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Sorbonne et Cnrs évacués... quelle suite pour la contestation ? - Sylvestre Huet, Sciences2, Libéblogs, 27 mars 2009

vendredi 27 mars 2009, par Laurence

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Dans la nuit, la police a fait évacuer le siège du Cnrs (photo PYL) et le bâtiment de la Sorbonne temporairement occupés hier. Ces épisodes spectaculaires auront-il un effet sur le mouvement de contestation de la politique de Valérie Pécresse et Xavier Darcos ?

Après plus de deux mois de mobilisation, ce mouvement s’interroge sur son devenir, avec plusieurs questions : comment obtenir le maximum de concessions, comment tenir compte des angoisses des étudiants, comment répondre à la pression croissante que le gouvernement exerce sur les universitaires ?

Mesurer l’état réel de la mobilisation des universitaires n’est pas simple. Mais il est clair que le discours ministériel sur le thème « il n’y a plus que quelques foyers de contestation avec des excités » relève de la méthode Coué, ou de l’opération d’intoxication. Je n’en veux pas pour preuve les initiatives coup de poing : hier, outre les occupations, deux ponts de Paris (la Concorde et Alexandre-III) ont été simultanément bloqués par de grandes banderoles et des dizaines de cours publics, conférences, assemblées... se sont tenus. A titre d’exemple, ici une longue liste d’initiatives aujourd’hui.
Mais au delà de ces événements visibles, que se passe t-il lorsque les universitaires se réunissent, comme ceux de Paris-1 et Paris-4 (pour l’essentiel) en assemblée, à la Sorbonne hier ? J’ai relaté leur discussion ici. Ce qui m’a frappé, c’est que le vote de la reconduite de la grève a été un moment de quasi unanimité, et elle a été revotée pratiquement sans discussion. Or, il ne s’agissait pas d’une A-G d’étudiants enfiévrés. Mais de très raisonnables et responsables maîtres de conférences et professeurs d’universités - et plutôt bien notés, productifs en recherche, souvent issus des meilleures filières (on compte les anciens de Normale Sup à la pelle), tout à fait conscients d’avoir intégré une des universités les plus côtées dans leurs disciplines.

Cette froide détermination impressionne. Elle s’appuie sur l’analyse que font la plupart desAg_sorbonne_turgot universitaires de ce qu’ils ont obtenu et qu’ils estiment insuffisant (lire ci-dessous). Elle résulte également du caractère totalement inédit de ce mouvement. Dans les universités de sciences humaines et sociales, il est manifestement mené par des « jeunes » maîtres de conférence (entre 35 et 45 ans) issus d’une très rude sélection, conscients de leur valeur qui partagent le sentiment de se faire marcher dessus par un gouvernement arrogant et autoritaire. D’où le caractère imprévisible de leur action, depuis le début, et donc... de sa fin.

L’autre raison qui rend difficile l’appréciation de ce mouvement résulte de ce que les modalités de la grève lancée le deux février ont été très diverses suivant les universités, les UFR et ont varié dans le temps. Les grèves « dures » - aucun cours assurés. Les grèves « perlées » - on arrête les cours les jours de manifestations. Les grèves « astucieuses » : on déplace les cours prévus lors des moments de mobilisation pour les tenir à d’autres moments. Si les universités de Sciences humaines et sociales ont souvent choisi la grève dure, celles de sciences de la matière et de la vie ont privilégié l’alternance de jours de grève et de cours afin de minimiser l’impact sur l’année universitaire des étudiants. Cette position responsable a mal été interprétée par le gouvernement qui y a vu un signe de moindre désaccord, au rebours de ce que disent les universitaires rencontrés. Au rebours, aussi, de l’expression de ces piliers du système que sont les directeurs de laboratoires, la plupart mixtes (Université/Cnrs) dont la participation massive à la consultation sur leur éventuelle démission s’ils n’obtiennent pas du gouvernement des mesures pour la recherche.

Mais, surtout, les universitaires, conscients de ce qu’une grève des cours n’a, en soi, que peu d’impact sur le gouvernement ou l’opinion publique, ont multiplié les initiatives : cours alternatifs et conférences dans les universités mais aussi dans des lieux publics, grèves « actives » avec interventions en direction des étudiants, rétention des notes du premier semestre et des décisions de jury du Conseil national des Universités, démissions de fonctions administratives, refus massif d’envoyer les maquettes des cours de préparation aux concours de recrutement des professeurs du primaire et du secondaire (la « mastérisation »), vote de motions dans les conseils centraux des universités et des UFR... Ce mouvement est ainsi très largement représentatif de la communauté universitaire. De ce point de vue, les positions successives de la Conférence des présidents d’université illustre à quel point une bonne part de ces derniers, proches des positions gouvernementales sont aujourd’hui en porte-à-faux vis à vis de leurs collègues.

Déjà, malgré les pressions, les « dissidents » de la CPU, comme certains se nomment, ne sont pas négligeables. Les présidents de Paris-3, Paris-4, Paris-8 Vincennes, Paris-10 Nanterre, Paris-13 Villetaneuse, Montpellier-3, Rouen, Clermont-Ferrand... se sont exprimés en termes clairs, demandant le retrait des textes controversés. La CPU dans son ensemble n’a pu soutenir que du bout des lèvres certaines réformes qu’en exigeant des créations de postes, en protestant contre les suppressions de 2009. Pour la mastérisation, elle n’a pu qu’en demander, a minima, le report. Ces difficultés ont conduit le bureau de la CPU à des manoeuvres bizarres. Hier, des incidents ont éclaté à Paris-12 Créteil qui ont fait perdre son sang froid à Simone Bonnafous, la présidente, à la suite de la mise en oeuvre d’un blocage par des étudiants. Les déboires de Guy Cousineau, à Paris-7, qui a perdu sa majorité aux dernières élections, l’arrivée de Jean-Claude Colliard à de Paris-1 en mai sur des positions très éloignées du soutien de l’actuel président (Pierre-Yves Hénin) à Valérie Pécresse... le vent à tourné et si de nouvelles élections se tenaient aujourd’hui de nombreux présidents seraient balayés par la contestation.

Aujourd’hui, après deux mois de mouvement, que faire ? Le premier débat entre les universitaires porte sur ce qu’ils ont obtenu. Sur la « mastérisation », il semble clair que la manière dont Xavier Darcos a voulu habiller son recul sur les seuls concours n’a fait qu’agraver la situation. En prétendant maintenir l’entrée en vigueur des nouveaux masters dès la rentrée 2009, il nie l’évidence : c’est totalement impossible. Même si, hypothèse d’école improbable, les maquettes étaient déposées aujourd’hui, leur simple examen et validation par l’Agence d’évaluation ne peut se faire dans les temps. Or, c’est à Valérie Pécresse de prendre acte de cette impossibilité et d’annoncer clairement que toute l’opération est stoppée et remise à zéro. Sans une telle annonce, la colère restera au même niveau et la plupart des universités ne remettront pas de maquette le 31 mars, comme le demande le ministère. Cette « désobéissance » constitue l’un des signes les plus clairs du caractère massif et virulent de l’opposition des universitaires à cette réforme.

Le statut ? Si de concessions en concessions le texte initial a été détricoté, il comporte clairement des risques d’une gestion autoritaire des services des universitaires... surtout en raison de leurs effectifs face aux étudiants. Sur ce sujet, il est piquant de noter la curieuse présentation que Le Monde fait du vote du Comité technique paritaire dans la nuit de mardi à mercredi. « En signe de désaccord, les élus du Snesup-FSU, syndicat majoritaire, et de FO, ont quitté la réunion avant la fin des discussions. Le décret a été néanmoins adopté par 17 voix pour et cinq abstentions. » Le lecteur, pas nécessairement au courant de ce qu’est un CTP peut donc croire que le texte de Valérie Pécresse jouit d’un large soutien : 17 pour, cinq abstentions. En vérité, seuls les 15 représentants du gouvernement ont, sur ordre et c’est légitime, voté le texte, rejoints par le seul Autonome Sup, syndicat ultra minoritaire avec deux voix, le Sgen Cfdt et l’UNSA s’abstenant. Bref : l’énorme majorité des représentants des universitaires n’a pas soutenu ce projet de décret.

Sur les postes, les moyens des universités, le gain est maigre. Rien pour 2009, et la promesse - de François Fillon - qu’il n’y aurait pas de suppression de postes en 2010 et 2011. Formidable ? Non, ont l’air de penser les universitaires en quête d’encadrement administratif et technique afin de se libérer de tâches assez éloignées de leurs compétences.

La recherche ? Pour l’instant, les contestataires n’ont rien à se mettre sous la dent. La transformation du Cnrs se poursuit. Pourtant la contestation des structures mises en place par le Pacte pour la recherche grandit. Même les scientifiques qui ont accepté de participé aux expertises pour l’Agence nationale de la recherche ont dénoncé le système dans des motions virulentes. Certains comités ont même retenu le résultat de leurs expertises pour protester. Par ailleurs, le nombre de scientifiques qui souhaitent désormais boycotter l’AERES et l’ANR grandit.

Le second sujet de préoccupation : les étudiants. Croire que les universitaires en grève les privent de cours par plaisir constitue non seulement une insulte, mais une profonde erreur d’appréciation. La plupart des enseignants-chercheurs avec lesquels j’ai discuté de cela, encore hier dans la cour de la Sorbonne, sont taraudés par cette question. Même les plus engagés dans le mouvement avouent tous avoir donné des rendez-vous dans des cafés pour donner des sortes de cours, indiquer les lectures indispensables, discuter de sujet de mémoire, des projet des étudiants. Même si ces activités ont surtout concerné les L3 et années de Masters et Doctorats - question de nombre pour les deux premières années - ces comportements montent à quel point ils se sont engagés dans cette action par une sorte d’énergie du désespoir devant le refus du gouvernement d’écouter leur point de vue, de négocier une réforme du système en concertation. Les semaines passant, cette inquiétude grandit, mais compter uniquement sur leur sentiment de responsabilité pour leur faire plier l’échine devant le gouvernement serait un calcul à courte vue, et gros de périls politiques.

Nul ne sait aujourd’hui comment et quand se terminera cette crise, mais les dégâts sont considérables et la capacité du gouvernement à conduire la relance nécessaire de l’enseignement supérieur très sérieusement affectée.