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Nicolas Sarkozy, la destruction de l’Université et le choléra mental du journal Le Monde - Le grand Barnum, Le Barnum médiatique, 1er avril 2009

vendredi 3 avril 2009, par Laurence

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Quand Nicolas Sarkozy s’est lancé dans ce qu’il est convenu d’appeler la “réforme” des Universités, il a bien évidemment choisi de reprendre la méthode qui lui était déjà familière et qui avait fait ses preuves en termes de capacité de nuisance, de négation de la démocratie et de piétinement du pacte social.

Assisté d’une Dame Pécresse que sa totale méconnaissance du monde de la recherche et de l’enseignement supérieure qualifiait plus que tout autre pour cette tâche, Notre Président n’a donc pas montré la moindre hésitation.

Pour “réformer”, il fallait tout d’abord n’engager aucune consultation et s’empresser d’oublier ceux qui font tourner la boutique. Car dans ce pays, on ne “réforme” par une institution, on “réforme” contre elle.

Ensuite, il fallait désinformer. Pour salir. Salir l’institution elle-même, salir ceux qui y travaillent, salir ceux qui y étudient et s’y forment. On parviendrait ainsi à mettre en place l’unique levier de gouvernement employé dans ce pays depuis le grand malheur de mai 2007 : désigner une catégorie de la population à la vindicte du bon peuple, lancer quelques sondages aux questions convenablement orientées et utiliser les beuglements des micros-trottoirs pour justifier la suppression, au choix, des archaïsmes, des privilèges, du bouclier fiscal, des rigidités, des paresses, des incompétences, des inutilités, des gaspillages…

Les chercheurs et les enseignants-chercheurs ont ainsi fourni une cible de choix. Paresseux, incompétents, semi-idiots, gauchistes, ils ne refusent évidemment la “réforme” que par pur corporatisme, par pur intérêt de classe, c’est un vrai scandale, voyez vous ça mère Michu, tout ce rebut de gauchistes pervers, qui ont le front d’être plus diplômés que vous et moi, et qu’on paie à ne rien faire…

On pouvait faire confiance au Grand Café du Commerce français pour répercuter cette vision fine et mesurée. Cracher sur les profs tout en en se tapant sur les cuisses, entre deux renvois biereux, trois invectives contre les sans-papiers et quatre déclarations définitives sur la crise et le PSG, voilà qui est plutôt en phase avec le niveau de subtilité philosophique et politique dans lequel plus d’une décennie de ramollissement chiraquien a fait tomber ce pays. Tendez le petit bout de la lorgnette à la France, elle se hâtera d’y regarder…

La où la gêne devient réelle, c’est quand un journal qui se prétend “de référence” oublie que le journalisme consiste à aller enquêter pour éclairer ses lecteurs et en vient à considérer qu’informer équivaut à étudier le réel pour y découvrir, à la surprise de tous, la confirmation de la vision officielle et gouvernementale.

Dans un article navrant publié dans Le Monde daté d’aujourd’hui et intitulé “Les facs mobilisées voient leur image se dégrader“, trois journalistes (Christian Bonrepaux, Benoît Floc’h et Catherine Rollot) présentent ce qu’ils appellent une “enquête” menée dans trois facs mobilisées, Montpellier III, Rennes II et Toulouse-Le Mirail.

Entre Tintin au Congo et Les Pieds Nickelés, nos trois “envoyés spéciaux” (ne va pas à Beyrouth qui veut) ont donc pris la température de ces lieux étranges, les facultés de lettres, et en ramènent, au péril de leur vie et pour le prix d’un billet Prem’s, un récit qui fait frémir. Leur conclusion est sans appel : en se mobilisant, les facs en question nuisent à leur image !

On admirera, tout d’abord, le sujet même de l’article : pas un mot sur les réformes, la question est uniquement celle de “l’image”. Quant à savoir sur quoi repose ce problème d’image… on ne trouvera pas la moindre précision sur ce qu’il faut entendre par “mobilisation,” même si cela doit rendre le propos incompréhensible, voire totalement fantaisiste.

Jamais le malheureux lecteur ne saura si par “mobilisation”, il faut entendre grève des enseignants-chercheurs, manifestations, ou blocage par les étudiants, trois situations nettement distinctes et présentes à des degrés et à des moments divers dans les trois facs dont il est question. La comparaison avec les blocages estudiantins liés au CPE ne fait qu’aggraver la confusion….

Jamais on ne saura si cette mobilisation porte sur la réforme du CNRS (hé oui, il y a des personnels CNRS à l’Université…), sur la “masterisation” des concours, ou la réforme du statut. Quelle importance ? Il y a du bazar, le bazar nuit à “l’image”, pas besoin d’aller plus loin. La surface suffit. On admirera au passage les progrès qu’ont pu faire les modes de pensée sarkozystes (l’apparence contre le fond, la réduction des questions les plus graves à l’opposition ordre/désordre, le flou conceptuel) dans l’esprit de nos reporters intrépides.

Jamais on n’apportera la contradiction aux critiques, systématiquement prises au premier degré. Jamais on ne mettra en perspective les réactions des uns et des autres. Jamais on ne contextualisera un tant soit peu les propos tenus en rappelant les enjeux généraux. Du grand journalisme, dans une prose élégante et fraîche : une fois encore, et comme Le Monde nous y a habitués, le prix Albert Londres n’est pas loin…

Il se dégage de tout cela une impression pénible, que l’on pourrait ainsi résumer : aux yeux de nos trois prétendants au Pulitzer, protester contre des réformes absurdes, mal conduites et destructrices pour l’avenir de l’éducation (je pense en particulier à la masterisation), cela crée du désordre, et c’est mal. Cela trouble, par exemple, Madame Isabelle Cayzac, présidente de la fédération de la PEEP, qui déclare :

J’ai deux fils en terminale, déclare Isabelle Cayzac, présidente de la fédération de parents PEEP pour l’Hérault. S’ils avaient voulu faire des études de lettres, je me serais opposée à ce qu’ils aillent à Montpellier-III. Cette université donne une image de chaos, de bazar, de glandeurs.”

Alors si la présidente de la PEEP Hérault est mécontente de l’image de Montpellier III, qu’elle trouve, comme n’importe quel beauf placé face à des étudiants d’arts, de lettres et de sciences humaines, qu’il n’y a là que des “glandeurs”, cela prouve bien que tout cette agitation est un scandale ! Rentrez dans le rang, inconscients que vous êtes, vous voyez bien que cette opposition à Nicolas Sarkozy donne de vous une image déplorable, et ne fait que confirmer la piètre opinion qu’ont de vous tous ceux qui ont voté pour notre Fossoyeur Présidentiel !

Pauvre Monde. Alors qu’elle aurait pu laisser tranquillement ces trois plumitifs décortiquer les dépêches AFP qui leur permettraient de produire leur prose éclairée, confortablement installés à plat-ventre, la direction leur a payé des frais de mission pour faire cette grande découverte : la mobilisation et la protestation dérangent.

Mais le véritable drame n’est pas là. Le pire, c’est que cette découverte soit publiée.