives spécifiques. Reste à savoir si la collégialité et
l’autonomie requises par et pour le libre développement de la pensée
savante (13) peuvent survivre aux nécessités de l’adaptation continuelle
de l’université à la demande du marché de produire des formations qui
trouvent un débouché rapide dans l’économie et les entreprises. Car, en
effet, le risque est que la recherche à tous crins de l’adaptation à cette
contrainte, relativement étrangère à ce qui fait le cour des
préoccupations et de la raison d’être de l’université, doive se payer par
une transformation de ses structures organisationnelles vers une forme
managériale qui en fera une entreprise du savoir - plus du tout collégiale
ni autonome (critique), mais hiérarchisée, fonctionnant sur la base
d’objectifs à atteindre, toujours pressée de s’adapter à la demande de ses
« clients » ( étudiants, employeurs, politiques), etc. En ce sens, une
telle exigence pourrait se faire au détriment de la tâche d’élaboration du
savoir critique sur la société, qui est classiquement le champ d’activités
de l’université. Cette interrogation se condense dans une question un peu
brutale : l’université doit elle être un dispositif d’offre de formations
à la demande ? En même temps, si elle n’assure pas aussi cela, que lui
reste-t-il d’autre que la formation aux métiers de la recherche et de
l’enseignement tournée vers la formation de nouveaux chercheurs appelés à
assurer la pérennité des champs de savoir explorés par les praticiens de
la recherche et de l’enseignement supérieur ? Selon l’orientation
dominante suivie, on peut craindre soit que l’université perde en rompant
avec ses fondamentaux, sa dimension de production et diffusion d’un savoir
réflexif, ou bien qu’elle se marginalise dans un paysage concurrentiel où
elle ne serait pas la mieux lotie, sur le plan de ses effectifs
estudiantins comme sur celui de ses moyens matériels pour trouver sa place
au sein d’un enseignement supérieur extra-universitaire appliqué au marché
de l’emploi.

D’où la version hybride défendue par les refondateurs : ouvrir, d’un côté,
l’enseignement des premiers cycles universitaires à la pluridisciplinarité - en valorisant la distinction entre cursus et discipline, un principe qui
peut s’énoncer au moyen d’un exemple : ce n’est pas parce que l’on suit
une formation en sciences politiques que l’on ne doit recevoir que des
enseignements étroitement liés à cette discipline et délivrés par des
enseignants de cette seule discipline - et, de l’autre, les formations
extra-universitaires à la démarche de recherche - le fameux enseignement
par la recherche. D’autres encore (14) voudraient faire de la recherche le
coeur même de l’enseignement universitaire dès le premier cycle, en
soumettant les matières et disciplines enseignées à la validation
empirique par la mise en pratique de ces savoirs à des fins de réalisation
de travaux de recherche par les étudiants et avec les enseignants. Ce qui
serait un schéma applicable à l’ensemble des formations, sous réserve de
se donner les moyens matériels et humains de le faire. La relation entre
la recherche et l’enseignement qui est proposé ici serait également
l’occasion de constituer cette « universitas des professeurs et des
étudiants » tout en vidant de son sens, purement comptable du reste, cette
distinction artificiellement créée entre enseignement, d’un côté, et
recherche de l’autre. Une distinction administrative qui sert à
comptabiliser le temps annuellement consacré par les universitaires à
leurs deux activités statutaires, auxquelles il faut ajouter les
nombreuses tâches d’administration. Avec cette différence que
l’enseignement et la recherche ne forment pour les intéressés que les deux
versants inséparables de leur activité. Seules les tâches d’administration
et de gestion peuvent être clairement distinguées de celle-ci et déléguées
à un personnel dédié placé sous leur direction.

Conclusion

Au terme des exposés, et avant que s’engage le débat, A. Caillé reprend la
parole : Quel peut être le statut de ce manifeste ? On n’en sait rien si
ce n’est que l’on sent bien qu’il répond à un besoin manifeste de la
communauté de s’auto-organiser, de commencer ce travail réflexif. Que
pourra-t-il se passer ensuite ? On verra bien en fonction des réactions.
Il faudra probablement organiser une nouvelle réunion avant l’été pour
développer, préciser certains points et puis lancer très rapidement,
université par université, des groupes de discussion ou des états généraux
entre les personnes qui se reconnaissent dans ce manifeste et sur la base
du manifeste lui-même ; non pas pour l’approuver, mais pour qu’il y ait un
cadre de discussion. Et après on verra ce que l’on fait de tout ça. Mais
cela implique de demander au gouvernement de laisser le temps à cette
communauté universitaire de s’organiser et de structurer son propre débat.

Dans le texte « Pourquoi un manifeste ? » (cf. n7) les auteurs sont un peu
plus précis : il s’agirait d’« organiser dans chaque université des États
généraux entre signataires du Manifeste, qui n’ont besoin d’être au départ
d’accord sur rien, sauf sur la nécessité de débattre pour refonder
l’Université et de le faire selon l’ordre suivi par le Manifeste. Dans
chaque université un ou plusieurs coordinateurs se chargeront de
synthétiser les débats et les positions finalement adoptées. De ces
synthèses il ne devrait pas être trop difficile d’esquisser une synthèse
générale à l’échelle nationale ».

Discussion

Nous retranscrivons ci-dessous l’essentiel du débat qui s’est déroulé avec
la salle à la suite des présentations dont il a été rendu compte.

Etudiant : Le mouvement des universités n’a pas été qu’un mouvement
d’enseignants-chercheurs mais également des autres personnels de
l’université et des étudiants. C’est une conjonction historique de tous
ceux qui font l’université. Or la place et le rôle actif des étudiants
dans la réflexion ont été quelque peu minimisés. Ils se sont rendus compte
que les trois logiques que vous pointez - la soumission de tous les
secteurs au capital ; l’évaluation quantitative ; la fragmentation des
champs du savoir - ne touchent pas que l’université mais l’ensemble des
champs de la société, soit la santé, la justice, les entreprises privées,
les administrations publiques. Est-ce que l’université doit permettre la
meilleure adaptation possible à la société en mouvement actuelle ou au
contraire est-elle porteuse d’un projet politique de société qui viserait
à contester de manière globale l’ensemble de ces logiques et à faire de
l’université un foyer de cette contestation ?

AC : sur la question des étudiants, le problème est de savoir qui
représente qui ? En quarante ans, comme les enseignants, le mouvement
étudiant a été incapable de définir sa vision de l’université. Donc si les
étudiants arrivent à s’organiser par eux-mêmes, tant mieux. Sans ça il
faut partir avec ceux qui sont prêts à partir. Voilà tout. Cela dit les
problèmes de l’université sont, mutatis mutandis, les mêmes problèmes que
ceux de la santé, l’hôpital, la justice, la prison, etc. C’est l’ensemble
du système institutionnel français, c’est l’idée même d’institution, au
sein de la société française, qui est visée frontalement. Il faut
organiser une réponse transversale entre ces différentes institutions, ces
différents corps. Mais il convient de l’organiser avec une dimension de
réflexion suffisante. Il y a des choses contre lesquelles on peut
s’opposer facilement : les licenciements, les reclassements, etc., qui
correspond à la réaction syndicale légitime. Mais ce qui est important,
c’est de comprendre ce qui se joue en profondeur dans la mutation de la
société actuelle et qui aboutit à la liquidation de la dimension
institutionnelle de la société. Et s’agissant de l’université, nous
savions de quoi nous parlions. Mais je ne me sens pas en capacité
d’assurer la traduction des problèmes de l’université dans les problèmes
de l’hôpital, je ne connais pas assez. Je sais que ce sont
fondamentalement les mêmes. Il se trouve que personne ne le fait en
France. C’est un gigantesque travail à faire. Par ailleurs je n’ai jamais
dit que le but de l’université c’était de produire des étudiants gentiment
adaptés à la société.

FV : Ni les premiers signataires du manifeste ni les autres ne constituent
un corps homogène susceptible de peser sur les décisions concernant
l’université et ce n’est pas l’enjeu. Ce texte ne va pas conduire à des
modifications immédiates du champ. En revanche, il témoigne de l’existence
d’un diagnostic convergent fait par des personnes de bords différents. Ce
qui ne sera pas sans effet à moyen terme sur le débat sur l’université.

 ? : Comment faire en sorte que l’université s’attaque à la question des
débouchés des formations qu’elle délivre ?

OB : il y a une sorte de transcendance de l’université, et de sa
production de savoir, par rapport à la société. L’université parfois
anticipe les demandes de la société. Aussi, vouloir construire
l’université sur les besoins de la société, qui sont constamment
évolutifs, est une erreur fondamentale. L’université ne pourra jamais
s’adapter au marché. Et même les entrepreneurs ne peuvent pas prédire quel
sera le marché du travail dans 3 ou 4 ans. L’idéologie qui consiste à
vouloir fonder l’université sur l’employabilité est une idéologie
perverse.

FV : l’université doit se préoccuper des débouchés professionnels, mais,
dans le débat actuel, on explique que les étudiants fuient l’université
parce qu’elle ne le fait pas. Ce n’est pas comme ça que le problème se
pose. Tant que le jeu demeure biaisé entre les formations universitaires
et les formations concurrentes, il ne peut pas y avoir de réponse à cette
question là. Et c’est valable pour la valorisation des thèses en France.
Ceci dans la mesure où les élites françaises sont sélectionnées dès l’âge
de 18 ans sur la base des mathématiques. Ailleurs, le fait d’avoir une
thèse permet d’accéder sur le marché du travail à un haut niveau. Pas en
France. Une étude statistique a montré qu’un polytechnicien docteur gagne
moins qu’un polytechnicien qui n’a pas fait de thèse.

Enseignant-chercheur en philosophie à Paris-8 : Nous sommes plusieurs à
avoir signé ce manifeste sous réserve. On achoppe sur la difficulté
d’autoconstituer cette communauté universitaire évoquée dans ce texte. Le
texte ne fait pas allusion aux luttes des étudiants et du personnel BIATOS
dans le mouvement. Or s’il convient de mettre en place des états-généraux,
il faut que ceux-ci réunissent tous ces acteurs engagés dans la lutte. Un
appel à de états-généraux a déjà été fait. Comment l’articuler avec votre
démarche ?

AC : Sur les oublis du texte, on pourrait ajouter à la liste qu’il n’est
rien dit des enjeux de l’université et de la recherche. On n’a pas eu le
temps d’y réfléchir. On s’est mis d’accord sur le texte en une journée de
débat à quinze. Nous ne sommes pas une organisation structurée. Nous ne
sommes représentatifs de rien. Par définition, l’autoconstitution procède
d’elle-même. D’où l’impossibilité de se situer par rapport à d’autres
mouvements déjà constitués, qui ont leur dynamique propre. Il était
nécessaire de procéder de la sorte. On verra ensuite si d’autres
organisations voudront se joindre à nous.

MG : Cette démarche est différente de celle des luttes menées par
d’autres. C’est une démarche intellectuelle, d’analyse et de proposition,
avant d’être politique, conflictuelle, car ce que nous constations les uns
les autres, ce qui fait que la communauté universitaire française a des
problèmes, c’est qu’elle subit des réformes successives au nom de
doctrines qui sont contestées sur le plan politique, mais jamais sur le
plan intellectuel. Nous avons voulu montrer que c’est à la communauté
universitaire de proposer une analyse de ce qui se passe, y compris au
sujet de la « société de la connaissance ». Le but est d’engager
l’université à prolonger ce travail de réflexion de la manière la plus
ouverte possible.

Enseignant-chercheur Inserm : Je rappelle le travail des états-généraux de
2004. On ne part pas de rien. Ce texte est en cours de mise à jour. Le
travail intellectuel est bien, mais est-ce que cela peut conduire à
quelque chose de plus concret ?

OB : Le problème est l’absence de représentant de la communauté
universitaire face au ministère, qui impose des réformes sans que les
universitaires puissent être entendus. Les syndicats universitaires pèsent
très peu et n’ont pas de compétence sur ces questions intellectuelles. La
courroie de transmission, la CPU, est dans une position difficile, car
elle est chargée de relayer auprès des universitaires les décisions du
ministère qui exerce une lourde tutelle par l’intermédiaire de l’octroi du
financement. L’autre difficulté, c’est le fait que les universitaires sont
pris par leur métier et n’ont pas le temps de s’arrêter. Quand on se
défend on n’a pas le temps de réfléchir. Moi je pars du principe que l’on
aurait dû se révolter il y a quinze ans ou vingt ans. Enfin, le milieu
universitaire est très atomisé en France. La communauté universitaire, on
la proclame mais on ne connaît pas les collègues ni leurs conditions de
travail. D’où l’absence de débat et d’unité.

Enseignant-chercheur : Pour beaucoup de gens, il est acquis que
l’enseignement supérieur doive être gratuit. Mais lorsque l’on peut
échapper à l’université, pour aller dans une école, on accepte de payer.
Ensuite, comment concilier le libre accès des bacheliers avec leur
orientation dans certaines filières et pas dans d’autres ? Enfin, une idée
 : proposer aux universités françaises de s’arrêter aux mois de
janvier-février 2010 pour organiser sérieusement des états-généraux -
c’est la période pendant laquelle bon nombre d’universités européennes
s’arrêtent pendant 6 à 8 semaines -, et en le faisant sous les yeux de
tout le pays, sans aucune gêne pour personne en adaptant le calendrier
universitaire sur l’année et en donnant ainsi toute la publicité
nécessaire à cette réflexion collective.

FV : Les droits d’inscription exprime le même problème que celui de la
sélection. Il y a une contradiction entre l’idée selon laquelle
l’introduction de la sélection à l’entrée de l’université entraînerait de
fortes réactions de la part des intéressés, alors que, dans le même temps,
les bacheliers qui le peuvent optent pour des filières sélectives. Une
contradiction entre le discours politique et les choix individuels qui
n’est pas sans lien avec le problème de la représentation étudiante.
Il faut lever ce tabou de la question de l’ES (enseignement supérieur) en
posant la distinction actuellement faite, sans le dire, entre l’université
et l’ES, en montrant clairement que ce que l’on nous montre comme
impossible pour l’université ne cesse de se diffuser dans l’ES et de
ronger l’université par ailleurs. Ces questions sont encore largement
occultées pour le moment.

AC : Sur les chances de peser en quoi que ce soit. Je pense que si le
mouvement de signatures se poursuit, cela finira par devenir non
négligeable en montrant que les universitaires souhaitent débattre.
Remplacer les grèves par des délibérations en banalisant certaines
semaines d’enseignement est une proposition digne d’intérêt et facile à
mettre en ouvre. Pour avancer dans ce sens, il faut affiner encore
certains points évoqués dans le manifeste, p.e. sur la question des droits
d’inscription. Dans le manifeste, il est avancé l’idée d’un capital
minimum donné aux étudiants pour financer les études. Au Danemark, c’est
le cas.

 ? : Pourquoi faudrait-il s’extraire du champ politique ? La démarche
intellectuelle ne s’extrait pas du champ politique et je ne vois pas en
quoi le discours antisyndical qui a pu être proféré il y a peu de temps
serait une alternative au discours hégémonique. Comme si les syndicats
n’avaient jamais formulé de propositions. L’exemple de capital minimum aux
étudiants est une proposition syndicale faite de longue date. Par
ailleurs, la collégialité est une notion suffisamment vague pour occulter
les rapports de pouvoir qui peuvent s’instaurer au sein de l’université
entre les enseignants eux-mêmes ainsi qu’entre les enseignants et les
étudiants.

MG : Mon propos n’est pas antisyndical. Il part d’un constat simple. Il y
a un énorme problème de représentation des étudiants et des enseignants à
l’université. Il serait intéressant de pouvoir analyser les raisons de cet
état de fait. Si nous voulons pouvoir fédérer largement les membres de
l’université, étudiants comme enseignants, il nous faut partir d’une
démarche indépendante, qui ne s’extrait pas du champ politique, mais qui
parle un autre langage que celui des organisations supposées
représentatives dont nous sommes obligés de reconnaître, les uns et les
autres, que nous ne nous y reconnaissons pas.
Par ailleurs, les états-généraux de 2004, dont il a été question
précédemment, étaient essentiellement axés sur les questions intéressant
la recherche.

Etudiante : Ces derniers mois il y a eu beaucoup de réflexions et de
textes. Seulement les étudiants n’ont pas forcément accès aux mêmes
réseaux et à une parole aussi légitime que les universitaires pour se
faire entendre. Or ces derniers mois, cela a été l’occasion de véritables
débats démocratiques avec la participation de l’ensemble des acteurs de
l’université. Par ailleurs, la sélection est à l’ouvre à l’université avec
la mise en place de campus d’excellence. La création de filières
bi-disciplinaires ne va-t-elle pas également dans ce sens ?

FV : Ne pas contrôler le dispositif de sélection, d’orientation et de
professionnalisation des cursus conduit à ce que tout ceci se développe à
côté de l’université. Au final on peut avoir une action politique dont les
résultats sont l’inverse de ce que l’on désire. La question est de savoir
quoi mettre en place pour retrouver le contrôle de l’ensemble du
dispositif pour éviter une sélection par l’argent, une sélection
arbitraire qui est précisément en train de se développer par le fait même
du naufrage de l’université.
Dans le texte du manifeste, la parole étudiante n’a peut-être pas eu la
place qu’elle aurait dû avoir. Il faut quand même bien dire que, de ce
point de vue là, il y a une dissymétrie fondamentale : les étudiants
passent, ils sont là à l’université pour passer. La communauté
universitaire a un autre type de pérennité et donc nous avons un devoir de
réfléchir pour l’avenir, de réfléchir aussi pour les générations
d’étudiants qui vont vous succéder (15).

AC : Il y a de multiples analyses qui sont menées sur l’université mais
dont aucune ne débouche sur un mouvement suffisant pour faire pièce aux
politiques gouvernementales. Donc il fallait tenter autre chose. Pour
l’instant, ça fait un peu plus écho que d’autres types de prises de
position. Il faut donc continuer et voir après comment cela peut
s’articuler aux autres groupes qui se manifestent.

Enseignant-chercheur P8 : Cela fait écho parce qu’il y a le mouvement

AC : Oui bien sûr.

Enseignant-chercheur : Votre texte tombe bien car nous sommes dans un
moment où il faut tenir. Mais cela implique que ce texte n’introduise pas
de clivages. Il est dommage de relancer les clivages contre les syndicats,
les mandarins, car pour que l’on tienne il faut que l’on forme une
communauté. Ce qu’on a gagné c’est une bataille de l’opinion d’abord entre
nous, qui se traduit par le surgissement de thématiques nouvelles : le
rôle de la recherche dans l’enseignement, p.e. Auparavant, bon nombre de
collègues pensaient que ce n’était pas la peine de mettre de bons
chercheurs devant les étudiants. Le lien fort entre les deux est un acquis
du mouvement. De même, avant le mouvement, nombre de membres de
l’université pensaient que l’université devait professionnaliser et que si
elle ne le faisait pas, elle devait en avoir honte. C’est la gauche qui a
poussé à cette idée de professionnalisation. Or ce mouvement a permis de
revenir sur cette question là et de soutenir les disciplines. Au nombre
des acquis il y a aussi la remise en cause du quantitatif (bibliométrie)
qui était jusque là assez bien accepté. On va également peut-être pouvoir
remettre en cause l’idée que le meilleur système de formation, c’est les
grandes écoles et les classes prépas. Peut-être a-t-on compris à quel
point il est important pour l’université d’être une communauté, i.e. de
réunir les disciplines, mais aussi de réunir les enseignants, les
étudiants et les BIATOS. Les étudiants passent en effet, mais en même
temps ils savent, mieux que nous, nos défauts. Donc on retire un bénéfice
de ce débat là. D’où l’intérêt de s’appuyer sur cette communauté.

Du point de vue des remarques critiques sur le texte, il me semble que le
fait de parler de l’accès à l’université pour tous puis d’évoquer plus
loin la sélection au sens d’orientation, est problématique. Ce jeu sur le
sens du mot sélection est lourd de conflits. Il faudrait décider : dire si
vous voulez sélectionner au départ ou pas.

Un autre point : vous vous opposez à la fragmentation du savoir. Or ce
mouvement s’est battu aussi pour le tranchant des disciplines. Je ne suis
pas certaine qu’il faille donner dans les premières années, comme dans les
classes prépas, un enseignement fondé sur un mélange de disciplines.
L’interdisciplinarité n’est peut-être pas une voie pour l’université.
Votre notion de propédeutique devrait être débattue.

AC : la question de l’interdisciplinarité n’a pas pu être développée dans
le manifeste. Cela pose la question de la spécificité d’un enseignement
universitaire par rapport à celui d’une classe prépa.


Notes

(1) Rappelons qu’il s’agit d’une initiative de chercheurs de l’EHESS, dans
le cadre de « changeons le programme », et que poursuivra le séminaire « 
politiques des sciences » au cours de l’année universitaire 2009-2010.
L’intégralité des thèmes abordés et donc des comptes-rendus est
consultable à cette rubrique :
http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?rubrique34

(2) On trouvera le texte complet ici :
http://www.journaldumauss.net/spip.php?article507

(3) Le sommaire est ici : http://www.revuedumauss.com/

(4) V. Pécresse, « Refonder l’université française : notre défi commun »,
Le Monde, 18/05/09

(5) Un article du Monde en fait état :
http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article2610

(6) Dans leur texte de présentation du volume, A. Caillé et Philippe
Chanial justifient ce point de vue notamment par le rappel que : « le
corps enseignant, les chercheurs et les étudiants jusqu’ici n’ont su,
depuis plus de trente ans, que résister aux réformes proposées par le
pouvoir. A toutes les réformes. Cela ne peut plus suffire. Il est
totalement vain d’attendre une réforme sensée de l’Université qui vienne
de nos élites ministérielles, formées dans des grandes écoles qui ignorent
tout de l’Université et de son esprit. Si quelque chose de l’esprit de
l’Université doit subsister et renaître de ses cendres, ce ne pourra être
qu’au terme d’un puissant mouvement d’imagination issu de la communauté
universitaire elle-même » (2009, p.18). Si cette approche renvoie, à
première vue, à la vision traditionnelle de l’institution, elle défend en
réalité un projet de renouveau de cette communauté dans un contexte miné
par la désinstitutionalisation de la société française, au sens où cette
initiative se veut être une alternative à l’idéologie néolibérale selon
laquelle « plus rien ne doit être institué et pérenne, tout doit devenir
mobile, souple, malléable » (id., p.15). Ce qui conduit les auteurs à
conclure que « le défi est alors de faire émerger un certain consensus sur
les réformes nécessaires au sein de la communauté universitaire elle-même,
étant d’ailleurs entendu que c’est précisément ce consensus manifesté qui
lui redonnerait sa dimension de communauté » (id., p.27).

(7) Ces points sont détaillés dans un texte collectif, intitulé : « 
Refonder l’université. Pourquoi un manifeste ? », qui figure sur le site
de la revue du MAUSS : http://www.journaldumauss.net/spip.php?article516
et qui semble être une version actualisée de l’exposé présenté par A.
Caillé lors de cette réunion. Aussi, je me permets de renvoyer à ce texte
pour le détail des trois points évoqués.

(8) C’est le cas, entre autres, de Jean-François Méla qui consacre un
billet de son blog à un commentaire critique du manifeste, dans lequel il
ironise sur « le récent manifeste des « refondateurs » [qui] voit dans la
dualité des formations universitaires et des formations sélectives la
cause première de tous nos maux et avance comme solution. la création d’un
« super ministère » de l’enseignement supérieur, comme si ce pouvoir
ministériel avait quelque chance d’échapper à l’influence de « la noblesse
d’Etat » qui défend bec et ongles le système hyper-sélectif dont elle est
issue. C’est d’autant plus paradoxal que certains pétitionnaires n’ont
cessé de défiler pour dénoncer l’autoritarisme de l’actuel ministère. La
ministre en titre, Valérie Pécresse, a beau jeu de se payer leur tête et
de leur dire, quelques jours après, dans un bel exercice de langue de bois
 : « je vous ai compris ; mon ministère travaille dans la même direction
que vous » ». cf. http://jfmela.free.fr/jfmblog/?p=134. Au-delà de ce point
précis, cette analyse vaut pour l’évocation qu’elle fait des approches qui
avaient été suggérées par le passé (par Pierre Bourdieu, en 1985) pour
réformer l’université et dont un certain nombre de propositions demeurent
d’actualité. Tel est le cas à la fois en ce qui concerne le financement
des universités, leur autonomie budgétaire et scientifique, et le rôle
protecteur que devrait avoir l’Etat pour les filières d’enseignement dont
la valeur culturelle (le savoir, donc) excède la valeur économique, plus
strictement marchande. En revanche, les propositions d’A. Touraine, en
1984, d’universités libres, où la liberté de décision, d’organisation, de
moyens de celles-ci semblait devoir passer par la suppression du statut de
fonctionnaire accordé aux enseignants-chercheurs, pour le transformer en
celui d’agent d’une entreprise publique, apparaît davantage comme un rêve
mandarinal proche du président-manager d’université, seul véritable
bénéficiaire de cette « liberté » là, que comme un moyen sérieux de
restaurer l’autonomie des universités. Et ceci pour autant que l’autonomie
dont il s’agit soit identifiée prioritairement à la liberté de pensée de
chacun et de tous ses membres, à parité et soit la garante de
l’organisation collégiale de l’université dans tous les aspects de son
organisation et de son fonctionnement. La liberté de penser, de critiquer
et de créer, dans le travail intellectuel, comme accomplissement
indissociablement individuel et collectif, a son pendant, du côté
institutionnel, dans l’existence de contre-pouvoirs de la communauté
universitaire face au président de l’université élu par ses pairs et à son
conseil d’administration. C’est, semble-t-il, cette vision complexe et
démocratique de l’autonomie que le mouvement universitaire, dont est issu
le présent manifeste, s’est efforcé de défendre contre l’esprit
étroitement gestionnaire et managérial qui inspire la loi LRU. Les
étudiants ayant été les premiers à réagir. Dans ce cadre, en effet, la
refondation de l’université est avant tout l’affaire des membres de la
communauté universitaire, placée sous les auspices de l’autonomie de la
pensée critique d’un corps qui se donne sa loi. Il s’agit ni plus ni moins
que de la préservation de la liberté de juger par soi-même en prenant ses
distances par rapport aux vérités admises, aux idées toutes faites, qu’il
s’agisse des siennes ou de celles d’autrui, pour les examiner à nouveaux
frais - un trait qui caractérise la recherche, entre autres pratiques
humaines relatives à la faculté de juger. De son côté, l’Etat se voit
rappelé, par les refondateurs, à tenir son rôle, qu’il a délaissé de
longue date, de régulateur du système de l’enseignement supérieur, afin
d’assurer la cohérence et cohésion internes d’un ensemble constitué
d’établissements par ailleurs réputés autonomes.

(9) A l’occasion du débat, A. Caillé a évoqué l’idée d’un capital versé
aux étudiants pour les aider à financer leurs études. Dans un article du
volume (cf. p.337-349), Annie Vinokur met expressément en garde contre le
mirage des prêts étudiants qui, là où ils se pratiquent, se traduisent par
une envolée des droits d’inscription et un endettement très élevé des
étudiants des milieux modestes qui y ont recours pour le financement de
leurs études. Elle propose un système alternatif dans le respect des
principes de service public.

(10) Cf. l’article de Mireille Bruyère sur « les liens complexes entre la
formation et l’emploi »
http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article2702

(11) Plinio Prado, « Le principe d’université »
http://www.editions-lignes.com/LE-PRINCIPE-D-UNIVERSITE.html, également
http://www.fabula.org/actualites/article24458.php. On se reportera
également à l’article d’Annie Vinokur « Vous avez dit autonomie ? »,
Mouvements n°55, septembre-octobre 2008
http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=MOUV&ID_NUMPUBLIE=MOUV_055&ID_ARTICLE=MOUV_055_0072
qui revient sur l’origine du conflit actuel qu’elle situe dans la
différence entre « l’autonomie collégiale des universitaires et
l’autonomie gestionnaire des universités » (p.73).

(12) cf.
http://www.challenges.fr/magazine/encouverture/0171.020555/?xtmc=universitecnrs&xtcr=1

(13) Citons ici Simon Leys qui, dans « Une idée de l’Université », définit
l’institution universitaire en ces termes : « L’université a pour objet la
recherche désintéressée de la vérité, quelles qu’en puissent être les
conséquences, l’extension et la communication du savoir pour lui-même,
sans aucune considération utilitaire ». Il précise plus loin : « L’utilité
supérieure de l’université et son action efficace sont entièrement
fonction de son apparente « inutilité ». Les écoles professionnelles et
techniques sont fort utiles, tout le monde comprend ça ; les universités
sont inutiles - transformons-les donc en un ersatz d’écoles
professionnelles : telle est la mentalité qui menace aujourd’hui la survie
de l’université. Les pressions exercées sur l’université par ses
principaux bailleurs de fonds pour qu’elle justifie son existence en
termes quantitatifs et utilitaires sont probablement le plus redoutable
facteurs de corruption auquel elle doit maintenant faire face. (...) Quand
l’université cède à la tentation utilitariste, elle trahit sa vocation et
vend son âme ». Le texte intégral est consultable ici :
http://www-irma.u-strasbg.fr/ bugeaud/leys.html

(14) Une proposition développée par Yves Citton, cf. « Démontage de
l’Université, guerre des évaluations et luttes de classes », Revue
Internationale des Livres et des Idées
, n°11, mai-juin 2009, pp. 22-7. Un
texte dans lequel l’auteur établit un rapprochement intéressant, qui
prolonge la perspective d’autonomia défendue par P. Prado, entre la
mission de l’Université et le mode d’existence de l’espace public
oppositionnel, selon le concept - et titre de l’ouvrage - d’Oskar Negt.

(15) Un commentaire sur ce point. La remarque de François Vatin est juste,
s’il s’agit bien de concevoir les étudiants comme une population de
personnes dénombrables, définies par un parcours biographique. La
différence est moins évidente lorsque « enseignant » et « étudiant » ne
désignent pas des personnes mais des catégories. C’est dans cette
acception que la formule de « l’universitas des enseignants et des
étudiants » prend elle-même sens. La catégorie « étudiants » est partie
prenante de la communauté universitaire, indépendamment des personnes qui
s’avèrent être présentes en qualité d’étudiantes à un moment donné dans
une université donnée. A cet égard, la parole des représentants de la
catégorie « étudiant » doit pouvoir être entendue, au même titre que celle
des membres de la catégorie « enseignant » ainsi que des autres catégories
composant la communauté universitaire.